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RACAN.

Où la honte qu'il a d'obéïr à mes charmes,
Souvent lui fait noyer fon visage de larmes.
Les brouillards, par le frein de mes enchante-

mens,

Dans le vague des airs changent leurs mouvemens,
Et portent où je veux, fur l'Onde & fur la Terre,
La tempête, le vent, la grêle & le tonnerre.
Quand le fier Aquilon, l'horreur des matelots,
Met la guerre civile en l'empire des flots,
Bien qu'il ait de Neptune irrité la puissance,
Mon feul commandement excufe son offense.
Bref, je fuis tout-puiffant, fi-tôt que des enfers
Mon art a délivré les efprits de leurs fers.
N'est-il pas vrai, démons, fpectres, images fona-
bres,

Noirs ennemis du jour, fantômes, lares, ombres,
Horreur du genre humain, trouble des élémens,
Qu'est-ce qui vous rend fourds à mes commande-

mens ?

Je parle; obéiffez. Eh quoi troupe infidelle,
Ne connoiffez-vous plus la voix qui vous appelle ?
Découvrez des enfers le funefte appareil;

Que l'horreur de la nuit faffe

peur au Soleil:
Faites couler le Stix deffus notre hemifphere,
Ft faites feoir Pluton au trône de fon frere.

Tonnez, grêlez, ventez, effrayez l'Univers ;
Montrez votre pouvoir, & celui de mes Vers,

Plaintes d'un Amant.

VERRAI-JE donc toujours mon efpérance vaine? RACAN

Perdrai-je fans loyer ma jeuneffe & ma peine?

Aimerai-je toujours fans jamais être aimé ?

Brûlerai-je toujours fans être confumé ? .
Malheureux que je fuis! quelle chaude furie
Me fait paffer les jours en cette rêverie ?
Que me fert de chercher les bois les plus fecrets
Pour les entretenir de mes juftes regrets,
Imprimer fur leurs troncs les chiffres d'Ydalie;
Ne nourrir mon efprit que de mélancolie,
Et fouffrir tous les jours des fupplices nouveaux?
Nous n'en fommes pas mieux ni moi, ni mes trou
peaux,

Mes brebis ont en nombre égalé les étoiles,
Dont les plus claires nuits enrichiffent leurs voiles;
Et mes gerbes laffant le foigneux moiffonneur,
Rendoient les plus contens jaloux de mon bon-
heur:

Mais à préfent tout fuit mes triftes deftinées;
Mes champs n'ont que du chaume aux meilleures
années,

Et mes pauvres moutons fe mourans tous les jours,
Servent dans ces rochers de pâture aux vautours.
Je fuis, en me perdant, l'auteur de tant de pertes;
Je n'ai plus foin de rien, mes terres font défertes.
Tandis qu'en ces forêts tout feul je m'entretiens,
Je laiffe mon troupeau fur la foj de mes chiens,

Mes doigts appefantis ne font plus rien qui vaille, KACAN. Ni des chapeaux de jonc, ni des paniers de paille; A peine me fouviens-je, en voyant ces rofeaux, D'avoir fçû compaffer les trous des chalumeaux. Autrefois mes travaux n'étoient pas inutiles; Ma befogne avoit cours dans les meilleures Villes; J'en rapportois toujours en revenant au foir, Quelque piece d'argent au coin de mon mouchoir. Il faut enfin quitter cette humeur folitaire, Et reprendre le train de ma vie ordinaire; Chaffer de mon efprit ces inutiles foins, Qui ne veulent avoir que les bois pour témoins; Méprifer à mon tour celle qui me méprise, Et rompre fa prifon pour ravoir ma franchise. Mais, ô Dieux ! qu'ai-je dit? Amour, pardonne

moi;

Je ne puis ni ne veux jamais vivre fans toi:
Quand je parle autrement, je fuis hors de moi-
même;

Contre une Déité je commets un blafphême:
Je te vois dans fes yeux plus puiffant que jamais:
Fais ce que tu voudras, à tout je me soumets;
Au fi-bien ma raifon ne m'en fçauroit défendre :
Le falut des vaincus eft de n'en plus attendre.

1 Ce Vers eft une heureufe traduction de celui-ci de Virgile: Vaa falus viltis nullam fperare falutem.

Chaur

Chœur de Bergers.

TOUJOURS la colere des Cieux
Ne tonne pas deffus nos têtes ;
Toujours les vents féditieux
N'enflent pas la mer de tempêtes:
Toujours Mars ne met pas au jour
Des objets de fang & de larmes ;
Mais toujours l'empire d'Amour
Eft plein de troubles & d'allarmes.

Que le fiécle d'or fut heureux,
Où l'innocence toute pure,
Ne prefcrivoit aux amoureux
Que les feules lois de Nature!
La faveur ne faifoit point voir
L'un au ciel, l'autre dans la boue,
Et la Fortune fans pouvoir
N'avoit point encore de rouë.

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RACAN

RACAN.

Le vieil Alcidor, ayant perda femme, enfans ¿
biens, quitte fa patrie, & trouve ailleurs un
azile, qui devient pour lui un grand sujet de
confolation.

1 Ne fçaurois-je trouver un favorable port,
Où me mettre à l'abri des tempêtes du fort?
Faut-il que ma vieilleffe, en trifteffe féconde,
Sans espoir de repos erre par tout le monde ?
Heureux qui vit en paix du lait de fes brebis,
Et qui de leur toifon voit filer fes habits!
Qui plaint de ses vieux ans les peines langoureuses,
Où fa jeunelle a plaint fes flammes amoureuses!
Qui demeure chez lui comme en fon élément,
Sans connoître Paris que de nom feulement;
Et qui bornant le monde aux bords de fon do-
maine,

Ne croit point d'autre mer que la Marne ou la

Seine !

En cet heureux état, le plus beau de mes jours
Sur les rivages d'Oise a commencé son cours.
Soit que je priffe en main le foc ou la faucille,
Le labeur de mes bras nourriffsoit ma famille ;
Et lorfque le Soleil en achevant fon tour,
Finissoit mon travail en fixiffant le jour,

1 Cette Scene eft le chef-d'œuvre des Bergeries de RACAN Quelle élegante fimplicité dans le ftile! Quelle naïveté char mante dans les pentées! Dire que Théoctite & Virgile n'ont rien fait de mieux dans ce genre là, ce feroit prévenir le jugement du Lecteur.

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