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Osons dire en effet que ces mots, me vois-je condamnée, au-lieu de m'avez vous condamnée, n'auroient pas rendu le vers de Racine moins poëtique. Ainsi, d'un côté, l'imagination du lecteur n'auroit pas été moins flattée par l'harmonie du vers; et de l'autre, sa raison auroit été pleinement satisfaite par l'entier développement du sens de l'auteur.

Ce qui rend le plus souvent le style obscur dans l'expression, c'est le mauvais emploi, ou l'équivoque des pronoms. Si l'on disoit, par exemple; nous ne trouvons point la critique qu'a faite Eugène d'un ouvrage d'Ariste, dans le recueil de ses œuvres ; ce pronom, ses, formeroit une équivoque qui mettroit le lecteur dans l'impossibilité de juger si c'est dans le recueil des œuvres d'Eugène, ou dans celui des œuvres d'Ariste. Il faudroit, suivant le sens qu'on voudroit marquer, dire à-peu-près : nous ne trouvons point dans le recueil des œuvres d'Eugène, la critique qu'il a faite d'un ouvrage d'Ariste; ou nous ne trouvons point dans le recueil des œuvres d'Ariste, la critique d'unde ses ouvrages, qui a été faite par Eugène.

Un auteur a dit : Hypéride a imité Démosthène, en ce qu'il a de beau. On ne voit certainement pas ici auquel de ces deux substantifs se rapporte ce pronom il. Si c'est à Démosthène, l'auteur auroit dû dire: Hypéride a imité Démosthène en ce que celui-ci a de beau. Si c'est à Hypéride, il auroit pu dire, en ajoutant une épi

théte, pour arrondir sa phrase: Hypéride a imité, en ce qu'il a de beau, l'éloquent Démosthène.

Voici encore une suite de phrases, dont le sens est louche. « François I (a) érigea › Vendôme (b) en duché-pairie, en faveur » de Charles de Bourbon (c) et ille mena à » la conquête de Milan (d), où il se com» porta vaillamment. Quand ce prince eut » été pris à Pavie (e), il ne voulut point » accepter la régence qu'on lui proposoit : » il fut déclaré chef du conseil. Il con»tinua de travailler pour la liberté du roi; et quand il fut délivré, il continua » à le bien servir ».

Le lecteur qui ne seroit pas au fait de l'histoire, n'auroit-il pas bien de la peine à démêler les divers rapports du mot prince et du pronom il, employé tant de fois? L'historien, loin de faire un si fréquent usage de ce pronom, auroit dû répéter plusieurs fois le nom, dont il tient la place. C'est ce que font les meilleurs écrivains, plutôt que derien laisser dans le discours, qui présente un sens entortillé.

La phrase suivante, sans être précisément louche, n'est pas à l'abri d'une juste critique cet illustre infortuné (ƒ)

(a) Voyez ce mot, dans les notes, à la fin de ce Volume.

(3) Voyez ce mot, ibid.

(c) Voyez le mot Bourbon, ibid.
(d) Voyez ce mot, ibid.

(e) Voyez ce mot, ibid.

() Voyez le mot prisonnier, ibid.

pensée, ou

phébus.

fut conduit à Pignerol (a), où M. de SaintMars étoit commandant. Lorsqu'il fut nommé à la lieutenance de roi de Sainte-Marguerite (b), il emmena avec lui son captif. Le rapport de ce pronom il, placé avant le verbe nommer, est-il bien sensible au prele mier coup-d'œil; et ne faut-il pas que lecteur réfléchisse un peu pour le voir ? C'est un soin que l'auteur auroit pu aisément lui épargner, en disant : cet illustre infortuné fut conduit à Pignerol, où M. de SaintMars étoit commandant. Lorsque celui-ci fut nommé à la lieutenance deroi de SainteMarguerite, il emmena avec lui son captif.

Si je pouvois soupçonner que ces remarques parussent minutieuses ou trop sévères, je répéterois ici que l'écrivain, ne prenant la plume que pour instruire, ou pour amuser ses lecteurs, doit, par l'arrangement des mots et des phrases, leur faciliter tous les moyens possibles de pénétrer promptement et sûrement le vrai sens de ce qu'il veut dire. Quintilien ne veut pas qu'on donne au lecteur ou à l'auditeur la peine de rien éclaircir.

Obscurité da L'obscurité qui vient de la pensée, est style dans la ce qu'on appelle du galimathias, ou du galimathias et phebus. Le galimathias est une suite de phrases qui n'ont aucun sens raisonnable et auxquelles on ne comprend rien. Il a été comparé à un épais brouillard, qui nous empêche tout-à-fait de voir. Le phebus n'est

(a) Voyez ce mot, dans les notes, à la fin de ce Volume.

(b) Voyez ce mot, ibid.

pas si obscur : il signifie, ou paroît signifier quelque chose. C'est un brouillard, dans lequel il entre quelque rayon de lumière. Mais cette lumière est trop fuible, pour que nous puissions distinguer les objets. Maynard disoit à un écrivain de son temps, qui tomboit dans le phébus et le galimathias.

Mon ami, chasse bien loin
Cette noire rhétorique.
T'es écrits auroient besoin
D'un devin qui les explique.
Si ton esprit veut cacher
Les belles choses qu'il pense,
Dis-moi qui peut t'empêcher
De te servir du silence?

Le conseil étoit très-raisonnable. Il vaut mieux se taire, que de parler, pour n'être pas entendu.

J'écris principalement pour les jeunes gens; et c'est en dire assez pour qu'on sente la nécessité où je suis de leur faire connoître les fautes de style échappées à nos meil leurs écrivains. Mais comme je suis bien loin de croire que mes observations puissent être une régle pour eux, je me suis imposé la loi de m'appuyer toujours de l'autorité des critiques sages et éclairés, dont le goût sûr et les connoissances profondes sont généralement reconnus. Je vais donc citer encore Racine, toujours admiré, mais toujours bien apprécié, quant au style, par l'abbé d'Olivet. Voici la remarque de cet habile grammairien sur ces vers que le poëte met dans la

bouche de Mithridate : apprenez... qu'il n'est point de Rois,

Qui sur le trone assis, n'enviassent peut-être, Au-dessus de leur gloire un naufrage élevé, Que Rome et quarante ans ont à-peine achevé, Je suis arrêté, dit-il, par le grand nom de Racine,qui ne me permet point d'appeler ceci du galimathias. On aura beau me dire avec Racine le fils, que hasarder ces alliances de mots, n'appartient qu'à celui qui a le crédit de les faire approuver. Je conviendrai qu'en effet, lorsqu'un vers ronfle bien dans la bouché d'un Acteur, quelquefois le parterre ne demande rien de plus. Mais il n'est pas moins vrai qu'un Auteur ne doit jamais courir après un bel arrangement de mots, sans avoir égard à la clarté des idées, et à la justesse des métaphores.

L'abbé d'Olivet termine cette remarque en citant le P. du Cerceau, qui dans ses réflexions sur la poésie française, s'exprime ainsi : j'avoue que je n'entends pas trop bien ce que signifie un naufrage élevé au-dessus de la gloire des autres Rois, et encore moins ce que veut dire, achever un naufrage. Ces expressions figurées ont d'abord quelque chose qui éblouït, et l'on ne se donne pas la peine de les examiner, parce qu'on les devine plutôt qu'on ne les entend. Mais quand on y regarde de près, on est tout surpris de ne trouver qu'un barbarisme brillant dans ce qu'on avoit admiré.

Il arrive très-souvent que l'obscurité du style vient, non pas précisément du fond

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