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laire, grand capitaine, austère dans ses moeurs sévère à lui-même comme aux autres, et qui avoit conservé encore la tempérance et le désintéressement des premiers Romains.

Ces deux généraux mirent à la voile avec une flotte de trois cent quarante aisseaux, et chargée de cent quarante mille hommes de débarquement. Les Carthaginois leur opposèrent une flotte aussi nombreuse, composée de vaisseaux plus légers, et qui alloient mieux à la voile. Mais il s'en falloit beaucoup que le soldat carthaginois égalât le romain en valeur. Le combat fut long et opiniâtre, et la fortune passa plus d'une fois de l'un et de l'autre côté. Tant que les vaisseaux combattoient, pour ainsi dire, plutôt que les hommes, les Carthaginois l'emportérent parleur adresse et par leur expérience. Mais les Romains, qui montoient des vaisseaux grossièrement construits, pesans et lourds, ayant accroché ceux des Carthaginois, on commença à se battre de pied ferme et comme sur terre. Pour lors la valeur des Romains, qui combattoient à la vue de leurs consuls, l'emporta sur des étrangers et des troupes auxiliaires, gens qui ne font la guerre que comme ils feroient un métier seulement pour vivre et sans amour pour la gloire, ni zèle pour le parti qu'ils servent. La flotte carthaginoise se dispersa par la fuite, et le passage demeura libre aux Romains qui, après avoir abordé aux côtes d'Afrique, prirent. d'emblée la ville de Clupéa, et ravagèrent ensuite le pays ennemi, d'où ils enlevèrent vingt mille captifs.

Les consuls envoyèrent à Rome donner avis decette victoire, et demander de nouveaux ordres. Le sénat leur fit savoir qu'il souhaitoit que Manlius ramenât en Italie une partie de la flotte dont on pouvoit avoir besoin pour conserver les conquêtes de la Sicile, et que Régulus restât en Afrique pour y faire la guerre. Le temps de son consulat étant expiré, on lui continua le même emploi avec le titre de proconsul.

Mais peu de temps après il demanda un successeur et son congé, sur les avis qu'on lui donna, que le fermier qui cultivoit sept arpens de terre, en quoi consistoit tout le bien de ce général, étoit mort, et que son valet avoit dérobé les outils nécessaires au labourage. Régulus représenta au sénat, par ses lettres, que sa femme et ses enfans étoient exposés à mourir de faim, si, par sa. présence et son travail, il ne rétablisscit lui-même ses affaires domestiques. Le sénat, pour ne pas interrompre le cours des victoires de Régulus, ordonna qu'on fourniroit des alimens à sa femme et à ses enfans, que sa terre seroit cultivée aux dépens du public, et qu'on achèteroit de nouveaux instrumens nécessaires pour le labourage récompense modique, si on en considércit le prix, mais qui fait plus d'honneur à la mémoire de ce vertueux Romain, que tous ces titres pompeux dont on décore tous les jours les terres de ces hommes nouveaux, qui ne se sont enrichis que par des brigandages, et dont les noms ne seront peutêtre connus dans la postérité, que par les calamités que leur avarice a causées dans les pays où ils ont fait la guerre.

Manlius ramena sur les côtes d'Italie une partic de la flotte chargée de butin et de vingt-sept mille prisonniers. Régulus, de son côté, ayant reçu les ordres du sénat, continua ses conquêtes. Les Carthaginois voulurent s'y opposer on en vint à une bataille où ils furent défaits, et où ils perdirent leurs meilleures troupes. Cette nouvelle victoire acheva de jeter la consternation dans tout le pays plus de quatre-vingts places se rendirent aux Romains. Les Numides, anciens sujets des Carthaginois, se soulevèrent en même temps et ravagèrent la campagne, et les paysans qui fuyoient de tous côtés, se jetèrent dans Carthage, où, par leur nombre et leur misère, ils causèrent bientôt la famine et des maladies contagieuses,

Les Carthaginois, qui ne se trouvoient point de

chefs ni de généraux assez habiles pour pouvoir les opposer à Régulus, envoyèrent jusqu'à Lacédémone offrir le commandement de leur armée à Xantippe capitaine célèbre dans son pays et dans toute la Grèce, et ils dépêchèrent en même temps les principaux de leur sénat pour demander la paix à Régulus. Ce général, qui eût été bien aise de remporter à Rome la gloire d'avoir terminé cette guerre, ne refusa pas d'entrer en négociation. Mais comme il tenoit Carthage investie par les différens corps de troupes qui en occupoient les environs, et qu'il n'y avoit point d'armée sur pied qui pût l'obliger à en lever le blocus, il prétendit donner la loi dans le traité, et il demanda que les Carthaginois lui remissent les places qui leur restoient dans la Sicile et la Sardaigne; qu'ils rendissent gratuitement à la république les prisonniers qu'ils avoient entre leurs mains, et qu'ils payassent, outre la rançon pour ceux de leur parti, les fraix de la guerre et un tribut tous les ans. Régulus prétendoit encore que les Carthaginois ne pourroient faire ni guerre ni alliance sans la participation du sénat ; qu'ils n'auroient qu'un seul vaisseau de haut bord, et que, sur les ordres qu'ils recevroient de Rome, ils seroient obligés de fournir cinquante galères équipées en guerre pour servir dans les endroits où les intérêts de la république le requerroient.

An de Rome 498. Les députés de Carthage représentèrent au général des Romains la dureté de ces conditions. Mais Régulus, qui se croyoit maître du pays, leur répondit fièrement, qu'entre ennemis il falloit vaincre ou recevoir la loi du victorieux. On se sépara sans rien conclure, et les magistrats cathaginois, irrités qu'on voulût exiger d'eux des conditions qui les réduisoient à un état peu différent de la servitude, firent prendre les armes à tous les habitans. Xantippe le lacédémonien arriva en même temps, se mit à leur tête, et ayant rallié ce qui leur restoit de troupes, sortit en pleine campagne, et

présenta la bataille aux Romains. Il choisit pour camper une plaine propre pour faire combattre les éléphans qu'il avoit dans son armée, et plus favorable à la cavalerie, en quoi il surpassoit les Romains. Régulus, par la même raison, et comme plus fort en infanterie, devoit chercher les montagnes et les hauteurs; mais ses soldats méprisant le général grec, et des troupes qu'ils avoient vaincues tant de fois demandèrent la bataille avec de grands cris. Régulus n'eut pas la force de leur résister la bataille se donna dans la plaine; il y fut défait son infanterie ne put résister à la cavalerie ennemie. Les Romains y perdirent plus de trente mille hommes, tant de leur nation que de leurs alliés, et le général luimême fat fait prisonnier. Les Carthaginois le traitèrent avec beaucoup de dureté, et plutôt en criminel qu'en prisonnier de guerre. On le chargea de chaînes et on l'ensevelit dans un cachot, où il resta pendant près de quatre ans. Il y auroit péri, mais les Carthaginois ayant pendant ce temps-là perdu des batailles considérables par terre et par mer, ils tirèrent Régulus de sa prison pour l'envoyer à Rome ménager la paix, ou du moins l'échange des prisonniers. Les magistrats, avant que de le faire embarquer, tirèrent de lui parole que s'il ne pouvoit rien obtenir des Romains, il reviendroit à Carthage reprendre ses fers on lui fit même entendre que sa vie dépendoit du succès de sa négociation.

Il ne tint pas au sénat que la paix ne se fit, ой du moins l'échange des prisonniers. Cette compagnie crut ne pouvoir acheter trop cher la liberté et la conservation d'un citoyen comme Régulus. Mais le plus grand obstacle à la conclusion du traité vint de la part de celui qui en étoit chargé. Régulus étant arrivé à Rome fit connoître au sénat qu'avec un peu de constance, et en continuant la guerre, on achèveroit de soumettre les Carthaginois. Qu'à l'égard de l'échange des prisonniers, tout l'avantage seroit du côté des ennemis, qui avoient à Rome leurs princi

paux officiers et leurs meilleurs soldats, au lieu que les Carthaginois n'avoient que peu de Romains, des gens avancés en âge, ou des lâches dont on ne pouvoit espérer aucun service. Enfin ce généreux Romain parla avec tant de force contre ses propres intérêts, qu'il fit résoudre la continuation de la guerre. Et sans vouloir entrer dans sa maison ni voir sa femme et ses enfans, de peur d'être attendri par leurs larmes, il retourna à Carthage pour dégager sa parole, et il y périt dans les plus cruels supplices.

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An de Rome 506. On reprit les armes de part et d'autre avec la même animosité. Les succès furent différens; enfin deux batailles navales que gagnérent les Romains, l'une sous le commandement de M. Fabius Butéo consul, et l'autre sous celui de C. Lutatius Catulus, forcèrent les Carthaginois à demander la paix tout de nouveau. (An de Rome 511.) Rome la leur accorda: mais Rome inflexible, quelquefois même cruelle envers des ennemis abattus, ne leur donna la paix qu'à des conditions trèsonéreuses. On exigea d'eux qu'ils remettroient aux Romains la place et le port de Lilibée dans la Sicile; qu'ils abandonneroient entièrement cette île ; qu'ils rendroient les prisonniers sans rançon; qu'ils livreroient les déserteurs et les transfuges; qu'ils payeroient comptant mille talens pour les fraix de la guerre; et deux mille deux cents en dix ans par forme de tribut. Les Carthaginois épuisés souscrivirent à tout, et le traité fut conclu sous le consulat de Q. Lutatius et de A. Manlius, l'an 512 de la fondation de Rome.

An de Rome 555. Mais ce fut moins une paix qu'une trève. Les Carthaginois, comme les plus foibles, ne l'avoient recherchée que pour avoir le temps de rétablir leurs forces. Ils ne se virent pas plutôt en état de soutenir une nouvelle guerre, qu'ils reprirent les armes avec fureur. Le siège qu'ils mirent devant Sagonte, ville d'Espagne, alliée des Romains, fut le prétexte de cette guerre, et An

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