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intelligente qui ne feroit ni un esprit pur, comme l'Ange; ni un efprit uni à un corps, comme l'ame humaine, eft - elle poffible? A votre question ainfi présentée, vous voyez, Monfieur, qu'on ne peut répondre que négativement; à moins que vous ne conceviez quelque milieu entre une fubftance intelligente unie à un corps, & une fubftance intelligente qui n'eft pas unie à un corps. J'ajoute que quand même cette intelligence mitoyenne n'impliqueroit pas contradiction, elle ne feroit d'aucune reffource pour votre fyftême; puifque le principe fpirituel dont vous animez les brutes, y eft uni à la matiere.

L'ABBÉ. Auffi la queftion roule-t- VIL elle fur une fubftance qui, quoique fenfible & penfante, feroit différente de l'Ange; qui, quoique unie à la matiere, feroit différente de l'ame humaine.

LE COMMANDEUR. La queftion fera

dès-lors bientôt décidée, en ne confidérant cette fubftance que fous le rapport qu'elle a avec le monde intellectuel. Car il ne s'agit plus que de fçavoir si une fubftance intelligente, qui ne feroit ni intelligence comme l'Ange, ni intelligence comme l'ame humaine, feroit poffible.

LA COMTESSE. Il eft bien évident que non. Car cette fubftance feroit intelligente & elle ne le feroit pas. Elle feroit intelligente, en tant qu'elle appartiendroit au monde intellectuel, & elle ne le feroit pas, en tant qu'on ne pourroit pas dire d'elle, comme de l'Ange ou de l'ame humaine, que l'idée d'intelligence lui convient.

LE COMMANDEUR. On ne doit donc VIII. entendre par ces fubftances intelligentes qui, quoique douées de la faculté de fentir& de penfer, ne feroient cependant ni Anges, ni ames humaines, que des êtres plus bornés ou dans le nombre ou dans l'exercice de leurs facultés, que ne

le font & l'efprit pur & l'ame humaine même la plus imparfaite.

L'ABKÉ. C'eft, Monfieur, fur la poffibilité, ou l'impoffibilité de tels êtres qu'il eft queftion de prononcer.

LE COMMANDEUR. Je m'attacherai d'abord, Monfieur, au premier des deux membres qu'embraffe votre queftion: eft-il impoffible qu'un être intelligent foit pourvu de moins de facultés que ne le font l'ange & l'ame de l'homme?

Je répons, en premier lieu, que je ne conçois aucunêtre doué d'intelligence, qui ne foit doué de fentiment ou d'affection; qui ne foit connoiffance & amour; parce que dès qu'il eft intelligence, il a au moins la connoiffance de fes modifications. Mais pour connoître ce qui lui eft même le plus intime, fa maniere d'être, il faut qu'il en ait le fentiment. Or ce fentiment ne peut-être en lui qu'on ne l'y conçoive accompagné d'un

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degré quelconque de plaifir ou de peine. Il est donc capable de fentiment & d'af fection, par là même qu'il eft capable de connoître.

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Je répons, en fecond lieu, que je ne conçois aucun être doué de fentiment ou d'affection, fans quelque degré de connoiffance, & par conféquent fans la faculté de penfer. Car l'affection qui naît en lui du fentiment de fa maniere d'être, fuppofe qu'il fe plait ou fe déplait, à un degré quelconque, dans fa modification. Dès lors il connoit le plaifir & la douleur; car il ne fera jamais dans le cas de confondre le fentiment qui eft, en lui, douleur, avec celui qui, en lui, eft plaifir; jamais il ne s'y méprendra. D'ailleurs le fens intime n'eft en nous une règle infaillible du vrai, que parce qu'il fuppofe la connoiffance certaine de là modification dont nous avons le fentiment. En un mot, je ne conçois point que le fentiment ou l'affection puiffe fe trouver dans un être fans une connoiffance quel

conque; car on ne peut fentir, fans avoir une idée au moins confufe que l'on fent, dit l'Auteur des fingularités de la Nature: ni qu'il puiffe connoître, fans éprouver quelque degré de fentiment ou d'affection. Or toutes les facultés de la fubftance fpirituelle fe réduifent au fentiment & à la pensée; car fes connoiffances, à quelque degré éminent qu'on les imagine, ont toujours pour base la penfée; comme fes affections, quelle qu'en foit l'intenfité, ou l'objet, dérivent toujours du fentiment dans lequel la volonté elle-même trouve fon principe; puifqu'on peut la regarder comme le fentiment en action. De là, toutes les facultés des efprits fe réduifant à la penfée & au fentiment, & la faculté de penfer & de fentir, étant mutuellement inféparables, dans l'être confidéré précisément comme appartenant au monde intellectuel, il fuit que les nouveaux habitans qu'on veut lui donner, ont effentiellement les mêmes facultés que l'efprit que nous

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