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Il eft auffi dangereux en littérature, qu'en morale, de changer ou d'altérer les principes reçus. Le goût ne fe conferve pur, qu'autant qu'il eft entretenu & nourri par l'étude des bons modèles. Pour peu qu'on les néglige ou qu'on les abandonne, les écarts fe multiplient, & l'on marche à grands pas vers la corruption. Malheu

reufement la nouveauté entraîne la multitude, parce que les Novateurs affectent ordinairement une hardieffe qui impose, & ont une tournure d'efprit qui éblouit & leur fait des Sectateurs. Le mauvais goût s'accroît alors avec une rapidité incroyable, en raison du nombre des mauvais Copistes, lefquels, bien inférieurs à leurs modèles, en talent & en efprit, les furpaffent en défauts & en ridicules, & n'en deviennent pas moins à leur tour des modèles pour leurs fucceffeurs qui achèvent la révolution. La raifon de cette étonnante & rapide décadence, eft bien fimple; c'est qu'on n'imite guères que ceux auxquels on refssemble, & qu'il eft plus aifé de se

paffer des règles ou de les enfreindre, que de les obferver. Or les règles févères du goût, prefcrivent une imitation parfaite de la Nature: les équivalents ne la fup pléent point: tout ce qui n'eft pas elle, eft faux. Voyez ces lumières rassemblées en faisceaux, & difpofées avec tout l'art imaginable, pour éclairer un lieu vafte & obfcur; elles y laiffent encore des ombres qu'elles ne peuvent diffiper, parce qu'elles ne peuvent rendre ni les feux étincelans ni la beauté du jour : de même tous les efforts les plus brillans de l'efprit n'imite ront & n'égaleront jamais le folide éclat des feux du génie.

Le feul moyen de tendre à la perfection, eft donc de ne prendre pour guide que le vrai. Qu'on examine de fang-froid & fans prévention, les beautés réelles & fans nombre, répandues dans l'Iliade & l'Odyffée, on fentira qu'elles y font placées avec autant de fageffe que de goût. Ces Poëmes font en effet des copies fidèles, ou plutôt des Tableaux vivans de

la Nature. C'eft en quoi fur-tout Homère eft admirable, indépendamment de fes grands caractères, fur lefquels fe font formés les Poëtes, les Orateurs, les Hiftoriens & les Philofophes, qui ont fait après lui, la gloire de la Grèce, dans les beaux jours de la République d'Athènes.

Cette fplendeur littéraire avoit disparu depuis les conquêtes de Philippe, & le règne des ambitieux fucceffeurs d'Alexandre. La Grèce entière en proie à toutes les hor reurs de la guerre, fut enfin forcée de fubir le joug des vainqueurs; Athènes, fur-tout, jadis fi floriffante, n'étant plus qu'une ombre de République opprimée de toutes parts, contrainte de livrer fes éloquents défenfeurs, à la vengeance de fes tyrans; la Tribune aux harangues fermée; l'Académie & le Lycée déferts, abandonnés, ou livrés à de pitoyables Sophistes; le Théâtre détruit; ces Monumens fuperbes, merveilles de l'art & du génie, abattus, brifés, prefqu'entiérement anéantis; les Mufes éplorées, tremblantes,

fans voix, fans afyles & fans appui ; tel eft l'état déplorable, où, après tant de fiécles de gloire, Athènes fut réduite, Les Sciences & les Arts chaffés de leur Patrie, fe réfugièrent chez les Romains, où leur règne ne fut pas moins brillant moins chéri que chez les Grecs.

Occupée à jeter les fondemens de fa grandeur future, Rome n'avoit encore été que guerrière. Toujours les armes à la main, & méditant fans ceffe de nouvelles conquêtes, rien n'étoit plus étranger à fes mœurs dures & auftères, que les Arts & les Sciences. Mais la politique, fage & éclairée, qui lui avoit fait une loi de traiter avec douceur & modération les vaincus; d'admettre, fuivant les circonf tances, fes Alliés & les Peuples qu'elle " avoit foumis, au rang de fes Citoyens ; d'adopter de leur Religion, de leurs Coutumes & de leurs Ufages, ce qu'elle y trouvoit d'utile & d'avantageux, préparoit insensiblement une révolution favorable aux Lettres. Carthage enfin enfevelie

fous

fous fes ruines, laiffant Rome fans rivale, & maîtreffe du monde, on vit bientôt les Savans & les plus célèbres Artistes de tous les peuples qu'elle avoit conquis, accourir, lui demander un afylè, & fe mettre fous fa protection. La pauvreté commençoit à n'être plus la vertu des Romains. Les immenfes & riches dépouilles qu'ils avoient enlevées à Carthage, en Asie & dans la Macédoine, avoient introduit un luxe, jufqu'alors inconnu dans Rome. Il eft vrai qu'il n'y eut d'abord que les Temples d'où la fimplicité disparut. Marcellus fut le premier, qui, après la prife de Syracufe, les orna des fuperbes ftatucs, & des tableaux les plus précieux, dont cette ville étoit remplie, fans qu'il fè permît de fe réserver une partie de ces dépouilles, pour en décorer fes jardins. L'admiration que ces nouveaux ornemens excitèrent, en infpira le goût, & ce luxe passa bientôt des Temples, dans les maisons des particuliers. Tels furent chez les Romains, les commencemens des Arts

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