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INTRODUCTION

A LA

BIBLIOTHEQUE POETIQUE,

Contenant en abregé l'origine & l'Histoire de la Poëfie Françoife, & celle des Poetes François avant Clement Marot.

A Poëfic, fi eftimée des Grecs & des Latins, & qui, avant eux, avoit été fi en honneur chez les Hébreux, eft auffi fort ancienne parmi nous. Nos vieux Gaulois ne l'ont point ignorée. Cette Nation beaucoup plus occupée à combattre & à vaincre qu'à bien parler & à bien dire, n'étoit pas infenfible à la douceur & aux charmes d'un Art qui a fait les délices, ou du moins l'amufement de prefque toutes les Nations. Les Bardes furent les premiers Poëtes comme les premiers Théologiens des Gaulois. Si l'on en croit Diodore de Sicile, au cinquiéme Livre de fon Hiftoire, ils chantoient fur la Lyre de petits Poëmes pour louer les bons, pour blâmer les méchans, pour infpirer l'amour de la vertu & l'horreur du vice. Les Druides, Prêtres & Philofophes, firent de la Poëfie un ufage conforme à leur profeffion. Selon les uns, ils mettoient en Vers leurs Loix & leurs Cantiques. D'autres croyent qu'ils fe contentoient d'apprendre les Vers compofez par les Bardes. Tome I.

C

Ils en chargeoient leur mémoire, & elle étoit fi fidelle, qu'ils pouvoient, dit-on, en retenir jufqu'à quinze & vingt mille. Ils chantoient ces Vers au peuple, & mêloient le fon des inftrumens à leur voix. On ne fçauroit croire, dit l'Hiftorien moderne de la Poëfie Françoife, les effets furprenans qu'ils produifoient par certe harmonie. Ils exerçoient un empire abfolu fur les efprits. Comme d'autres Tyrtées, ils fe mettoient à la tête des armées, ils animoient les foldats au combat, & ne contribuoient pas peu au fuccès des batailles. D'autres fois arbitres de la paix comme de la guerre, on rapporte qu'ils faifoient tout-à-coup pofer les armes, & qu'ils terminoient le différend des armées qui étoient en préfence. Le goût des Vers pafloit des peres aux enfans: & nous lifons dans les Commentaires de Céfar, qu'on y formoit les enfans dès leurs plus tendres années; qu'on les envoyoit à des Ecoles publiques, & qu'ils les fréquentoient quel, quefois vingt années de fuite. Nous ignorons au refte de quelle efpece étoit leur Poëfie; & ceux qui prétendent que dès-lors elle étoit rimée, le difent fans preuves,

2 La Poëfie Latine fucceda à la Gauloife, quand les Romains eurent réduit les Gaules fous leur domination. Terentius Varro, Cornelius Gallus, & Valerius Cato fe font diftinguez dans ce genre d'écrire mais à mesure que l'Empire tomboit en décadence, le goût pour la bonne Poëfie s'affoi

:

1 M. l'Abbé Maffieu. On l'a fuivi ou abrégé en plufi.urs endroits de ce Difcours.

2 Effais fur l'Hiftoire des Belles-Lettres, Tome II.

bliffoit, & il s'anéantit vers le commencement du fixiéme fiécle. Charlemagne fit ce qu'il put pour le reffufciter; mais le génie poëtique ayant difparu depuis plufieurs fiécles, les efforts du Prince furent grands, & eurent peu de fuccès. Alcuin, content d'obferver le moins mal qu'il lui fut poffible les régles de la verfification, méconnut cette cadence harmonieufe qui en eft l'ame & qui en fait l'agrément. Théodulphe, Evêque d'Orléans, plein de feu & moins dur qu'Alcuin, compofa plufieurs Pieces de Vers, où l'on entrevoit de la verve & quelques beaux endroits, mais où l'on ne fent que trop auffi le mauvais goût de fon fiécle & le défaut des bonnes études. Quelque imparfaites que fuf-. fent celles-ci, la chûte de la Maison de Charlemagne les fit prefque entierement périr, & la Poëfie rentra, pour ainfi dire, dans le cahos d'où elle étoit

fortie.

L'irruption des Gots, & leur établiffement dans les Gaules au milieu des ravages & des défordres les plus inouis, furent la principale cause du mal. Comment cultiver l'étude quand on eft tous les jours aux prifes avec un ennemi féroce qui ne connoît que le fer & qui ne refpire que le fang? Devint-on plus tranquille; le mêlange des Gots avec les anciens habitans occafionna dans les études un mêlange auffi bizarre que celui des deux Nations. Les premiers avoient leurs Poëtes, qu'ils nommoient Runes; ceux-ci introduifirent la confonance, & leurs ouvrages en Vers s'appellerent Runes, & enfuite Rimes.

Tel eft du moins le fentiment de plufieurs de nos Sçavans fur l'origine de la Rime. Mais ce n'eft pas le feul. Le Cardinal Bembe. & la plupart des

Ecrivains d'Italie, veulent que nous en foyons redevables aux Provençaux. D'autres prétendent qu'elle a commencé du tems de Charlemagne, & en font honneur, fi c'en eft un, à Paul Diacre, à qui l'on donne l'Hymne pour la Fête de Saint JeanBaptifte, qui commence par ces mots, Ut queant taxis, &c. & ceux qui font dans cette opinion, croyent que cette Hymne eft le premier ouvrage rimé qui ait jamais paru. Le Sçavant M. Huer, mort ancien Evêque d'Avranches foutenoit que la rime étoit entrée en Europe par le Midi; & que nous la devons, comme plufieurs autres chofes, à la politeffe & à la galanterie des Maures. Il y a encore d'autres fentimens fur cette matiere, ce qui eft, ce femble, une preuve de fon obscurité.

Quelle que foit l'origine de la Rime, il eft für qu'elle eft ancienne, & que cette nouveauté eut des appas, comme tout ce qui eft nouveau en a. La Rime fut fi bien reçûë dans la Poëfie vulgaire, qu'on tenta d'affujettir à fes loix la Poëfie Latine, & qu'on n'y réuffit que trop. Dès-lors la nobleffe des penfées, le choix des mots, la vivacité & la jufteffe de l'expreffion, tout fut facrifié à la Rime, Il ne fe fit prefque plus de Vers Latins où elle n'entrât: Piéces enjouées ou férieufes, profanes & facrées, tout en fut infecté. La bonne & faine maniere des Anciens fe vit abandonnée. Au lieu de ces graces naturelles qu'ils avoient recherchées avec tant de foin, qui plaifent tant dans leurs ouvrages, & qui confiftent bien moins dans les termes que dans les chofes, on ne connut prefque plus pour toutes beautez qu'une répétition badine & puérile d'un même fon, qui avec symétrie, & comme en cadence, revenoit ridiculement à cer

tains intervales frapper l'oreille qu'elle auroit du laffer au lieu de la réjouir. Si quelques efprits audeffus du commun s'affligerent de ce défordre, s'ils tenterent de le bannir de la Poëfie, leurs efforts furent inutiles, le mauvais goût l'emporta, & euxmêmes furent contraints de fe laiffer entraîner pas le torrent s'ils voulurent avoir des lecteurs. On a ap. pellé Léonins ces fortes de Vers qui étoient en mê→ me tems Latins & rimez. Mais d'où leur eft venue cette dénomination? La plupart croyent qu'elle cft dûe à Leoninus ou Leonius qui fe diftingua dans ce genre de Poëfie fous le régné de Louis VII. C'étoit dit-on, un Poëte Parifien, qui, felon Pasquier dans fes Recherches de la France, fut d'abord Chanoine de Saint Benoît, puis Religieux de Saint Victor. On a de lui deux Epîtres en Vers rimez, adreffées aux Papes Adrien IV. & Alexandre III.

Les Provinces foumifes aux François avoient auffi leurs Poëtes on les appelloit Facteurs ou Fatiftes, & leurs Œuvres on les nommoit Faits. C'étoient de petits Poëmes chantez par des Chœurs accompagnez de danfes: car le chant a fait naître la Poëfie, ou l'a du moins accompagnée dans fa naiffance. Chilperic premier, qui fe piquoit de Poëfie, avoit des Fatiftes à la Cour. Ce Prince tenta inutilement de faire fleurir un Art, qui fe reffentoit trop de la groffiereté de ceux qui le cultivoient. La Poëfie n'avoit point de fictions; l'efprit en faifoit tout le mérite: ceux qui fçavoient trouver de jolies penfées, & qui avoient l'art de les mettre en leur jour, furent nommez Troubadours, OLE

Effais fur l'Hiftoire des Belles-Lettres.

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