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I.

Des figures de mots, et de celles qui ne sont pas tropes.

Il y a deux sortes de figures de mots. Dans celles de la première espéce, les mots conservent leur signification propre ces figures ne consistent donc que dans un certain emploi de ces mots. Les autres sont celles, par lesquelles on donne à un mot une signification, qui n'est point sa signification primitive et naturelle; comme quand on dit, trente voiles, pour trente vaisseaux; mille chevaux, pour mille cavaliers. On nomme celles-ci tropes, du mot grec, trope, dont la racine est Tρɛ, qui signifie, je tourne. Les premières ne le sont point.

Je conviens dit du Marsais, dans son excellent traité des tropes; qu'on peut bien parler, sans jamais avoir appris les noms particuliers de ces figures. Combien de personnes se servent d'expressions métaphoriques, sans savoir précisément ce que c'est que métaphore!..... Mais ces connoissances sont utiles et nécessaires à ceux qui ont besoin de l'art de parler et d'écrire. Elles mettent de l'ordre dans les idées qu'on se forme des mots; elles servent à démêler le vrai sens des paroles, à rendre raison du discours, et donnent de la précision et de la justesse.... On voit tous les jours des personnes qui chantent agréablement sans connoître les notes, les

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clés, ni les régles de la musique; elles ont chanté pendant bien des années des sol et des fa, sans le savoir: faut-il pour cela qu'elles rejettent les secours qu'elles peuvent tirer de la musique, pour perfectionner leur talent?

Les figures de mots qui ne portent pas le nom de tropes, sont la répétition, la conversion, la complexion, la gradation, la reversion, l'adjonction, la disjonction, et la périphrase.

Répéti

La Répétition, figure propre à expri- tion. mer le caractère d'une passion fougueuse, d'un sentiment vif et profond, consiste à répéter plusieurs fois avec grâce les mêmes expressions. Voyez le bel effet que produit cette figure dans cet endroit de la Tragédie de Zaïre par Voltaire. C'est Lusignan qui parle à Zaïre.

Ma fille, tendre objet de mes dernières peines, Songe au-moins, songe au sang qui coule dans tes

veines.

C'est le sang de vingt Rois tous chrétiens comme

moi ;

C'est le sang des Héros défenseurs de ma loi;
C'est le sang des martyrs......ô fille encor trop

chère,

Connois-tu ton destin? Sais-tu quelle est ta mère ?
Sais-tu bien qu'à l'instant que son flane mit au jour
Ce triste et dernier fruit d'un malheureux amour
Je la vis massacrer par la main forcenée,
Par la main des brigands à qui tu t'es donnée ?
Tes frères, ees martyrs égorgés à mes yeux,

T'ouvrent leurs bras sanglans tendus du haut des

cieux.

Ton Dieu que tu trahis, ton Dieu que tu blasphêmes,

Pour toi, pour tes péchés est mort en ces lieux mêmes,

En ces lieux, où mon bras le servit tant de fois, En ces lieux, où son sang te parle par ma voix. Vois ces murs, vois ce temple envahi par tes

maîtres :

Tout annonce le Dieu qu'ont vengé tes ancêtres.
Tourne les yeux; sa tombe est près de ce palais :
C'est ici la montagne, où lavant nos forfaits,
Il voulut expirer sous les coups de l'impie
C'est là que de sa tombe il rappela sa vie.
Tu ne saurois marcher dans cet auguste lièu,
Tu n'y peux faire un pas, sans y trouver ton Dieu;
Et tu n'y peux rester, sans renier ton père,
Tonhonneur qui te parle, et ton Dieu qui t'éclaire.

La répétition des conjonctions sert souvent à peindre avec plus d'agrément et d'énergie; comme on le voit dans ces vers du Lutrin.

11 terrasse lui seul et Guibert, et Grasset, Et Gorillon la basse, et Grandin le fausset, Et Gerbais l'agréable, et Guérin l'insipide. Dans cette phrase de la Bruyère:

« Un sot ni n'entre, ni ne sort, ni ne » s'assied, ni ne se lève, ni ne se tait, ni » n'est sur ses jambes comme un homme >> d'esprit ».

Et dans cet endroit d'un sermon de

Massillon. C'est d'un Prince ambitieux qu'il parle.

«Sa gloire sera toujours souillée de » sang. Quelque insensé chantera peut-être >> ses victoires: mais les provinces, les villes, » les campagnes en pleureront. On lui » dressera des monumens superbes pour » immortaliser ses conquêtes mais les » cendres encore fumantes de tant de villes » autrefois florissantes; mais la désolation » de tant de campagnes dépouillées de leur

ancienne beauté; mais les ruines de tant » de murs, sous lesquelles des Citoyens » paisibles ont été ensevelis; mais tant » de calamités qui subsisteront après lui, >> seront des monumens lugubres qui im>> 'mortaliseront sa vanité et sa folie ».

La Conversion est une espéce de répé Conver tition, qui termine les divers membres d'une sion. période par le même tour. C'est ainsi que Cicéron dit dans une de ses Oraisons contre Antoine :

« Vous avez perdu trois grandes armées; » c'est Antoine (a) qui les a fait périr: » vous regrettez les plus grands hommes » de la république; c'est Antoine qui vous » les a ravis l'autorité du Sénat est » anéantie; c'est Antoine qui l'a détruite».

La Complexion est une répétition, dans Comple laquelle on finit par les mêmes paroles. xion. Tel est cet endroit d'un Sermon du Père Bourdaloue.

(a) Voyez ce mot, dans les notes, à la fin de ce Volume.

Gradation.

« Tout l'Univers est rempli de l'esprit du » monde: on juge selon l'esprit du monde : » on agit et l'on se gouverne selon l'esprit » du monde : le dirai-je? On voudroit » même servir Dieu selon l'esprit du monde. La Gradation consiste à présenter une suite d'idées, d'images ou de sentimens, qui enchérissent les uns sur les autres. Il y a une double gradation dans cet endroit d'une Oraison de Cicéron.

« C'est un crime de mettre aux fers » un Citoyen Romain; c'est une scélératesse » de le faire battre de verges; c'est presque »n parricide de le mettre à moit. Que << dirai-je donc, de l'avoir fait attacher >> a une croix »?

La Reversion fait revenir les mots sur Rever- eux-mêmes avec un sens différent, comme dans cet exemple.

alon

tion.

« Nous ne devons pas juger des régles » et des devoirs, par les mœurs et par les » usages: mais nous devons juger des usages » et des mœurs, par les devoirs et par » les régles. Donc c'est la loi de Dieu qui » doit être la régle constante du temps » et non pas la variation des temps qui » doit devenir la régle de la loi de Dieu ».

Et dans celui-ci : Il ne faut pas vivre pour manger: mais il faut manger pour

» vivre ».

L'Adjonction, différente de la répétition, Adjone- consiste à n'exprimer qu'une fois ce à quoi plusieurs parties d'une phrase se rapportent. Tel est le mot cessent dans ces vers de la Fontaine,

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