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matieres d'où elles font forties : mais c'eft s’oublier ou vouloir fe livrer à une méprise dont la phyfique peut nous faire revenir. En effet, c'eft Parrangement & le mouvement de la matiere, établis & reglez par le créateur, qui ont fait la nature & la différence des chofes, & de là viennent leurs manieres d'eftres & leurs qualitez. Or la même idée qui nous perfuade que le fouverain eftre a pû former des milliers de corps & de fubftances admirables de rien, nous convainc que tout eft indifférent dans fes mains pour les vies qu'il fe propose, puifque fa volonté feule les exécute en fouveraine. Après cela auroit-il pû ne former que des fubftances de même nature que les poiffons, parce qu'il les auroit tirées de l'eau, luy qui venoit d'animer un peu de limon, & en faire la plus parfaite des créatures? Luy auroitil efté moins poffible de tirer des eaux des eftres autant différens de cet élément, que l'homme l'eft du limon dont il eft forti? Comme donc il feroit infenfé de conclure que l'homme n'eft que -terre & que matiere, parce que la terre fut le fond dont il fut tiré, ce fera lans raifon & mal à propos qu'on conclura que les oiseaux ne tiendront leur nature que de celle de l'eau d'où ils feroient fortis. Suivant cette comparaifon dans d'autres productions de la terre, on se trouvera convaincu de combien peu elle contribue de fes qualitez fenfibles & connues aux substances qui en naiffent, ou qui s'y produifent. Rien, par exemple, ne luy reffemble fi peu que les plantes qui en fortent; & l'or qui le produit dans fon fein eft autant différent du fer qui s'y engendre, que ces deux métaux le font d'elle-même.

Il eft vray que de nos jours le botaniste du monde le plus eftimé & le plus digne de l'eftre, • Monfieur Tournefort, préface de fon hift. des plantes des envilons de Paris,

trouvé dans la terre un fel effentiel qui luy eft propre; & peut-eftre pourroit-on foupçonner que chaque élément auroit le fien, capable de faire paffer fes qualitez dans les productions qui en fortent. Mais ce fel prend tant de différentes faces, & fe trouve fi étrangement varié & confondu dans les plantes, qu'on apperçoit d'abord qu'il n'eft point deftiné à faire des fubftances purement terreftres. Mais d'ailleurs cé fentiment fi ancien dans les auteurs eccléfiaftiques, que les oifeaux font fortis des eaux, eft fondé fur une interprétation de l'Ecriture, qui n'eft pas exemte de difficulté. En voicy l'endroit ".

Producant aquæ reptile animæ viventis, & voldtile fuper terram fub firmamento coli. Que les eaux produifent des poiffons vivans (car les Hébreux mettoient les poiffons au rang des réptiles ) & des oifeaux qui volent dans l'air. Ce paffage fembleroit faire en effet fortir les oifeaux de l'eau, fi P'hébreu laiffoit cette équivoque, mais voicy ce qu'il porte: Et que les oifeaux volent fur la terre. Par où on voit que Dieu ordonne que les poiffons foient produits dans l'eau, & que les oifeaux volent dans l'air. Or le commandement de voler de la part du créateur à des oifeaux qu'il crée, eft la même chofe que de les faire naître parfaits, luy des mains de qui rien ne fortit que d'achevé. C'est donc comme fi l'Ecriture difoit que Dieu ordonna aux poiffons de naître dans l'eau, & aux oifeaux de fe former fur la terre & de voler dans l'air, pour faire entendre qu'ils furent les uns & les autres parfaits dès Pinftant de leur création,

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Cette explication eft tirée de l'Ecriture même qui marque pofitivement ailleurs que les oifeaux furent formez de la terre, formatis de bu volatilibus, Par où l'on voit que ce qu'on

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Genef. c. J. V. 20. b C. 2. v. 19,

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a emprunté de l'hébreu eft une jufte interpréta tion de la vulgate, puifque dans ce dernier paffage elle eft conforme à l'hébreu. Ce n'eftoit donc que des poiffons tout au plus qu'on s'accordoit en Carême avec les légumes, & en cela feul confiftoit une grande partie du jeufne ; mais l'unité du repas y eftoit du moins auffi néceffaire, comme on le verra dans la fuite.

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CHAPITRE VIII.

Que le jeufne des chrétiens confiftoit dans P'unité du repas: Que ce repas devoit fe faire le foir.

'ESSENCE du jeufne, fuivant le témoigna

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Lge d'un favant évêque 4 d'Orleans, ne confifte pas tant dans l'abftinence de certaines viandes, que dans l'obfervance à ne manger que le foir. Cecy eft fi vray, que difner & jeufner font des termes contraires ou oppofez parmy les anciens peres. C'est pourquoy on trouve dans faint Jérôme que les moines dînoient à midy au lieu de fouper le foir, dans les temps qu'ils ne jeufnoient pas, tel qu'eftoit celuy de Pâques. Saint Paulin évêque de Nole racontant à un de fes amis qu'il avoit fait jeufner avec luy la perfonne qu'il luy avoit envoyé, luy dit qu'ils avoient foupé enfemble. Enfin l'on voit dans Caffien, que les jours de Dimanche & semblables aufquels on ne jeufnoit pas, les religieux ne mangeoient qu'une fois, favoir à midy, quoiqu'on préparaft un autre repas le foir pour ceux qui voudroient en ufer; mais que ce repas ne fervoit a Theodulph. capitul. n. 40. b Thomaff. p. 98. ¢ Ad Eustoch. de cuftod, virgin, d Epift, 6. ad Amand. e L. 3. inftit. c. 1ật

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qu'aux infirmes & aux hoftes. Saint Grégoire de Nyffe marque l'heure de ce repas, qui eftoit le coucher du foleil. Les jeufnes des Juifs duroient auffi jufqu'au foir ; & les Turcs encore aujourd'huy prolongent le leur jufqu'à ce temps. La regle générale a donc, toujours efté de ne rom pre le jeufne en Carême que fur le foir; à quoy fert, dit faint Jean Chryfoftome, de ne pas manger pendant tout le jour, fi on le paffe à jouer, à jurer, à blasphémer? Théodulphe ƒ difoit à peu près la même chofe dans le neuviéme fiecle; il reproche à plufieurs perfonnes l'empreffement avec lequel ils couroient à table dès l'heure de nones: Mais ce n'eft pas jeufner, ajoute t-il, que de manger avant l'heure de vefpres. Et c'eftoit à cette même heure qu'on rompoit le jeufne du temps de faint Epiphane & de faint Irenée, coutume qui fubfiftoit encore dans le fiecle de faint Bernard : Jufques à préfent, dit-il, (parlant des petits jeufnes qu'on rompoit à nones) nous avons jeufné feuls jufqu'à nones ; mais en ce temps (c'eftoit celuy du Carême) nous allons jeufner jufqu'au foir avec tout le monde › avec les rois & les princes, le clergé & le peuple, les bourgeois les nobles, les pauvres & les riches.

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Mais vers le milieu du treiziéme fiecle l'heure de l'unique repas fe trouva approchée à nones, & dans le quatorziéme à midy. Ce ne fut pas fans regret pour les gens de bien, qui crurent que le changement du fouper en diner, alloit devenir le tombeau du jeufne eccléfiaftique; c'cft pourquoy les évêques ", & en particulier celuy de Paris, recommandoient encore à leurs peuples, dans le feiziéme fiecle, l'ancienne difcipline du

Orat. in princip. jejun. b Polydor. Vergil. p. 427. Judith, c. Rois, 2. c. 1. Boemus Auban. p. 126. d Bailler, p. 133. Homil. 6. f Capitul. g Pafmanf. thef. 7. h Sermon se in quadrag, i Pafmanf, th. 7. 1 Ibid. m Baillet, p. 134. a Ibid,

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jeufne. Charlemagne & fa cour donnerent peuteftre occafion à cette anticipation du souper, car pour ne pas obliger fes officiers à manger trop tard, il fit avancer fon repas vers midy. Il fe pratiquoit auffi une pareille anticipation du fouper vers ce temps dans toute l'Italie, mais on demeura plus fidele & plus exact là-deffus en France & en Angleterre, jufqu'à ce qu'enfin on transfera le fouper à midy dans le quinziéme fiecle.

Ce relâchement n'arriva pas tout d'un coup, il eut fes degrez infenfibles, mais toujours en s'éloignant de la regle; car il n'eft plus de regle dès qu'une fois on s'eft laiffé aller au penchant de la nature. On commença par croire qu'on pouvoit en Carême comme dans les autres jeufnes manger à nones, c'eft-à-dire à trois heures après midy. D'autres crurent que la regle de ne rompre le jeufne qu'après vêpres ne regardoit que ceux qui affiftoient aux offices, & que les autres fatisfaifoient à l'obligation du jeufne en ne mangeant qu'à trois heures f

Ce qui aida beaucoup les peuples à fe défaire du fcrupule de rompre le jeufne à cette heure, fut la doctrine que les fcholaftiques commencerent d'établir dans le treiziéme fiecle, qu'il n'eftoit point néceffaire d'attendre à ne manger que fur le foir en Carême. Alexandre de Hales, qui a paffé pour le maiftre de faint Thomas & de faint Bonaventure, autorifa ce qui avoit paffé jufques-là pour un relâchement. Il enfeigna fur des raifons de fpiritualité & de convenance inouyes jufqu'alors, que l'heure la plus convenable pour rompre le jeufne eftoit celle de trois

a Baillet, p. 135. Hemine, p. 82. b Baillet, p. 136. Pafmanf. th. 7. d Nihil ftabile ubi natura corrupta ceditur. Pafmanf. th. 7. eBaillet, p. 135. f 1bid. & Diff. de l'hemin. p. 84, # part. 4. q. 103, memb. 2. Diff. de l'hemin, 87,

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