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Pensées

pression.

sur un père, affligé de la mort de sa fille, Le père s'adresse au ciel.

Hâte ma fin que ta rigueur différe;

Je hais le monde et n'y prétends plus rien.
Sur mon tombeau ma fille devroit faire
Ce que je fais maintenant sur le sien.

Les pensées qui portent en elles-mêmes de l'agrément, n'ont pas besoin d'être ornées par l'expression. Elles doivent être rendues telles qu'elles se présentent à l'esprit de l'écrivain. Les mots sonores et brillans affoibliroient souvent une pensée forte. Si vous ajoutez à une pensée hardie des expressions magnifiques et pompeuses, vous la rendrez outrée. Si vous embellissez une pensée naïve, une pensée vive, l'une et l'autre cesseront de l'être. Mon ami n'est plus; et je vis encore! voilà une pensée vive. Si vous dites: mon ami est descendu dans le sombre empire des morts; et je jouis encore de la lumière elle sera traînante; elle aura perdu toute sa vivacité.

Il y a des pensées qui n'ont par ellesrelevées mêmes d'autre mérite que celui de la vépar l'ex- rité. Ces sortes de pensées se présentent en foule à tout homme d'un sens droit, et naissent sans effort du sujet que traite l'écrivain. Elles sont simples, communes et souvent triviales. Il faut nécessairement les revêtir des ornemens de l'expression, pour leur donner un certain air de nouveauté, de grandeur, de noblesse, ou ou un autre agrément quelconque. Si l'écrivain sacré avoit dit simplement du conquérant le plus

renommé qui ait jamais existé, du grand Alexandre il fut le maître de la terre; cette pensée n'auroit par elle-même riende fort ni d'éclatant. Mais il dit, la terre se tut en sa présence; et cette expression donne à la pensée de la vivacité, de l'énergie et de la grandeur. Si Salluste avoit dit simplement de ce Mithridate, qui disputa pendant trente ans l'empire de l'Asie aux romains il avoit une grande taille; sa pensée auroit été commune. Mais en disant que ce capitaine étoit armé d'une grande taille, il la rend nôble et hardie.

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Rien de plus vrai, de plus juste, mais en-même-temps de plus simple et de plus commun que cette pensée, la mort n'épargne personne. Voyez comme Horace la reléve, et la rend, en quelque façon, neuve. La mort, dit-il, renverse également les palais des rois, et les cabanes des pauvres. Une autre pensée vraie, mais commune, et toutà-fait dénuée d'agrémens est celle-ci : le chagrin ne dure pas toujours. Notre la Fontaine lui donne de l'élévation et de l'éclat, en la présentant sous cette image charmante:

Sur les ailes du temps (a) la tristesse s'envole.

Il ne me reste à faire qu'une courte, mais assez importante observation concernant les pensées; c'est que le fond en est presque toujours le même dans tous les écrivains qui traitent le même sujet. La seule manière

(a) Voyez ce mot, dans les notes, à la fin de ce Volume.

le coupé:

de les rendre, met une distance infinie entre. les bons et les mauvais. Hippolyte, dans la Phédre de Pradon, dit à Aricie:

Depuis que je vous vois, j'abandonne la chasse :
Elle fit autrefois mes plaisirs les plus doux;
Etquand j'y vais, ce n'est que pour penser à vous.
Voici comme Racine exprime ces mêmes
pensées et ces mêmes sentimens.

Mon arc, mes javelots, mon char, tout m'importune;
Je ne me souviens plus des leçons de Neptune (a).
Mes seuls gémissemens font retentir les bois,
Et mes coursiers oisifs ont oublié ma voix.

A la seule lecture de ces vers, on jugera sans peine que Racine avoit bien raison de dire: je ne pense pas mieux que Pradon et Coras; mais j'écris mieux qu'eux. Le style en général, ou, si l'on veut, pério considéré dans sa forme, peutêtre coupé ou périodique. Il est coupé, lorsque les phrases ne peuvent point se diviser en plusieurs parties. Telles sont celles-ci de Bossuet dans son discours de l'histoire universelle.

« L'orgueil de Démétrius (b) souleva le peuple. Toute la Syrie (c) étoit en feu. » Jonathas (d) sçut profiter de la conjonc» ture. Il renouvella l'alliance avec les > romains. » Le style cesseroit ici d'être coupé, si de ses quatre phrases on en faisoit

(a) Voyez ce mot, dans les notes, à la fin
de ce Volume.

(b) Voyez ee mot, ibid.
() Voyez ce mot, ibid.
(d) Voyez ce mot, ibid.

une seule, par exemple celle-ci. L'orgueil de Démétrius souleva le peuple; et tandis que toute la Syrie étoit en feu, Jonathas, qui sut profiter de la conjoncture, renouvella l'alliance avec les Romains.

Le stylé périodique est composé d'un enchaînement de périodes travaillées avec art. La période est une phrase qui a plusieurs parties distinguées, mais dépendantes les unes des autres, et tellement liées entr'elles, que le sens demeure toujours suspendu jusqu'à la fin. Chacune de ces parties, prise séparément, se nomme membre. Quelquefois les membres d'une période sont composés d'autres parties qu'on appelle incises. Il y a des périodes de deux, de trois et de quatre membres. En voici des exemples.

Si la loi du Seigneur vous touche;
Si le mensonge vous fait peur;
Si lá pitié dans votre cœur

Régne aussi bien qu'en votre bouche;

(Premier membre, qui renferme trois incises, et dont le sens, quoique marqué, n'est pas complet, laissant quelque chose à desirer):

Parlez, fils des hommes: pourquoi
Faut-il qu'une haine farouche

Préside aux jugemens que vous lancez sur moi?

(Second, membre

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qui présente le sens complet): Faites la même application aux

exemples suivans.

<< S'il y a une occasion au monde,

Tome I.

I

» l'âme pleine d'elle-même, soit en dan» ger d'oublier son Dieu, (premier mem» bre), c'est dans ces postes éclatans, où » un homme, par la sagesse de sa con» duite, par la grandeur de son courage, » par le nombre de ses soldats, devient » comme le Dieu des autres hommes (second » membre), et rempli de gloire, en lui» même, remplit tout le reste du monde » d'admiration, d'amour ou de frayeur ». (troisième membre), Mascaron, orais. fun. de Turenne.

«Soit qu'il fallût préparer les affaires » ou les décider, chercher la victoire avec » ardeur, ou l'attendre avec patience

(premier membre); soit qu'il fallût pré» venir les desseins des ennemis par la har» diesse, ou dissiper les craintes et les »jalousies des alliés par la prudence » (second membre); soit qu'il fallût se » modérer dans la prospérité, ou se sou » tenir dans les malheurs de la guerre » (troisième membre): son âme fut toujours égale ». (quatrième membre). Fléchier, Orais. fun. de Turenne.

Ces périodes à quatre membres se nomment aussi quarrées.

Il y a encore des périodes à cinq membres, dont l'usage cependant ne doit pas être bien frequent, à cause de l'impatience qu'a le Lecteur ou l'Auditeur de voir le sens terminé. Voici une période de cette espéce, tirée de la réponse de Buffon, au discours de la Condamine, le jour de sa réception à l'Académie françoise.

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