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consul, dévoré d'ambition, et qui cachoit de vastes projets, n'étoit pas fâché de s'attacher ces sortes de gens sans bien et sans aveu, et qui ne pouvoient subsister que par sa protection. Il s'embarqua ensuite avec ses nouvelles levées, et arriva bientôt en Afrique.

Métellus n'apprit qu'avec un violent chagrin qu'on lui eût donné un successeur, sur-tout dans une conjoncture où la guerre paroissoit presque finie, et qu'il ne restoit plus qu'à se rendre maître de places peu importantes. On prétend que cet homme si grand et si sage ne put s'empêcher de verser des larmes aux premières nouvelles qu'il en reçut. Salluste, dont j'ai tiré la plupart de ces événemens, rapporte que cette injure si sensible à un général auroit moins fait de peine à Métellus, si le choix de la république étoit tombé sur un autre que sur Marius, qu'il regardoit toujours comme sa créature, et comme un ingrat, qui n'avoit décrié sa conduite que pour s'élever sur les ruines de sa réputation. Comme il ne put se résoudre à voir un homme qui lui étoit si odieux, il chargea Rutilius, un de ses lieutenans, de remettre son armée à Marius et il partit ensuite pour Rome, où il arriva très-promptement.

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Son retour, et le compte qu'il rendit du succès de ses armes ; les villes qu'il avoit prises, les provinces qu'il avoit conquises, et les batailles qu'il avoit gagnées, tout cela fit tomber et dissipa les mauvais bruits que Marius avoit répandus contre lui on vit renaître l'estime et le respect que le peuple avoit pour ce grand homme. Velléius Paterculus nous apprend qu'on lui décerna tout d'une voix l'honneur du triomphe, avec le surnom de Numidique; et on remarqua, dit cet historien, que dans le même temps il y avoit à Rome plus de douze magistrats de la même maison que Métellus, qui, en moins de douze ans, avoient été élevés aux premières dignités de la république; les uns, au consulat; d'autres,

à la censure, et plusieurs qui avoient ajouté à ces dignités la gloire du triomphe.

Marius, étant débarqué sur les côtes d'Afrique, y vit arriver peu après Cornélius Sylla, son questeur, qui lui amena un puissant corps de cavalerie, qu'il avoit levé chez les Latins. Les questeurs étoient les trésoriers-généraux de la république on les croit aussi anciens que la fondation de Rome; d'autres renvoient leur origine aux consuls, comme nous l'avons déjà dit. Il y en avoit deux qui restoient toujours à Rome, et on y en ajouta d'abord deux autres, et ensuite un plus grand nombre, qui accompagnoient ordinairement les généraux à l'armée. Il falloit avoir au moins dix ans de service pour parvenir à cet emploi ; et quoique les questeurs n'eussent aucune juridiction dans la ville, ils ne laissoient pas d'avoir des commandemens particuliers à l'armée. D'ailleurs, comme tout semble dépendre de ceux qui ont l'administration des finances, on vit des consulaires briguer cet emploi. Titus Quintius Capitolinus, après trois consulats, ne se crut pas déshonoré par cette charge. Caton l'Ancien l'accepta, après avoir été honoré du triomphe; enfin il fut ensuite ordonné par la loi Pompéïa, qu'on n'admettroit plus dans la questure que des consulaires; ce qui nous fait voir en quel rang les hommes les plus jaloux de leurs dignités et de leur naissance, mettent l'argent et les finances.

Sylla, avant cette loi, y parvint vers sa trenteunième année. Il sembloit, dit Velléïus Paterculus, que les destins, en approchant Sylla de Marius eussent voulu unir ces deux hommes, et prévenir les malheurs que leur discorde produisit depuis dans la république. Mais puisque l'un et l'autre vont jouer un si grand rôle dans l'histoire, il est bien juste de faire connoître un peu plus particulièrement Sylla, après sur-tout que nous avons déjà tracé le caractère de Marius.

Lucius Cornélius Sylla, patricien, et d'une des

plus

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plus illustres familles de Rome, étoit bien fait, de bonne mine, l'air noble, les manières aisées, pleines de franchise en apparence, et qui sembloient laisser voir à découvert le fond de son cœur; naturellement insinuant, persuasif, éloquent; il aimoit les plaisirs, et encore plus la gloire. Šon devoir marchoit devant tout; il savoit se livrer et s'arracher aux voluptés avec la même facilité. Il vouloit plaire à tout le monde modeste dans ses discours s'il étoit question de parler de lui-même; prodigue de louanges pour les autres, et encore plus d'argent; il en prêtoit avec plaisir à ceux qui avoient recours à lui, et prévenoit ceux qui en avoient besoin, et qui n'osoient fui en emprunter. Il ne le redemandoit jamais, et il sembloit qu'il voulût acheter l'armée entière. Familier sur-tout avec les simples soldats, devenant soldat lui-même, il en prenoit les manières grossières, buvoit avec eux, les railloit, et souffroit avec plaisir d'en être raillé ; mais hors de la table, sérieux, actif, diligent. C'étoit un Protée à qui ces différens personnages ne coûtoient rien, et ses vertus et ses défauts étoient également couverts par une profonde dissimulation, qui le rendoit impénétrable, jusque dans ses plaisirs les plus secrets aux compagnons même de ses débauches.

Tel étoit Sylla lorsqu'il arriva en Afrique et dans l'armée de Marius. Il s'appliqua d'abord à mériter l'estime des gens de guerre, par son assiduité à toutes les fonctions militaires; soit qu'il fallût combattre ou se retrancher, on le trouvoit par-tout. Il couroit dans les endroits où il y avoit le plus de péril, avec la même gaieté que ceux qui en reviennent. Une noble émulation lui faisoit demander les emplois les plus dangereux, et il ne fut pas long-temps sans acquérir également l'estime du général et des soldats: Marius même lui donna dans la suite un corps de troupes séparé, qu'il commandoit en chef. Je n'entrerai dans le détail de cette guerre qu'autant que cela peut servir à lier les différentes parties de mon Tome II.

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sujet. Il suffit de remarquer que Jugurtha, avant l'arrivée de Marius en Afrique, poussé à l'extrémité de ses états par Métellus, s'étoit fait un protecteur et un allié d'un roi voisin, nommé Bocchus. Ce fut encore contre ces deux princes que Marius eut affaire. Il prit Capsa, grande ville et fort peuplée, et il se rendit maître ensuite de cette forteresse devant laquelle Aulus Albinus avoit échoué. On en vint bientôt aux mains. Les deux rois, à la faveur d'une marche dérobée, surprennent les Romains, les attaquent de nuit, portent par-tout la terreur, tuent beaucoup de monde, et auroient remporté une victoire complète, si les ténèbres leur avoient permis de connoître tout leur avantage et d'en profiter. Marius eut bientôt sa revanche; et presqu'avant qu'on eût su à Rome l'échec qu'il avoit reçu dans la première occasion, on y apprit qu'il avoit défait les deux rois dans deux batailles décisives, et qu'il les avoit mis l'un et l'autre hors d'état de tenir la cam pagne.

An de Rome 647. Bocchus, ayant éprouvé dans ces deux combats la valeur et la fortune des Romains, ne jugea pas à propos de hasarder sa couronne pour défendre celle de son allié; il résolut de faire sa paix, et il envoya des ambassadeurs jusqu'à Rome pour la demander.

Ces ambassadeurs, étant admis dans le sénat, dirent que le roi leur maître avoit été surpris par les artifices de Jugurtha; qu'il se repentoit d'un pareil engagement, et qu'il demandoit l'alliance et l'amitié des Romains. On leur répondit en ces

termes :

« Le sénat et le peuple romains n'oublient ni les services ni les injures; puisque Bocchus se repent de sa faute, ils lui en accordent le pardon; et pour ce qui est de la paix et de leur alliance, il les obtiendra quand ils les aura méritées. » Bocchus, embarrassé d'une pareille réponse, fit demander secrétement à Marius de lui envoyer son questeur. Sylla

alla le trouver on traita de différens moyens qui pouvoient servir à établir la paix « Vous n'en avez point d'autre, dit Sylla à Bocchus, que de nous livrer Jugurtha; par là vous réparerez l'imprudence et les malheurs de votre premier engagement, et ce sera le prix de notre alliance et de notre amitié. » Bocchus se récria d'abord contre cette proposition, et il représenta à Sylla qu'une pareille infidélité envers un prince à qui il avoit donné sa foi, attacheroit une honte éternelle à sa mémoire. Ce fut le sujet de différentes conférences qui se firent entre ce roi et le questeur des Romains. Mais Sylla, qui étoit pressant et éloquent, revint si souvent à la charge, et il sut si bien lui représenter qu'il n'y avoit qu'un grand service qui put balancer le tort qu'il avoit eu de se déclarer contre les Romains, qu'il le détermina enfin à lui livrer Jugurtha. Ce prince fut trahi et arrêté, sous prétexte d'une conférence que Bocchus lui avoit demandée: on le chargea de chaînes, on le livra à Sylla, qui le remit ensuite à Marius, son général; et par la captivité de ce malheureux prince, la guerre de Numidie fut finie.

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An de Rome 649. Une si heureuse nouvelle ne pouvoit venir à Rome plus à propos. On venoit d'y apprendre qu'une multitude prodigieuse de Barbares sortis du Nord, s'avançoient du côté du Midi, et menaçoient toute l'Italie: on résolut de leur opposer Marius, qui jouissoit alors de cette faveur et de ces applaudissemens que donne une victoire récente. On le nomma consul pour la seconde fois, contre la disposition des loix, qui ne permettoient pas d'élire un absent pour consul, et qui exigeoient même dix

ans d'intervalle entre deux consulats; on ajouta à ces grâces, si pleines de distinction, le gouvernement de la Gaule Narbonnoise, et on lui décerna en même temps les honneurs du triomphe. Jugurtha, chargé de chaînes, en fit le principal ornement. Il étoit traîné comme un esclave à la suite du char de Marius. Ce prince, après cette cérémonie, fut

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