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fans danger le goût de la belle Latinite. Toutes les Pièces des Poëtes que nous venons de nommer étoient moins leur

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propre ouvrage, qu'une copie de celles du Théâtre Grec. Aucun d'eux, excepté Plaute qui eft original dans quelques-unes de fes Comédies, n'a le mérite de l'invention. Afranius eft le feul qui n'ait rien emprunté des Grecs. Il fut l'inventeur de la Comédie purement Latine. Il s'attacha particulièrement à peindre les mœurs des Romains, leurs ufages & leurs coutumes. Il fit quitter à fes Acteurs le coftume Grec, dont s'étoient fervi les Poëtes avant lui, & leur donna l'habillement ordinaire des Citoyens de Rome, d'où cette Comédie. fut nommée Togata. Il y excelła; mais fes pièces fe reffentirent trop (1) de la corrup tion de fes mœurs. Il eft heureux que temps ait anéanti ces ouvrages obfcènes,

le

. (1) Togatis excellit Afranius. Utinam non inquinaffet argumenta puerorum fœdis amoribus, mores fuos faffus. QUINTIL. Inft. Orat. Lib. X, Cap. I, pag. 750.

quelque mérite qu'ils euffent, foit du côté de l'invention, foit du côté de l'agrément du ftyle (1).

Quoique la Tragédie Latine ait eu la même origine que la Comédie, qu'elle ait pris naissance en même-temps, & que fes Auteurs aient puifé aux mêmes fources, elle ne paroît pas avoir fait de grands progrès. Il est même étonnant que le fiécle d'Augufte, fi brillant pour la Littérature, n'ait pas produit un génie digne de le difputer aux Efchyle, aux Sophocle & aux Euripide. Quintilien ne parle (2) de la Médée d'Ovide, que pour montrer jufqu'où ce Poëte eût porté fon talent, s'il fe fût moins livré à l'envie de faire briller fon efprit. Cet excellent Juge rappele

(1) L. Afranius Poeta, homo perargutus, in fabulis quidem etiam, ut fcitis, difertus. Cic. de Clar. Orat. n° 45.

(2) Ovidii Medea videtur mihi oftendere quantum vir ille præftare potuerit, fi ingenio fuo temperare quam indulgere maluiffet. QUINTIL. Inft. Orat. L. X, Cap. I, pag. 749.

encore avec éloge les Tragédies de Pom ponius fecundus (1), que les vieillards d'alors ne trouvoient pas affez tragique, & qu'ils eftimoient néanmoins par la grande connoiffance qu'il avoit de l'Antiquité, & par l'agrément de fa composition. Mais comme de tous les Tragiques Latins, il ne nous refte qu'un très-petit nombre de pièces attribuées communément à Sénèque le Philofophe, il est aifé de juger, en les lifant , que l'art étoit peu formé, ou que ce Philofophe en connoiffoit peu le génie. Toujours occupé du foin de fe montrer, il transforme tous fes personnages, hommes & femmes indiftinctement, en Philosophes : il leur prête fon langage & fes pensées, souvent contraires, & à ce qu'ils doivent dire, & à la paffion qui les agite: il fatigue par une foule de maximes & de fentences, qu'il entaffe les unes fur les autres: fon

(1) Eorum quos viderim longe princeps Pomponius fecundus, quem fenes parum tragicum putabant, eruditione ac nitore præftare confitebantur. Id. Ibid.

langage, quoique ferme & précis, n'est jamais naturel, parce que c'est toujours le Bel-Efprit qui parle: il cherche plutôt à éblouir qu'à intéreffer: en un mot, pour cacher la foiblesse de sa fable, il emploie toute la pompe de la Poéfie, étale les sentimens les plus élevés, mais il ignore le fecret d'aller au cœur. Voilà les défauts réels qu'on reproche généralement, & avec raison, à Sénèque. Cependant, en le condamnant comme un mauvais modèle, nous devons lui rendre justice fur la beauté des fentimens la fageffe des maximes la solidité des réflexions politiques, fur la pureté même de la morale, qui brillent dans toutes fes Tragédies. Quoiqu'il ait affecté d'y faire dominer le ton philofophique, il n'en abuse jamais, pour y jeter à deffein ces maximes audacieuses, dont le but eft d'opérer une révolution fubite ou infenfible dans les efprits. Citoyen autant que Philofophe, on voit qu'il chérit fa Patrie, qu'il en fuit les Loix, & qu'il respecte les Dieux qu'elle révère : par-tout

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il montre à quel point il détefte le vice, par-tout il en inspire l'horreur ; & lorsqu'il parle dé la vertu, il en fait l'éloge avec un enthousiasme fi vrai, que l'on voit qu'il exprime les fentimens de fon cœur. Si ces admirables qualités ne peuvent excufer les défauts du Poëte, elles doivent du moins faire eftimer le Philofophe.

Il eft aifé de voir combien le Théâtrẻ de Rome étoit inférieur, en tout, au Théâtre d'Athènes. Ce n'eft pas que les Romains n'euffent autant de goût que les Grecs; mais ils n'avoient pas le génie de ce peuple créateur de tous les beaux Arts. Cette multitude de demi - Dieux, cette foule de Héros imaginaires dont ils prétendoient defcendre, ce fonds inépui fable de fables agréables & riantes, cette richeffe de connoiffances acquifes dans tous les Arts & dans toutes les Sciences; ce penchant naturel de la Nation à la raillerie, cette liberté de tout dire & de laiffer errer l'efprit à son gré, tout offroit à l'imagination des Grecs une variété infinie

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