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même qu'il pût y avoir de la prophanation à mettre les chofes de la Religion fur le Théâtre.

De plus ils étoient accoutumez à la repréfentation des chofes faintes, jufques dans l'Office Divin. On ne célébroit pas feulement les fêtés dans la plûpart des Eglifes, on les reprefentoit. Le jour des Rois, ou de l'Epiphanie, trois Prêtres habillez en Rois, conduits par une figure d'étoille qui paroiffoit au haut de l'Eglife, alloient à une Créche ou ils offroient leurs dons. Le Continuateur de Nangis rapporte en l'an 1378. que le Roi observoit cette même cérémonie. » Trois Chevaliers fes Cham

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bellans tenoient hautement trois coupes dorées » & émaillées; en l'une étoit l'Or, en l'autre l'En»cens, & en l'autre du Mirrhe; & allerent tous » trois par l'ordre comme l'offrande devoit être baillée par le Roi, & le Roi après, &c. « Tant cet efprit de reprefentation étoit établi.

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La plupart des autres fêtes ne manquoient pas auffi de fe rendre vifibles. Il y avoit le jour de Noël dans l'Eglife Cathédrale de Rouen, un de ces fpectacles. Tous les Prophêtes de l'ancienne Loi paroiffoient dans l'Eglife, chacun habillé d'une maniere qui le rendît reconnoiffable. Balaam étoit là, monté fur fon âneffe, à qui il donnoit inutilement des coups d'éperon pour la faire avancer, parce qu'un petit Ange l'en empêchoit ; & quelqu'un qui étoit caché fous le ventre de l'âneffe, parloit pour elle, & difoit fon rôle.

Les reprefentations, dont il eft inutile de rapporter un plus grand nombre d'exemples, étant donc établies dans le Service Divin, on n'avoit garde de s'appercevoir qu'il ne convenoit pas aux chofes faintes d'être mifes en Comédies. Au con

traire, la Comédie n'étoit confidérée que comme une fuite du Service Divin, & même elle se jouoit affez ordinairement dans les Cimetieres des Eglifes. Au fortir du Sermon ces bonnes gens alloient à la Comédie, c'est-à-dire, que felon eux ils changeoient de Sermon. On ne connoît pas tous les Auteurs de ces Piéces où nous ne voyons aujourd'hui qu'une ignorance bizarre & ridicule. On donne la Comédie de la Paffion à Jean Michel, que F'on a eu tort de confondre avec un Evêque d'Angers du même nom, & qui eft mort en odeur de fainteté; & le Triomphant Myftere des Actes des Apôtres à Greben, Docteur en Théologie. L'Hiftoire du Théâtre François dont on a donné depuis quelques années deux volumes in-12. qui devoient avoir une fuite, peur en apprendre beaucoup davantage fur ce fujet.

Ceux qui liront les Ouvrages de Jean Michel, s'appercevront aifément que la Comédie étoit alors au berceau. C'eft une fuite hiftorique de la vie de Jefus-Chrift, depuis la prédication de Saint Jean, jufqu'à la Réfurrection. Quand les Perfonnages qui occupent le Théâtre ont dit ce qu'ils avoient à dire, ils s'en vont, & d'autres viennent qui parlent de toute autre chose. C'est une régle inviolable que les Scenes ne foient jamais liées. Il n'y a point d'Actes. Après un nombre fuffifant de Scenes, la journée finit, fans autre raifon, finon qu'on en a affez dit. L'Affemblée fe fépare, & le lendemain on vous en donne encore autant. Cela fe jouoit en plufieurs jours: & il en eft de même des autres Mysteres car prefque tous ont été compofez fur le même modele, comme on le peut voir par les Analyfes d'un grand nombre de ces Pieces, rap

portées dans l'Hiftoire que l'on vient de citer. On obferve dans le même Ouvrage, que les Confreres de la Paffion firent place aux Clercs de la Bazoche, & enfuite aux Enfans fans fouci, dont le Chef fe nommoit le Prince des Sots ou de la Sotie; & que le peuple fe laffant bien-tôt des representations férieufes, il fallut pour lui plaire mêler aux Myfteres & aux Moralitez, quelques Farces tirées de fujets profanes & fouvent burlefques & indécens, que l'on nomma les Jeux des pois pilez. La plus célébre des anciennes Farces eft celle de Pathelin, 1 dont on ignore l'Auteur. A en juger par le langage, elle doit être à peu près du tems de Louis XII. mais il y a des chofes qui ne paroiffent pas indignes du fiécle de Moliere, ni de Moliere lui-même. Une preuve qu'elle a eu un grand fuccès, c'eft qu'elle a donné de nouveaux mots à la Langue, & fait des Proverbes; Pathelin qui n'étoit qu'un nom fait à plaifir comme Tartuffe, eft devenu un mot de la Langue qui fignifie flateur & trompeur, de la même maniere que Tartuffe fignifie préfentement un faux Dévot. Le même mot a produit pateliner & patelinage. Revenons à nos moutons, qui eft un proverbe fi ufité, vient encore de la même fource. C'eft ce que dans la Farce le Juge dit au Drapier qui oublie Les moutons pour parler de fon Drap. Par la même Piece, & par toutes les anciennes Farces que le tems nous a confervées, il paroît qu'autrefois on juroit beaucoup, & même fans adouciffement. Un

1 Cette Farce eft mife en meilleur François par le Sieur de Brueys, & fe trouve dans le Théâtre de cet Auteur, imprimé à Paris chez Briaffon, en 3. vol. in-12.

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des grands fecrets des Auteurs de ces Pieces pour attraper la rime, étoit de jurer par quelque Saint, & ils donnoient la préférence à celui qui rimoit. Durant les fiécles dont on parle, la Poëfie Françoife s'efforçoit de prendre une meilleure forme; mais fes accroiffemens furent très-lents. Philippe Augufte chaffa de fa Cour ces Comédiens, Bateleurs & ces autres fortes d'hommes qui exerçoient des profeffions pernicieufes, & qui corrompoient les peuples fous prétexte de les réjouir. Mais comme il n'en vouloit qu'aux abus de la Poësie, & non à la Poëfie elle-même, il aima & protegea ceux qui firent de cet Art un ufage convenable, & il prit plaifir à en voir quelques-uns auprès de fa perfonne.

Hélinand qui fe fit dans la fuite Religieux à Froimont, Abbaye de l'Ordre de Cîteaux dans le Diocèfe de Beauvais, fut un de ceux qui eurent le plus de part à la bienveillance & aux liberalitez de ce Prince. Ses Œuvres Poëtiques furent long tems eftimées. Vincent de Beauvais qui écrivoit fous Saint Louis, nous marque avec quel empreffement & avec quel fruit on les lifoit encore de fon tems. Car lorfqu'il parle de l'an 1209. il dit : » En ce » tems-là vivoit Hélinand, Religieux de Froid» mont, homme d'un fçavoir & d'une vertu ex»traordinaire, auquel notre Langue eft redeva» ble du Poëme de la Mort: ouvrage qui eft entre » les mains de tout le monde, écrit avec beaucoup » d'élégance, & d'une utilité reconnuë. « Antoine Loifel a fait imprimer ce Poëme, qui eft en forme de Stances; le langage en eft aujourd'hui prefque inintelligible; ce qui fait qu'on ne peut plus lire ce petit ouvrage avec plaifir, ni par conféquent avec utilité.

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Dans les fragmens qui nous reftent de Hugues de Bercy, le plus agréable peut-être de nos vieux Rimeurs; on trouve certains traits naïfs & plaifans, qui font regreter que le langage dont il s'eft fervi, & qui étoit celui de fon fiécle, ait fi fort vieilli. Ce Poëte étoit de Provins. Il compofa la Bible Guiot, c'eft à-dire, le Livre de Guiot ou Hugues. C'eft une Satyre fanglante que l'Auteur fit contre tous les états & toutes les conditions de fon fiècle. Il n'y fait grace qu'à la vertu, & ne fait ce que c'est que de compofer avec le vice. Il dit lui même qu'il a donné à fon ouvrage le titre de Bible, parce qu'il ne contient que des véritez. Si on veut l'en croire, ce n'eft que mommerie dans toutes les profeffions, Il dit de la Médecine, que

Fol eft qui en tel art se fie,

Et à l'occafion des Gens de Robe, que

Les Loix apprennent tromperie.

Ennemi de la corruption, par tout où il la trouve, ou croit la trouver, il ofe l'attaquer jufques fous le Dais & fur le Trône, & furtout dans ceux que la fainteté de leur état oblige à vivre avec plus de régularité & d'édification. En particulier il fe déchaîne. contre un certain Guillaume Chapuy, Fondateur en ce tems-là d'une fameufe Confrairie dans la ville de Puy en Auvergne; & grand diftributeur de je ne fçai quels Agnus & Scapulaires que notre Poëte appelle en fon vieux langage des Signaux & des Chuperons. Ce qu'il y a de bon, c'eft que notre Cenfeur ne s'épargne pas plus que les autres, & qu'après avoir dit fur la fin de fon ouvrage;

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