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ne peut la coaguler ; mais fi peu reffemblante à un efprit ardent, que l'efprit de vin la coaguleroit peut-eftre, comme il paroift le faire dans les gouteux, & comme on le voit fixer & coagulerle fang luy-même.

Le vin donc & tout ce qui luy reffemble, eft moins favorable qu'on ne penfe aux befoins de la vie; le plaifir plûtoft que la néceffité luy a fait un fi gros party dans le monde, le palais féduit par la douceur de ce fuc enchanteur, a perfuadé les hommes, naturellement fenfuels, qu'une boiffon pour eftre utile devroit eftre flateufe & piquante; & l'on a crû que ce n'eftoit pas boire, fi on ne bûvoit quelque chofe qui aga çât le gout & piquât la langue: Noftrorum hominum palato nullus fapor nifi acer & mordax placet, ut nifi puncti fint, bibiffe fe nefciant.

Mais cela ne répond ni à l'intention de la nature, ni à la pratique de nos peres, qui donnoient la préférence à l'eau; en effet on apperçoit en elle un principe de fécondité, qui devroit la juftifier dans l'efprit de ceux qui la croyent fans force & fans action. C'eft dans les eaux que naiffent les plus grands des animaux, & la terre ne produit pas tant de prodigieux arbres & de fi nombreuses plantes, que dans les endroits où les eaux l'arrofent, ou la pénétrent. Pour appliquer à préfent ce principe aux befoins de la vie, jamais elle ne fut plus longue ni plàs faine, que dans les fiecles où on ne bûvoit que de l'eau ; & jamais les hommes ne furent fi vigoureux & fi puiffans, qu'avant la découverte ou l'ufage ordinaire du vin . Ce n'eft pas qu'on ne s'en foit fervy il y a long-temps, mais on en ufoit peu & rarement, plûtoft comme d'un remede que comme d'une boiffon ; & il feroit a Bellin. opufcul. b Boyl. hift. fangu. p. 12. 21. © Turnebus, de vino, p. 22. d. Ibid. paffim, e Baccias, de vinis, p. 13. 15、 Turneb. de vin. p. 26,

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encore tel, fi la coutume n'en avoit corrompu l'ufage. Les Grecs furent grands & puiffans, tang qu'ils ne bûrent que de l'eau ; & les François d'aujourd'huy feroient auffi hauts & auffi grands que les auteurs' nous les décrivent, fi comme alors ils ne bûvoient que de l'eau. Les Gaulois furent tels tant qu'il n'y eut en France ni pommiers ni vignes, c'est-à-dire jufqu'à Jules Céfar 4. On y en planta peu de temps après luy : eh plût à Dieu que l'édit de Domitien, qui les fit arracher des bords de la feine, eût fubfifté ! Mais l'empereur Probus les permit, & on en vit à Paris fous Julien l'apoftat, qui fut d'abord proconful des Gaules, puis proclamé enfuite empereur f. Jufques-là cependant le mal n'eftoit qu'à demy fait, car on fut encore quelque temps fans faire du vin en France; & les François ou leurs voifins paffoient toujours pour de puiffans corps d'hommes, témoins les Bourguignons, qu'un auteur appelle des hommes de fept pieds". Mais le vin devenu enfin journalier, diminua du volume des corps, à mesure qu'il affoiblit les fantez, & qu'il abbrégea la vie. Les enfans partageant les vices des peres & expiant leurs fautes, devinrent moins grands, parce que le vin durciffant les os & defféchant les nerfs arrétoit leur croiffance & avançoit leur vieilleffe. Ce fut un feu fecret, plus capable d'avancer les corps, que de les perfectionner, femblables à ces fruits précoces que le feu fait paroiftre avant que de les meurir. Les paffions s'allumérent donc avant le temps, l'incontinence forma les mariages, & les fexes trop avancez fe prefferent trop de peupler le monde ; mais çe ne furent plus que des ébauches de corps, fi on a Homer. paffim. b Cafar. Tit. Liv. Ammian. ‹ Turneb. de vino, p. 22. d id. ibid. e Traité de la police, p. 70. 72. 75. 76, Ibid. en 360.8 Turneb. de vino. 22. Septipedes, Sidon,

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ofe le dire, que ces productions prématurées,
fi on les compare aux enfans de ces anciens Gay-
lois, dont la raifon plûtoft que l'incontinence,
& la réfléxion plûtoft que le crime, faifoit des
peres. On voit encore aujourd'huy parmy les
nations qui fe paffent de vin, que les enfans ne
deviennent pas fi-toft peres, mais qu'ils demeu-
rent plus long-temps jeunes: Apud Germanos vini
ignaros fera juvenum venus eft, & inexhaufta pu-
bertas. Il ne faut pas s'étonner après cela, fi on
a ofé avancer qu'il n'eft pas de vin innocent,
Ego vinum nullum innocens puto; & que de fages
loix devroient en reprimer l'abus
, parce que
c'eft un ennemy domeftique, & un poifon fa-
milier qui va à déranger la raison, Vinum noftrum
obumbrat prudentiam, & à alterer la fanté. En effet
fans fe borner au goût qu'il enchante, il paffe
plus loin; car il faifit infenfiblement l'efprit, &
furprend le coeur. C'est même une forte de poi-
fon qui mene à la fureur: car c'en eft une que
la paffion d'aujourd'huy avec laquelle on boit le
vin, plûtoft ce femble pour allumer fes fens,
que pour foulager fes ennuis : Quòd venenum vi,
num fit arguunt infanie f. Dira-t-on qu'on en boi-
ra sobrement ? Mais c'eft fouvent un excès de
s'accorder peu une chofe qu'il faudroit peut-
eftre s'interdire pour toujours: Ecquis lineas non
tranfilit in eo, cujus quotidie cyathum guftasse propè
nimium fit? Puis donc que le vin ett fi peu
néceffaire, & moins encore naturel à l'homme,
puifqu'il eft même contraire à fa fanté, qui ne
s'accommode que de ce qui eft doux,

Nil..... committere venis
Nil nifi lene decet ".

refte à conclure qu'il eft encore moins convenable à l'esprit du jeufne & de la pénitence. Turnebus, de vino paffim. b Id. p. 21. c Traité de la volice, p. 580. &c. d Turneb. de vino, p. 21. © Athen. p. 43. £ Turneby de vin. 27. € Ibid. p.22. ↳ Horats

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CHAPITRE IX.

De l'usage du thé.

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L femble qu'on fe foit tout permis pour se don Iner le plaifir de boire, our sell laiffé pren dre à tout ce qui pouvoit y attirer; & la crainte même de s'empoilonner ou de prendre des boiffons mortelles ou dangereufes, n'a pû fur ce fus jet retenir les hommes; Alia irritamenta excogitantur bibendi etiam causâ venena conficiuntur *. C'est ce que la multiplicité des boiffons, que le luxe des Romains avoit introduit, fit dire à Pli ne, qui comtoit déja de fon temps au moins 195, fortes de boiffons différentes: Quantò in potu ingeniofior vita apparebit, ad bibendum generibus centum nonaginta quinque excogitatis? Seroit-on moins bien fondé aujourd'huy à faire les mêmes plaintes contre cette variété dangereuse, de tant de liqueurs ardentes, auffi mortelles & autant multipliées qu'autrefois, dont on s'empoisonne aujourd'huy? Ce n'eft pourtant point de celles-là qu'on entreprend de parler icy, car outre qu'on veut croire qu'on s'interdira, du moins en Carême, ces boiffons autant contraires à la fanté, que funeftes à la vertu, on fe renferme à ne traitter que de celles que la mode a mifes de tous les repas, & que des gens fages & reglez d'ailleurs, s'accordent journellement.

C'eft du thé, du café & du chocolate qu'on va parler de ces liqueurs barbares ou étrangeres, que la coutume toute feule a naturalifées. Car le monde toujours & par tout féducteur, n'offre pas moins au Méxique & à la Chine qu'en Europe, des pieges à la fanté, & des écueils à la ver Plin. 1. 14. p. 158. b lbid. p. 161,

tu; & la découverte d'un nouvel hemifphere, eft devenue celle de nouveaux dangers pour l'une & pour l'autre. Les Romains bûrent à la grecque, & fe perdirent les François boivent en Arabes & en Chinois, n'eft-ce point adopter un goût barbare? Et peut-on n'en rien craindre ?

C'est du moins une chofe dont on pouvoit fe paffer, que l'ufage habituel de ces boiffons, puifqu'on s'en eftoit toujours paffé: la volupté donc aura plus fervi à les établir, que l'utilité. C'estpourquoy l'on demande la place qu'on doit ou qu'on peut donner à ces boiffons en Carême ? On en jugera par l'hiftoire qu'on en va faire.

'Ze Le thé eft la boiffon des Chinois, parmy lef the. quels elle ne paroît pourtant pas fort ancienne, puifque les voyageurs n'ont commencé d'en parler qu'en 1578. Une autre preuve que leurs ancêtres ne l'ont point connu, c'eft que parmy les caracteres ou lettres hieroglyphiques, qui compofent leur écriture, il ne s'en trouve aucune dans leurs plus anciens livres, pour exprimer le thé. La coutume de boire chaud', aura peut eftre donné occafion à la découverte du thé, & à la réputation qu'il s'eft faite; car cette coutume eft ancienne dans le monde, puifqu'elle eftoit commune chez les Grecs & les Romains aufquels l'eau chaude eftoit devenue délicieufe. C'ett de là, dit Varron, qu'on appella calix, le vaiffeau dans lequel on boit, parce qu'on bûvoit chaud : Calix à calido, quòd in eo calidum bibebant. De là vient encore l'ufage des gobelets de terre, qu'on préféroit alors à ceux de cryftal & de verre, par ce qu'ils réfiftoient mieux à l'eau chaude,

Nullum follicitant hæc, Flave, toreumata furem,
Et nimium calidis non vitiantur aquis d.
Ce plaifir de boire chaud eftoit tellement du goût
a Vvorm. Muf. p. 165. b v.
Varr. 1. 4. de ling. latin.

Mappum, de potu calido fparfim.
Martial, epigr. 61, 1. 12.

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