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Une preuve de l'étude affidue qu'il faifoit de l'une & de l'autre, c'eft la façon dont il avoit lu Ronfard & Defportes. Il avoit effacé, ou, comme on dit, bâtonné plus de la moitié de fon Ronfard, & à la marge il en marquoit les raifons. Un jour trois de fes amis le feuilletant fur la table, un d'eux lui demanda s'il approuvoit ce qu'il n'avoit point barré : Pas plus que le reste, dit-il. On lui représenta fur le champ que, fi après la mort on trouvoit ce livre, croiroit que ce qu'il n'avoit pas effacé lui avoit fans doute paru bon. It répondit: Vous avez raison, & à l'inftant il barra le refte. Il avoit accommodé à peu près de même un exemplaire de Defportes, dont M. de Saint Marc a eu communication, & qui lui a bien fervi à compofer le Difcours fur les obligations que la Langue & la Poéfie Françoife ont à Malherbe..

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De tous nos anciens Poëtes François, il n'eftimoit un peu, dit Racan, que le feul Bertaut. II n'avoit donc jamais lu Marot, entre lequel & Malherbe même il y a beaucoup moins de diftance, pour le naturel où la netteté de la verfification & du ftyle, qu'il n'y en a de la plupart de ses contemporains à lui.

Malherbe eut plufieurs difciples. Les plus célé bres furent Colomby, qu'il ne trouvoit point propre à la Poćfie; Maynard, celui de tous & l'homme de France, qui, à fon avis, fçavoit le mieux faire des vers, mais qui manquois de force; & Racan, à

qui, felon notre Poëte, il ne manquoit que de travailler un peu plus les fiens. Pour lui, ce n'étoit qu'à force de travail qu'il parvenoit à terminer fes ouvrages. Il difoit qu'après avoir fait un Poëme de cent vers, ou un Difcours de trois feuilles, il falToit fe repofer dix ans. Balzac a écrit qu'il employa une demi-rame de papier à faire & refaire une feule Stance. Il paroît enfin qu'il s'étoit fait une maniere peu expéditive & très-difficile. Cependant M. de Saint Marc obferve qu'il avoit fait beaucoup plus de vers qu'il ne nous en refte. Mais comme ceux de fon meilleur tems nous font apparemment reftés, ils fuffifent pour nous confoler de ceux que nous avons perdus.

Il récitoit un jour à Racan des vers qu'il avoit nouvellement faits, & lui en demandoit fon avis. Racan s'en excufa, difant qu'il ne les avoit pas bien entendus, & qu'il en avoit mangé la moitié. Malherbe qui ne pouvoit fouffrir qu'on lui reprochât le défaut qu'il avoit de bégayer ( & qui fans doute étoit colere, comme font tous les Bégues, ) lui dit vivement: Morbleu, fi vous me fâchez, je les mangerai tous. Ils font à moi, puifque je les ai faits j'en puis faire ce que je voudrai. Au refte il étoit comme tous les gens vifs: il s'opiniâtroit d'abord contre le fentiment de fes amis, & puis y revenoit de lui-même.

Les Poëtes ont toujours été en poffeffion d'être

galans, fans galanterie, fans objet. L'Hiftoire des Amours Poëtiques des prédéceffeurs de Malherbe, en ne remontant que jufqu'à Marot, traitée, comme nous la concevons, par quelqu'un qui en auroit le loifir, pourroit devenir affez plaifante. Ce goût de galanterie que le bon Abbé de Tiron (*) & tant d'autres avant ou depuis ont allié intrépidement avec l'habit Eccléfiaftique, fubfiftoit encore au tems de Malherbe. Ce fût pour fe conformer à l'ufage, que Racan & lui choifirent chacun une Dame de mérite & de qualité pour en faire le fujet de leurs vers. Le choix de Malherbe tomba fur Madame de Rambouillet (Catherine de Vivonne, ) & c'eft pour elle qu'ont été faits tous les vers adreffés à Rhodante.

Mais, fi le plus ou le moins de goût qu'avoit Malherbe pour les femmes n'eft pas une recherche fort intéreffante, il eft affez curieux de voir l'idée qu'il en donne lui même avec cette franchise qui faifoit le fond de fon caractere, Lettre 31. Liv. I. Je ne fçaurois nier, écrit-il, que lorsque ,, j'étois jeune, je n'aye eu les chaleurs de foyé ,, qu'out les jeunes gens, mais ce n'a jamais été ,, jufqu'à pouvoir aimer une femme qui ne me ren», dit la pareille. Quand quelqu'une m'avoit donné ;, dans la vie, je m'en allois à elle. Si elle m'at

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(*) Desportes.

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tendoit, à la bonne heure. Si elle reculoit, je la fuivois cinq ou fix pas & quelquefois dix où douze, felon l'opinion que j'avois de fon mérite. ,, Si elle continuoit de fuir, quelque mérite ,, qu'elle eut je la laiffois aller...,, On voit donc qu'il ne lui falloit que des beautés faciles. Il continue ainfi en vers:

Et maintenant encore en cet âge penchant
Où mon peu de lumiere eft fi près du couchant,
Quand je verrois Helene au monde revenue &c.

Voyez le reste du fragment pour la Marquise de Rame bouillet, qui eft dans ce Volume.

Quelle qu'ait été fa maniere d'aimer trop pen délicate, fi l'on veut, ) il connoiffoit au moins le prix de l'amour payé par l'amour. Auffi difoit-il que "" De tout ce que nous poffédons, les femmes font ,, feules qui prennent plaifir d'être poffédées :,, Réflexion affez fine. Lorfqu'il écrivoit à ses Maitreffes, il finiffoit toujours par leur baifer les pieds.

Quoique la Poéfie parût faire toute l'occupation de Malherbe, il ne la mettoit pas à un fi haut prix que fes vers pourroient le faire penfer. Il difoit d'abord, que la Poćfie Françoise n'étoit propre que pour des Chanfons & des Vaudevilles; mais il auroit certainement changé d'avis, s'il eût pu voir Fufage qu'en ont fait Corneille, Racine, la Fon

caine,

taine, Defpréaux, Rouffeau, M. de Voltaire. Un Poëte du tems qui travailloit auffi pour la Cour, appellé Bordier, fe plaignoit à lui qu'il n'y avoit de récompenfe que pour ceux qui fervoient le Roi dans les armées & dans les affaires, & qu'on abandonnoit les Gens de Lettres. Malherbe lui répondit:,, Que c'étoit fort fagement fait ; qu'il y ,, avoit de la fottife à faire un métier de la Poéfie, ,, qu'on n'en devoit point efpérer d'autre récom,, penfe que fon plaifir; qu'enfin un bon Poëte n'étoit pas plus utile à l'état qu'un bon joueur de 5 quilles.

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Il eut pendant fa vie, comme tous les Écrivains diftingués, des envieux, des ennemis, des cenfeurs. Outre la Satyre que Régnier fit contre lui pour venger Defportes, un Poëte appellé Berthelot, parodia d'une façon très-piquante fa Chanfon à double refrein: Cela fe peut facilement, cela ne fe peut nullement. (*) Cette Parodie fatyrique eft rapportée dans le 15 Tome de la Bibliothéque Fransoife, p. 189; & pour ces fortes de Cenfures, nous renvoyons tant à cet ouvrage, qu'aux Notes de M. de Saint Marc fur les Mémoires de Racan.

Il écrivoit à un de fes amis: Qui me voudra nulre, qu'il fe hâte finon il y a de l'apparence qu'il ne me trouvera pas au logis.

(*) Certe Chanfon eft dans ce Volume.

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