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nibal le véritable auteur. Il étoit né soldat, et l'exercice continuel des armes en fit un grand capitaine. Ce fut dans cette guerre qu'il fit éclater ses talens supérieurs qui lui donnèrent tant d'avantages sur les généraux romains toujours juste dans ses projets ; .des vues immenses; le génie admirable pour distribuer dans le temps l'exécution de ses desseins; toute l'adresse pour agir sans se laisser apercevoir; infini dans les expédiens aussi habile à se retirer du péril qu'à y jeter les autres; du reste sans foi, sans religion, sans humanité, et cependant ayant su se donner tous les dehors de ces vertus, autant qu'il convenoit à ses intérêts.

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An de Rome 556. Tel étoit le fameux Annibal, lorsqu'il forma le plus hardi projet que jamais aucun capitaine eût osé concevoir, et que l'événement seul justifia. Du fond de l'Espagne il résolut de porter la guerre en Italie, et d'attaquer les Romains jusque dans le centre de leur domination sans y avoir ni places, ni magasins, ni secours assurés, ni espérance de retraite. Il traverse l'Espagne et les Gaules, passe les Alpes et vient camper fièrement jusque sus les bords du Tésin. Ce fut où se donna la première bataille; les Romains furent défaits, et le consul P. Cornélius Scipion leur général seroit tombé entre les mains des ennemis, si Publius Scipion son fils, n'eût accouru à son secours. Ce jeune homme, qui n'avoit pas encore dix-sept ans, voyant son père enveloppé d'un gros d'ennemis, perça seul jusqu'à lui, et écarta à coups d'épée tout ce qui l'environnoit, et le dégagea dans le temps qu'il alloit être pris ou tué.

An de Rome 537. Comme le détail de cette guerre n'est point de mon sujet, je me contenterai de remarquer que les Romains, sous le commandement et le consulat de Tibérius Sempronius, collégue de Scipion, perdirent une seconde bataille proche de la rivière de Trébie. La perte que fit Flaminius près du lac de Thrasimène, fut encore plus

grande; et la défaite de Cannes rait Rome à deux doigts de sa ruine. La république perdit cinquante mille hommes, et le vainqueur envoya à Carthage deux boisseaux de bagues d'or, pour faire connoître le nombre incroyable de chevaliers romains qui avoient été tués à cette bataille. Ce jour-là, si on peut parler ainsi, étoit le dernier des Romains, si Annibal eût su aussi-bien profiter de sa victoire, qu'il avoit su vaincre. Il n'avoit qu'à se présenter aux portes de la ville, et sans efforts il en faisoit sa conquête la consternation étoit générale dans Rome et à la campagne. Mais le général carthaginois, à qui un de ses officiers promettoit de donner à souper dans le Capitole, se laissa vaincre par les délices de Capoue, sous prétexte de donner un peu de repos à ses troupes : il s'arrêta après sa victoire dans la Campanie et, comme s'il eût craint de finir trop tôt la guerre, ou qu'il eût agi de concert avec les Romains, il leur laissa le temps de revenir de leur consternation. Un léger retardement fut leur première ressource. Le jeune Scipion en sut profiter et celui qui avoit sauvé la vie à son père dans la bataille du Tésin sauva toute l'Italie après la ba

taille de Cannes.

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Il n'étoit alors que tribun dans une légion, et il s'étoit retiré le soir d'après la bataille, comme beaucoup d'autres officiers, dans une ville voisine qui tenoit encore pour les Romains. Scipion apprit que ces officiers qui étoient des premières maisons de Rome, et la seule ressource de la république, s'étant assemblés chez un certain Métellus, désespérant du salut de l'état, faisoient le dessein de s'embarquer au premier port, et d'abandonner l'Italie. Un si indigne complot excita toute son indignation; il résolut de s'y opposer au péril même de sa vie, et se tournant vers d'autres officiers qui se trouvèrent chez lui: Que ceux leur dit-il, à qui le salut de Rome est cher me suivent. Il sort, và droit dans cette maison où se tenoit ce conseil ; il y entre, et mettant l'épée

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à la main : « Je jure, dit-il, que je n'abandonnerai jamais la république, et que je ne souffrirai point qu'aucun de nos concitoyens l'abandonne. » Et s'adressant ensuite à Métellus : « Il faut, lui dit-il, que toi et ceux qui sont ici, fassiez les mêmes sermens ou je vous tuerai tous. » Ces menaces, le feu et la colère qu'il avoit dans les yeux, son zèle pour sa patrie, son courage, son intrépidité, tout cela leur fit faire sur-le-champ les mêmes sermens: la honte même d'avoir été surpris dans un pareil projet, rappela leur ancienne valeur; ils se donnèrent la foi mutuellement, et ils se promirent de s'ensevelir plutôt sous les ruines de leur patrie, que de l'abandonner. Chacun se dispersa dès le matin les uns se rendirent à Rome pour la défendre, si l'ennemi en formoit le siége; d'autres travaillèrent ou à rallier les fuyards, ou à faire de nouvelles levées à la campagne. Les habitans de Rome, qui croyoient voir à tous momens Annibal à leurs portes, commencèrent à respirer. Le sénat se rassura; le petit peuple reprit courage, et quoiqu'il n'y eût à Rome ni hommes, ni argent, on trouva tout cela dans cet amour pour la république, qui faisoit le véritable

ni armes,

caractère d'un Romain. Les uns donnoient libéralement leurs esclaves pour en faire des soldats, d'autres apportoient, à l'envi, ce qu'ils avoient d'or ou d'argent, et on détacha de la voûte des temples de vieilles armes qui y avoient été pendues comme des trophées, et dont on arma en partie cette nouvelle milice.

La guerre recommença avec une nouvelle ardeur. Le sénat en donna la conduite à Q. Fabius Maximus, qui, en évitant de combattre, trouva le secret de vaincre Annibal. Le général des Carthaginois avoit besoin, pour ainsi dire, de continuels succès pour se pouvoir maintenir dans un pays si éloigné du sien, et où il se trouvoit souvent sans argent, sans vivres et sans tirer aucun secours de l'Afrique. Toute sa ressource étoit dans l'affection

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infinie de ses soldats dont il étoit adoré. On ne peut assez s'étonner que dans une armée composée d'aventuriers numides espagnols, gaulois et ligu riens, qui souvent manquoient de pain, la présence seule d'Annibal ait étouffé jusqu'au moindre murmure, et que la plupart, sans entendre le langage les uns des autres, conspirassent mutuellement à faire réussir les desseins de leur général.

Mais quelqu'habile qu'il fût, il fallut que sa capacité cédât à la conduite et à la fortune des Romains. Ils reprirent sur lui la supériorité qu'ils avoient perdue par les premières batailles : ce fut alors qu'il reconnut que dans les affaires de la guerre il y a des momens favorables et décisifs qui ne reviennent jamais. Et le jeune Scipion devenu général lui apprit par une dure expérience qu'il pouvoit être vaincu.

An de Rome 541 et 542. Corn. P. Scipion, son père, et Cnéus, son oncle, étoient péris en Espagne, où ils commandoient les armées de la république. Par la mort de ces deux frères, l'Espagne eût été entièrement perdue pour les Romains, si un simple chevalier appelé L. Martius, n'eût rallié les fuyards, et défait l'un des deux Asdrubal, qui commandoit dans ces provinces l'armée des Carthaginois. Cependant personne à Rome n'osoit demander la conduite de la guerre dans un pays où les ennemis étoient encore si supérieurs. Le jeune Scipion, quoiqu'il eût à peine vingt-quatre ans, se présenta, et il crut qu'il n'appartenoit qu'à lui de venger la mort de son père et de son oncle. Il y fut envoyé avec le titre de procensul: il y battit les généraux ennemis en plusieurs rencontres, et cinq ans après son arrivée il ne resta pas un seul Carthaginois en Espagne.

De là il passa en Afrique presque malgré le sénat ; et comme son entreprise paroissoit téméraire, la république ne voulut au commencement lui fournir ni troupes ni argent. Sa réputation, sa valeur et son affabilité lui donnèrent des soldats. C'étoit à qui prendroit parti sous un si grand capitaine; il eut

bientôt une armée considérable. C'étoit un autre Annibal; il en avoit toutes les vertus, sans en avoir les défauts. Il aborda en Afrique pendant que les Carthaginois continuoient la guerre en Italie. An de Rome 551. Il mit d'abord dans les intérêts de la république les rois Syphax et Massinissa. Le premier changea depuis de parti; il fut défait dans une bataille sanglante, avec Asdrubal, général des Carthaginois, et il eut le malheur de tomber entre les mains de Lélius le Sage; c'est ainsi que Cicéron appelle cet officier, qui étoit l'ami intime et un des lieutenans de Scipion.

Je ne m'arrêterai point au détail de cette guerre. Scipion, après avoir remporté une seconde victoire sur les Carthaginois, leur fit craindre à leur tour de le voir devant leurs murailles. Annibal fut rappelé au secours de sa patrie, et il repassa en Afrique la seizième année de cette guerre. On parla d'abord de paix, il y eut même une entrevue entre Scipion et Annibal; mais n'ayant pu convenir entre eux, on vit bien que l'épée seule décideroit des prétentions des deux républiques.

On en vint bientôt aux mains : le combat se donna auprès de Zama. Il étoit question de l'empire et de la liberté ; l'un et l'autre général déploya en cette occasion tout ce qu'il avoit de capacité, soit pour profiter de la disposition des lieux, soit pour ranger les troupes en bataille. Les soldats de leur côté combattirent en hommes qui étoient animés de l'esprit et du cœur de ces deux grands capitaines. Le succès fut long-temps douteux; enfin la victoire demeura à Scipion. Les Carthaginois perdirent vingt mille hommes, qui furent tués dans cette bataille, et on en prit autant qui furent faits prisonniers de guerre.

An de Rome 552. La paix fut le fruit de la victoire. Les Carthaginois épuisés la demandèrent du consentement même d'Annibal. Les Romains ne l'accordèrent qu'à des conditions qu'on pouvoit regarder comme une seconde victoire. Ils ôtèrent aux Carthaginois

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