LETTRES. 295 La Déprécation est une figure, par laDépréca quelle on a recours aux prières, aux lar- tion. mes pour demander quelque chose. Tel est dans la tragédie de la mort de César par Voltaire, ce discours de Brutus à César (a). Sais-tu que le Sénat n'a point de vrai Romain, t'aime, Qui te préfère au monde et Rome seule à toi, La Réticence est une figure, par la-Réticenes quelle on interrompt son discours pour (a) Voyez ce mot, dans les notes, à la fin de ce Volume. (b) Voyez ce mot, iihd. sion. passer à un autre chjet ; en sorte néanmoins que ce qu'on a dit, laisse suffisamment entendre ce qu'on affecte de supprimer. Telles sont ces paroles que Virgile met dans la bouche de Neptune (a). » Race téméraire, qui vous inspire tant » d'audace? Vents, vous osez, sans mon » aveu, troubler le Ciel et la Terre et » ravager mon empire! Si je.... Mais n il s'agit de calmer les flots: un pareil >> attentat ne demeurera pas une autrefois impuni. On voit un autre exemple de cette figure dans la tragédie d'Athalie, lorsque cette Princesse demandant à Joad le jeune Eliacin, et les trésors qu'elle croit cachés dans le Temple, lui dit : Je devrois sur l'autel où ta main sacrifie, contenter. Et dans cet endroit de la Tragédie de Frenez garde, Seigneur, vos invincibles mains poursuivre. Suspen- La Suspension est une figure, par laquelle, pour piquer la curiosité du Lecteur, on tient quelque temps son esprit en (a) Voyez ce mot, dans les notes, à la fin de ce Volume. suspens, et dans l'incertitude de ce qu'on va dire. En voici un exemple tiré du Panegyrique de St.-Thomas (a) de Cantorbery', par Flechier. «Ils partent de la cour; ils passent les >>mers; ils entrent dans l'église, où le saint » célébroit l'office; ils s'avancent vers lui, » la fureur dans le cœur et le feu dans les » yeux, le fer à la main, sans respect des » autelsni du sanctuaire de Jésus-Christ... >> Vous entendez presque le reste, Messieurs. » Je voudrois pouvoir me dispenser de re» présenter un spectacle si pitoyable. Mais » pour épargner votre piété, j'offenserois » votre religion, et je vous cacherois la » gloire du martyre, en vous cachant la » cruauté des bourreaux. Ils approchent » donc, portant sur leur visage les mar»ques de leur barbare résolution : le clergé >> tremblant se disperse : ou se ramasse con» fusément : les assassins ont eux-mêmes >> horreur du crime qu'ils vont commettre; » et saisis d'une frayeur respectueuse a la » vue de l'archevêque qui se présente, ils » demeurent quelque temps interdits. Mais la fureur ayant étouffé tout sentiment de >> respect et d'humanité, chacun le frappe » comme à l'envi, et veut avoir part au >> crime, espérant avoir part à la récompense. Les Poëtes dramatiques font un fréquent usage de cette figure. On en trouve de beaux exemples dans la troisième scène du (a) Voyez le mot Thomas, dans les notes, la fin de ee Volume. premier acte de la ragédie de Phédre, où cette Princesse cédant aux vives instances, aux prières, aux larmes d'OEnone, sa nourrice et sa confidente, lui découvre la cause de ses mortels chagrins : dans la troisième scène du quatrième acte de Rhadamisthe, où Zénobie déclare à Arsame qu'elle est mariée, et que son époux est le frère de ce même Arsame dans la troisième scène du cinquième acte de POEdipe de Voltaire, où ce malheureux Prince apprend du vieillard Phorbas, que le Roi Laius qu'il avoit tué sans le connoître, étoit son père, et que la Reine Jocaste, dont il étoit devenu l'époux, est sa mère. Quoique cette figure soit particulièrement propre au style sublime, il ne faut pas croire qu'elle ne puisse, ainsi que bien d'autres, convenir au style simple. Elle peut même trouver place dans le genre épistolaire, suivant la manière dont elle y est employée, et suivant la nature des choses qu'on y dit. Voyez l'effet agréable qu'elle produit dans cette lettre de madame de Sévigné à monsieur de Coulanges. «Je vai vous marquer la chose du monde » la plus étonnante, la plus surprenante, » la plus merveilleuse, la plus miraculeuse, » la plus triomphante, la plus étourdissante, » la plus inouie, la plus singulière, la plus » extraordinaire, la plus incroyable, la plus imprévue, la plus grande, la plus "petite, la plus rare, la plus commune, » la plus éclatante, la plus secrette jus >> qu'aujourd'hui, la plus brillante la » plus digne d'envie; enfin une chose dont >> on ne trouve qu'un exemple dans les siécles passés; encore cet exemple n'est» il pas juste; une chose que nous ne sau» rions croire à Paris; comment la pour» roit-on croire à Lyon? Une chose qui » fait crier miséricorde à tout le monde; » une chose qui comble de joie madame de » Rohan et madame de Hauteville; une >> chose enfin qui se fera dimanche, où ceux » qui la verront, croiront avoir la berlue; » une chose qui se fera dimanche, et qui " ne sera peut-être pas faite lundi. Je ne » puis me résoudre à la dire; devinez-là : » je vous le donne en trois. Jettez-vous votre langue aux chiens? Eh bien! il faut donc » vous la dire. Monsieur de Lausun épouse » dimanche au Louvre; devinez qui? je » vous le donne en dix, je vous le donne en » cent. Madame de Coulanges dit: voilà qui » est bien difficile à deviner ! c'est mademoi selle de la Vallière: point du tout,madame. » C'est donc mademoiselle de Retz ? Point » du tout ; vous êtes bien provinciale. Vrai"ment nous sommes bien bêtes, dites-vous; » C'est mademoiselle Colbert: encore moins. » C'est assurément mademoiselle de Créqui. » Vous n'y êtes pas. Il faut donc à la fin » vous le dire. 11 épouse dimanche au » Louvre, avec la permission du Roi, "demoiselle; mademoiselle de Ma ma » demoiselle; devinez le nom. Il épouse » Mademoiselle; ma foi, par ma foi, ma » foi jurée, Mademoiselle, la grande |