Et moi, fi de mes jours l'importune durée Ne m'eût en vieilliffant la cervelle empirée, Ne devois-je être fage, & me ressouvenir D'avoir vu la lumiere aux aveugles renduë, Rebailler aux muets la parole perduë, Et faire dans les corps les ames revenir?
De ces faits non communs la merveille profonde, Qui par la main d'un feul étonnnoit tout le monde, Et tant d'autres encor, me devoient avertir Que, fi pour leur auteur j'endurois de l'outrage, Le même qui les fit, en faifant davantage, Quand on m'offenferoit me pourroit garantir.
Mais, troublé par les ans, j'ai fouffert que la crainte, Loin encore du mal, ait découvert ma feinte, Et fortant promptement de mon fens & de moi, Ne me fuis apperçû qu'un deftin favorable M'offroit en ce danger un sujet honorable D'acquérir par ma perte un triomphe à ma foi,
Que je porte d'envie à la troupe innocente De ceux qui, maffacrez d'une main violente, Virent dès le matin leur beau jour accourci, Le fer qui les tua leur donna cette grace, Que fi de faire bien ils n'eurent pas l'efpace, Ils n'eurent pas le temps de faire mal auffi.
De ces jeunes guerriers la flotte vagabonde, Alloit courre fortune aux orages du monde.
Et déja pour voguer abandonnoit le bord, Quand l'aguet d'un pirate arrêta leur voyage; Mais leur fort fut fi bon, que d'un même naufrage Ils fe virent fous l'onde & fe virent au port.
Ce furent de beaux lis qui, mieux que la nature a Mêlant à leur blancheur l'incarnate peinture Que tira de leur fein le couteau criminel, Devant que d'un hiver la tempête & l'orage A leur teint délicat puffent faire dommage, S'en allerent fleurir au printemps éternel.
Ces enfans bienheureux créatures parfaites, Sans l'imperfection de leurs bouches muettes) Ayant Dieu dans le cœur ne le pûrent loüer Mais leur fang leur en fut un témoin véritable; Et moi, pouvant parler, j'ai parlé, miférable, Pour lui faire vergogne, & le défavoüer.
Le peu qu'ils ont vécu leur fut grand avantage, Et le trop que je vis ne me fait que dommage; Cruelle occafion du fouci qui me nutt! Quand j'avois de ma foi l'innocence premiere, Si la nuit de la mort m'eût privé de lumiere, Je n'aurois pas la peur d'une immortelle nuit.
Ce fut en ce troupeau que, venant à la guerre Pour combattre l'enfer & défendre la terre, Le Sauveur inconnu fa grandeur abaissa ; Par eux il commença la premiere mêlée,,
Et furent eux auffi que la rage aveuglée Du contraire parti les premiers offenfa.
Qui voudra fe vanter avec eux fe compare D'avoir reçu la mort par un glaive barbare, Et d'être allé foi-même au martyre s'offrir; L'honneur leur appartient d'avoir ouvert la porte A quiconque ofera, d'une ame belle & forte, Pour vivre dans le ciel, en la terre mourir. O défirable fin de leurs peines paffées! Leurs pieds, qui n'ont jamais les ordures preffées Un fuperbe planché des étoiles fe font; Leur falaire payé les fervices précede;
Premier c que d'avoir mal ils trouvent le remède, Et devant le combat ont les palmes au front.
Que d'applaudiffemens, de rumeur & de preffe, Que de feux, que de jeux, que de traits de careffe Quand là-haut en ce point on les vit arriver ! Et quel plaifir encore à leur courage tendre, Voyant Dieu devant eux en fes bras les attendre, Et pour leur faire honneur les Anges fe lever!
Et vous femmes, trois fois,quatre fois bienheureuses, De ces jeunes Amours les meres amoureuses, Que faites-vous pour eux, fi vous les regrettez ? Vous fâchez leur repos, & vous rendez coupables, Ou de n'eftimer pas leurs trépas honorables, Ou de porter envie à leurs félicitez.
Le foir fût avancé de leurs belles journées;
Mais qu'euffent-ils gagné par un fiécle d'années Ou que leur avint-il en ce vîte départ,
Que laiffer promptement une baffe demeure, Qui n'a rien que du mal, pour avoir de bonne heufe Aux plaifirs éternels une éternelle part?
Si vos yeux pénétrans jufqu'aux chofes futures Vous pouvoient enfeigner leurs belles avantures Vous auriez tant de bien en fi peu de malheurs, Que ne voudriez pas pour l'empire du monde N'avoir eu dans le fein la racine féconde D'où nâquit entre nous ce miracle de fleurs.
Mais moi, puifque les loix me défendent l'outrage Qu'entre tant de langueurs me commande la rage Et qu'il ne faut foi-même éteindre fon flambeau ; Que m'eft-il demeuré pour confeil & pour armes Que d'écouler ma vie en un fleuve de larmes, Et la chaffant de moi l'envoyer au tombeau ?
Je fçai bien que ma langue ayant commis l'offenfe, Mon cœur incontinent en a fait pénitence. Mais quoi! Si peu de cas ne me rend fatisfait. Mon regret eft fi grand, & ma faute fi grande, Qu'une mer éternelle à mes yeux je demande Pour pleurer à jamais le péché que j'ai fait.
Pendant que le chétif en ce point fe lamente S'arrache les cheveux, se bat & fe tourmente,
En tant d'extrémités cruellement réduit Il chemine toujours; mais rêvant à fa peine, Sans donner à fes pas une regle certaine, Il erre vagabond où le pied le conduit.
A la fin égaré (car la nuit qui le trouble Par les eaux de fes pleurs fon ombrage redouble) Soit un cas d'avanture, ou que Dieu l'ait permis Il arrive au jardin, où la bouche du traître, Profanant d'un baifer la bouche de fon maître, Pour en priver les bôns aux méchans l'a remis. Comme un homme dolent, que le glaive contraire A privé de fon fils & du titre de pere, Plaignant de-çà, de-là fon malheur avenu, S'il arrive en la place où s'eft fait le dommage à L'ennui renouvellé plus rudement l'outrage En voyant le fujet à fes yeux revenu.
Le vieillard, qui n'attend une telle rencontre, Si-tôt qu'au dépourvů fa fortune lui montre Le lieu qui fut témoin d'un fi lâche méfait, De nouvelles fureurs fe déchire & s'entame, Et de tous les penfers qui travaillent fon ame L'extrême cruauté plus cruelle fe fait.
Toutefois il n'a rien qu'une trifteffe peinte; Ses ennuis font des jeux, fon angoiffe une feinté Son malheur un bonheur, & fes larmes un ris Au prix de ce qu'il fent, quand fa vue abaiffée
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