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Malherbe, après les avoir lus, lui demanda, S'iz avoit été condamné à étre pendu, ou à faire ces vers-là.

Un Poëte de Province l'avoit prié de lui corriger une Ode au Roi. Quand il revint, Malherbe lui dit, qu'il n'y avoit que quatre mots à ajouter ; & fur les inftances du Poëte, il mit au deffous du titre, Αυ Roi pour fa chaife percée. Enfuite ayant bien plié le papier, il le rendit au Poëte qui, fans regarder ce qu'il avoit écrit, l'accabla de remerciemens & de révérences.

Henri IV lui montroit un jour des vers qu'on lui avoit donnés, & qui commençoient ainfi :

TOUJOURS l'heur & la gloire

Soient à votre côté ;

De vos faits la mémoire

Dure à l'éternité.

Malherbe, fans en lire d'avantage, les retourna fur le champ de cette façon :

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Enfuite il fe retira fans dire autre chofe.

Il avoit été ami du Poëte Régnier, & se brouilla avec lui de cette maniere. Étant allé dîner enfemble chez l'Abbé Desportes, oncle de Régnier, ils

trouverent qu'on avoit déja fervi les potages. Def→ portes fe leva de table, reçut très-poliment Malherbe, & voulut d'abord lui donner un exemplaire de fes Pfeaumes qui étoient nouvellement imprimés. Comme il fe mettoit en devoir de monter dans fon cabinet pour l'aller chercher, Malherbe lui dit: Qu'il les avoit déja vus, que cela ne méritoit pas qu'il prit cette peine, & que fon potage valoit mieux que fes Pfeaumes. Cette brufquerie piqua tellement Defportes, qu'il ne lui dit pas un mot durant tout le dîner. Auffi-tôt qu'ils furent fortis de table, ils fe féparerent, & ne fe virent plus depuis. C'est ce qui donna lieu à Régnier de faire contre Malherbe la Satyre qui commence:

RAPIN, le favori d'Apollon & des Mufes

Meziriac, accompagné de quelques amis, lui ayant apporté l'Arithmétique de Diophante (ancien Mathématicien Grec,) qu'il venoit de publier avec un Commentaire favant; comme on vantoft fort le mérite & l'utilité de cet ouvrage, Malherbe demanda froidement, S'il feroit amander le pain.

Quelqu'un lui difant que M. Gaulmin, ( homme fort verfé dans les Langues Orientales ) entendoit la Langue Punique, & qu'il avoit traduit le Pater en cette Langue, il dit brufquement qu'il y mettroit lui le Credo. A l'inftant il prononça plufieurs mots barbares qu'il forgeoit à mefure, &

ajouta: Je vous foutiens que voilà le Credo en Langue Punique. Qui pourra me prouver le contraire?

Les Écrivains contemporains de Malherbe ou près de fon tems, qui ont parlé de ce Poëte, font peu d'accord fur fon érudition.

Racan écrit qu'il n'eftimoit point les Grecs, & qu'il étoit fur-tout ennemi du galimatias de Pindare; qu'à l'égard des Poëtes Latins, Stace avoit chez lui le premier rang, & qu'enfuite ceux qu'ilaimoit le plus, étoient Sénéque le Tragique, Horace, Juvenal, Martial, Ovide. Godeau, (dans fon Difcours fur les Euvres de Malherbe ) prétend au contraire, qu'il aimoit & Grecs & Romains, mais fans en être idolâtre, & qu'il s'étoit enrichi de leurs dépouilles, mais de maniere à fe les rendre propres. (*) D'autres l'ont juftifié fur le goût de préférence que Racan lui attribue pour Stace & Sénéque. Ils foutiennent encore qu'Horace étoit fon auteur favori, & qu'il l'appelloit ordinairement son Bréviaire.

A pe confulter que les écrits de Malherbe, il ne paroît pas que les Poëtes Grecs lui fuffent à beaucoup près auffi familiers que les Poëtes Latins, mais il connoiffoit bien ceux-ci. M. de Saint Marc qui a raffemblé, dans la Table raifonnée de fon édition,

(*) On voit au ze Liv. de fes Lettres, par la 18e adreffée à M. de Mentin, qu'il favoit le Grec.

la plus grande partie des imitations de Malherbe, prouve affez qu'il en étoit bien rempli ; & pour s'en convaincre d'ailleurs, il ne faut que lire avec un peu d'attention le Poëte François.

Pour l'observer en paffant, bien des gens peutêtre ignorent que Malherbe eft l'auteur de la belle Devife faite pour Louis XIII, dont le corps eft une maffue entre les deux écuffons de France & de Navarre, avec ce mot: ERIT hac quoque cognita monftris.

Il faifoit peu de cas des Poëtes Italiens, fans même en excepter Pétrarque, dont il difoit que tous les Sonnets étoient à la Grecque, comme Mlle de Gournay l'avoit dit de quelques Épigrammes fort infipides qu'elle avoit faites. Il ne devoit pas du moins leur pardonner fon Poëme des Larmes de Saint Pierre, traduit d'un de leurs plus hupés Pointilleurs ou Concettuofi du feiziéme fiécle.

Malherbe après tout ne fe piquoit pas d'être fçavant. Il fe bornoit à bien pofféder la Langue Françoife, à l'étudier continuellement, à l'épurer de plus en plus, & à débarraffer la Poéfie du jargon barbare que les Poëtes venus depuis Marot pour la rendre ou plus érudite ou plus pittorefque, y avoient ridiculement introduit.

Toute la Cour, fous Henri IV, étoit devenue Gafconne ou parloit Gafcon: Peuple Caméléon, peuple finge du Mattre! Malherbe qui travailloit

difoit-il, à dégafconner la Cour ne paffoit rien, & reprenoit librement jufqu'aux Princes mêmes, lorfqu'il en trouvoit l'occafion; auffi l'appelloiton le tyran des mots & des fyllables. Balzac qui fe reconnoît fon difciple & l'appelloit fon pere, dit quelque part qu'il traitoit l'affaire des Gérondifs & des Participes, comme il auroit fait celle de deux peuples voifins l'un de l'autre & jaloux de leurs frontieres. On raconte auffi qu'il avoit chez Jui une vieille Servante dont il confultoit quelquefois l'oreille.

Henri IV lui montrant un jour la premiere lettre que le Dauphin (depuis Louis XIII) lui avoit écrite, Malherbe remarqua qu'il avoit figné Lois, au lieu de Louis. Il demanda au Roi, fi M. le Dauphin avoit nom Lois. Le Roi surpris de cette demande en voulut fçavoir la caufe, & Malherbe lui montra la fignature du jeune Prince. On envoya chercher fur le champ celui qui lui montroit à écrire, pour lui enjoindre de lui faire mieux ortographier fon nom. Delà Malherbe difoit être caufe que le Roi, fucceffeur d'Henri IV, s'appelloit Louis.

Il fe faifoit prefque tous les jours au foir, dans fa chambre, des conférences fur la Langue & fur la Poéfie Françoife, où affiftoient principalement Colomby, l'un de nos premiers Académiciens, Racan & Maynard.

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