Imágenes de páginas
PDF
EPUB

des pensées, mais du tour qu'on emploie pour les rendre. Ne nous lassons pas, lorsqu'il s'agit d'instruire, de citer les observations de nos plus grands génies et de nos meilleurs Ecrivains. Un tour heureux, dit Montesquieu en parlant de quelques Auteurs modernes, leur paroît plat, parce qu'il n'a pas l'air d'avoir couté une idée mise galamment, mais en habit simple, ne paroît pas piquante à ces messieurs. Ils veulent lui donner des grâces de leur façon; ils la tournent, ils la serrent; et après bien des soins, ils arrivent à être entortillés, pour avoir voulu être délicats, et à être obscurs, pour avoir eu envie d'être vifs.

L'affectation du style est un éloignement Affectation du naturel. Dire en termes trop recherchés du style. des choses simples et communes

pour les faire paroître plus grandes et plus ingénieuses qu'elles ne le sont en effet, c'est être affecté dans son style. Cette affectation comprend le néologisme et l'enflure.

Le neologisme ne consiste pas seulement Néologismo, à introduire des mots nouveaux qui sont inutiles. Ce qui le caractérise encore, c'est le tour recherché des phrases, et sur-tout, l'union bizarre de plusieurs mots qui ne peuvent point aller ensemble. Lamotte a dit que les grandes réputations sont presque toujours posthumes; et Fontenelle, dans l'éloge de Bernouilli, Mathématicien célébre, que son goût avoit été son précepteur. Voilà deux exemples de néologisme. On dit bien qu'un ouvrage est posthume, lorsqu'il a été publié après la mort de

Enflare.

son auteur. Mais c'est contre la raison même de dire qu'une réputation est posthume, parce qu'un Auteur ne peut point acquérir une réputation après sa mort. Il est encore plus ridicule de dire qu'un savant a eu son goût pour précepteur. Un précepteur est un homme qui instruit des enfans; et assurément on ne peut pas donner au goût d'un individu la figure d'une personne, quoiqu'en poésie, on personifie le goût en général, et qu'on le représente sous la forme d'un Dieu.

Ce sont donc là des façons de parler toutes nouvelles, que les hommes de goût réprouvent, et que les bons écrivains ont le plus grand soin d'éviter. Il faut à leur exemple, n'employer que celles qui sont autorisées par l'usage. Ce n'est pas qu'on ne puisse quelquefois unir deux mots connus, qui n'ont jamais été liés ensemble. Mais il faut que cette liaison soit juste, fondée sur la véritable signification de ces mots, et, ce qui est bien à remarquer, nécessitée par le besoin réel d'exprimer une belle pensée, qui, sans cela, ne seroit pas bien entendue.

L'enflure du style consiste, ou à présenter des pensées simples et communes sous des expressions sonores et pompeuses, ou à dire des choses exagérées et qui n'ont qu'une vaine apparence de grandeur. Elle nait ordinairement du trop grand desir de briller, ou de l'excès d'une imagination déréglée. Nous ne saurions être trop en garde contre ce défaut du style, puisque

nos meilleurs poëtes mêmes, ceux dont l'esprit étoit frappé sur le grand, y sont quelquefois tombés. Voyez cette strophe de l'ode de J.-B. Rousseau sur la naissance du duc de Bretagne (frère aîné de Louis XV).

Où suis-je ? Quel nouveau miracle
Tient encor mes sens enchantés !
Quel vaste, quel pompeux spectacle
Frappe mes yeux épouvantés !
Un nouveau monde vient d'éclors :
L'univers se reforme encore

Dans les abîmes du chaos;
Et pour réparer ses ruines,
Je vois des demeures divines

Descendre un peuple de héros.

On a trouvé que des yeux épouvantes par un pompeux spectacle, tandis que tous les autres sens sont enchantés, l'univers qui sereforme après qu'un nouveau monde vient d'éclore, et un peuple de héros, qui descend des demeures divines, pour réparer les ruines de ce nouvel univers, étoient une véritable enflure dans la pensée et dans l'élocution.

Le même défaut a été remarqué dans ces vers de la tragédie de Phedre, où Racine fait dire à Théramène qui raconte la mort d'Hippolyte, qu'une montagne humide s'élève à gros bouillons sur le dos de la plaine liquide.

Le début de la tragédie de Pompée du grand Corneille, offre de très-beaux vers. Mais ces débordemens de parricides; ces

[blocks in formation]

champs empestés; ces montagnes de morts privés d'honneurs suprêmes, et que la nature force à se venger; ces troncs pourris,

qui font la guerre au reste des vivans, ont été regardés comme une véritable enflure. Il est aisé de juger que ce défaut du style est bien voisin du Phebus. Il rend de plus un ouvrage froid, parce que les termes ampoulés, emphatiques et sonores, mais vuides de sens, ne disent rien ni au cœur ni à l'esprit. Pour éviter l'enflure et l'excès qui lui est opposé, il faut faire un juste emploi des images et des ornemens. Si nous les répandons avec profusion et sans choix, notre style sera boursouflé. Si nous les négligeons trop, notre style sera foible et sec. On va voir quels sont ces ornemens, et l'usage qu'on doit en faire.

[blocks in formation]

Les mots ont dans le discours un sens propre, ou un sens figuré. Ils sont dans le sens propre, lorsque ne perdant point leur signification primitive, ils signifient la chose, pour laquelle ils ont été établis. Ils sont employés dans le sens figure, quand on les fait passer de leur signification propre ou naturelle, à une signification étrangère. Le mot chaleur a été institué pour signifier une propriété du feu ; le mot rayon, pour signifier un trait de lumière. Ainsi quand on dit, la chaleur

du feu, les rayons du soleil, ces mots sont pris dans le sens propre. Mais quand on dit, la chaleur du combat, un rayon d'espérance, ils sont pris dans le sens figure.

Il n'est aucune langue, qui ne doive presque toutes ses richesses à ces sortes d'expressions figurées. Elles prêtent à l'éloquence ses plus grands mouvemens, à la poésie son plus beau coloris elles sont comme l'âme et la vie de l'une et de l'autre. Ainsi les figures sont de certains tours de pensées et de paroles, qui font une beauté, un ornement dans le discours. Cette définition convient aux figures de mots et aux figures de pensées. Les premières dépendent tellement des mots qui les expriment, que le moindre changement dans ces mots détruit la figure. Les figures de pensées, au contraire, dépendent uniquement de la manière particulière de penser et de sentir; ensorte que la figure demeure toujours la même, quoiqu'on change les expressions. Abner, le brave Abner viendra-t-il nous défendre? Voilà une figure de mots. Supprimez la répétition du mot Abner; la figure est

anéantie.

Répondez, cieux et mers, et vous, terre, parlez. Voilà une figure de pensées. Changez les expressions, retranchez, ajoutez; la figure ne subsistera pas moins,

« AnteriorContinuar »