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A la bonne loi naturelle :

Et je m'étonne fort pourquoi
La Mort daigna fonger à moi
Qui ne fongeai jamais à elle.

Au refte, ce n'eft ni cette Epitaphe, ni
quelques autres Poëfies licentieufes de
notre Auteur, qui doivent fervir de ré-
gle, pour porter un jugement décifik fur
fes fentimens & fur fes mœurs. Ses Poë-
fies Spirituelles, dont quelques unes fu-
rent compofées long-tems avant fa mort,
portent des
édifiantes de fon re-

marques

pentir. Il y fait paroître des fentimens dignes d'un Chrétien, & d'un Chrétien pénitent.

ENDROITS CHOISIS DE SES SATIRES.

DE LA SATIRE II.

La mifere & le for orgueil, partage ordinaire des

CEPENDANT

mauvais Poëtes..

EPENDANT fans fouliers, ceinture, ni cordon, L'œil farouche & troublé, l'efprit à l'abandon,

REGNIER.

Ils approchent de vous comme personnes yvres, REGNIER. Vous difant, pour bon jour, Monfieur, je fais des

Livres ;

On les vend au Palais, & les Doctes du tems
A les lire occupés, n'ont d'autre paffe-tems.
De-là, fans vous laiffer, importuns, ils vous

fuivent,

Vous affomment de Vers, d'allegreffe vous
privent ;

Vous parlent de fortune, & qu'il faut acquérir
Du crédit, de l'honneur, avant que de mourir :
Mais
que pour leur malheur l'ingrat fiécle où nous
fommes,

Au prix de la vertu n'eftime point les hommes;
Que Ronfard, du Bellay, vivants ont eu du bien,
Et que c'eft honte au Roi de ne leur donner rien.
Puis, fans qu'on les convie, ainfi que vénérables,
S'affeyent en Prélats, les premiers à vos tables,
Où le caquet leur manque, & des dents difcourant,
Semblent avoir des yeux regret au demeurant....

Celui-ci renfrogné, rêveur, mélancolique,
Grimaffant fon difcours, femble avoir la colique;
Suant, touffant, crachant, penfant venir au point,
Parle fi finement, que l'on ne l'entend point.

Un autre, ambitieux, pour les Vers qu'il compofe,
Quelque bon bénéfice en l'efprit fe propose,
Et deffus un cheval comme un finge attaché,
Méditant un Sonnet, inédite un Evêché.

Si

Si quelqu'un pour leurs Vers témoigne peu d'eftime,
Il eft lourd, ignorant, il n'aime point la rime:
Contraire en jugement au commun bruit de tous,
Difficile, hargneux, de leur gloire jaloux,
Il veut la dérober avec fes artifices.

Les Dames cependant fe fondent en délices,
Lifant leurs beaux écrits & de jour & de nuit,
Les ont au cabinet fous le chevet du lit;
Et portés à l'Eglife, ils valent des Matines.
Tant felon leurs difcours leurs œuvres font divines.
Encor n'est-ce pas tout. Ils font enfans des Cieux,
Et font journellement carrouffe avec les Dieux :
Compagnons de Minerve, & confits en fcience,
Un chacun d'eux pense être une lumiere en France.

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DE LA SATIRE III.

Il délibere s'il doit fe remettre à l'étude.
ou s'engager à la Cour,

I MARQUIS, que dois-je faire en cette incertitude?

Dois-je, las de courir, me remettre à l'étude?

1 Ce mot a vieilli. Il fignifie débauche de vin, du mot Allemand, garaufs tout vuidé; on fous entend le verre. Ménage.

2 François Annibal d'Eftrées, Marquis de Cœuvres frere de la belle Gabrielle, Duchefle de Beaufort. Il s'eft rendu célébre par fes Ambaflades, fur-tout par celle de Tome I.

E

REGNIER.

Lire Homere, Ariftote, & difciple nouveau, REGNIER. Glaner ce que les Grecs ont de riche & de beau; Refte de ces moiffons que Ronfard & Defportes Ont emporté du champ fur leurs épaules fortes. . . Mais que peut-il fervir aux Mortels ici bas, Marquis, d'être fçavans, ou de ne l'être pas, 2 Si la science trifte, affreufe, & méprisée, Sert au peuple de fable, aux plus grands de risée ? Si les gens de Latin des fots font dénigrez, Et fi l'on n'eft Docteur fans prendre fes degrez? Pourvû qu'on foit morguant, qu'on bride sa moustache,

Qu'on frife fes cheveux, qu'on porte un grand
pannache,

Qu'on parle baragouin, 3 & qu'on fuive le vent,
Au fiécle d'aujourd'hui l'on n'eft que trop fçavant,
4 Or, quant à ton confeil qu'à la Cour je m'engage,
Je n'en ai pas l'efprit, non plus que le courage.
Il faut trop de fçavoir & de civilité,

Et fi j'ofe en parler, trop de fubtilité.

Rome. Il fut fait Maréchal de France en 1624. & mourut à
Paris le 5 de Mai 1670. âgé d'environ cent ans.

I Poëtes célébres en ce tems - là.

2 Joachim du Bellay, dans un Sonnet à Remy Belleau.
La Science à la table eft des Seigneurs prisée;
Mais en chambre, Belleau, elle fert de risée.

3 Regnier a femé fes Poëfies de ces façons de parler populaires.

4 Qu'd Roma faciam ? mentiri nefcio, &c. Juvenal,

Sat. 3. V. 41.

Car pour dire le vrai, c'eft un païs étrange, Où comme un vrai Prothée à toute heure change;

on fe

Où les Lois par refpect fages humainement,
Confondent le loyer avec le châtiment :
Où pour un même fait de même intelligence,
* L'un cft jufticié, l'autre aura récompense:
Où felon l'interêt, le crédit ou l'appui,
Le crime fe condamne & s'abfout aujourd'hui.
Que ferois-je à la Cour? Je fuis mélancolique ;
Je ne fuis point entrant, 2 ma façon eft ruftique:
Je ne fçaurois flatter, & ne fçai point comment
Il faut fe taire accort, ou parler fauffement ;
Bénir les Favoris de gefte & de paroles;
Parler de leurs Ayeux au 3 jour de Cérizoles;
Des hauts faits de leur race, & comme ils ont
acquis

Ce titre avec honneur de Ducs & de Marquis....
Je n'ai point tant d'efprit pour tant de menterie:
Je ne puis m'adonner à la cajeollerie :

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Committunt eadem diverfo crimina fato:

Ille crucem pretium fceleris tulit, bic diadema. Juv. Sat,

13. V. 104.

2 Hardi, entreprenant.

3 Au jour

pour à la journée de Cérizoles, bataille fameufe, gagnée en 1545. par l'armée de François I. fur

celle de Charles-Quint,

REGNIER.

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