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esprit, quelquefois même du caractère de ses

mœurs.

La découverte de l'ufage auquel les Monumens ont été employés, donne des éclairciffemens fur les inclinations & le goût d'un Peuple; elle sert en même tems à l'intelligence de plusieurs paffages des Auteurs, qui ne peuvent être entendus fans le fecours des Monumens: car les Hiftoriens ont prefque toujours négligé les détails, les regardant avec raison comme inutiles à leur objet.

La connoiffance des matières fournit des lumières fur les productions de la terre: celles-ci font ordinairement conftantes. On peut donc, en indiquant le lieu qui les fourniffoit autrefois, les faire retrouver, & les rendre communes dans la fociété. La certitude que l'on a, qu'une matière existe dans un pays, produit le même avantage qu'on éprouve fur les opérations anciennement pratiquées; c'eft-à-dire, qu'elles font toujours plus faciles à retrouver, ou à répéter. La poffibilité, dont on eft convaincu, répond du fuccès, & bannit le dégoût d'une recherche ou d'une expérience, dont on eft en quelque façon affuré.

La forme non-feulement eft capable de rendre les ufages modernes plus commodes,mais encore d'en rectifier le trait, & de conduire à une élégance qui produit l'embelliffement des Arts; le travail des

Artistes devient par conféquent plus heureux & plus étendu.

On conviendra fans peine que les détails de ces quatre objets d'étude font peu limités, & qu'ils font capables d'occuper & d'amufer. Mais on dira peut-être que toute la gloire d'un Antiquaire fe borne à pouvoir être utile un jour, aux Lettres & aux Arts; car il travaille toute fa vie à leur affembler des matériaux, dont les Littérateurs & les Artiftes n'aiment à profiter qu'après la mort de celui qui les a réunis. Mais cette réflexion ne peut être donnée comme un reproche; & rien n'eft en droit de diminuer le devoir d'obliger; c'est le premier de la fociété. Il est donc agréable de travailler dans l'efpérance de procurer à fes pareils la plus médiocre utilité, tandis qu'un fi grand nombre d'hommes meurent infolvables à cet égard.

Je paffe au fecond objet de l'étude de l'Antiquité. Toutes les Nations célèbres, ou plutôt celles dont il fubfifte des Monumens, & dont il est mention dans l'Hiftoire, font, en quelque façon, fubordonnées à l'Antiquaire. Il est à portée, comme je l'ai dit plus haut, de juger de leurs mœurs, de leur caractère, & de leur conduite, par le genre & la répétition de leurs ouvrages. On fçait aifément que ce jugement n'eft pas fans appel, & qu'on ne doit le regarder que comme un préjugé plus folide qu'aucun autre ; mais l'Antiquaire tire

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une plus grande certitude de la comparaifon de ce qu'il voit, avec le récit des Hiftoriens; fouvent même il peut fuppléer à ce qu'ils ont omis.

Ces avantages font grands, mais ils ne font pas comparables à celui d'apprendre à connoître les hommes, c'est-à-dire, à voir, fans aucune obfcurité, le plus grand nombre de leurs foiblesses : il apprend à les éviter, tandis que leur répétition & leur reffemblance le conduifent même à les excufer. Il ne peut douter que la nature de l'homme ne l'engage à ces abus: mais le plus grand objet de la méditation de l'Antiquaire, celui qui fe trouve le plus lié à ses recherches, fera fans doute la lenteur & la médiocrité du génie inventif, que les hommes s'attribuent. Les Réflexions lui feront fentir qu'un befoin fimple a fait naître en premier lieu un moyen groffier, qui n'a point été prévâ, & dont la découverte n'est dûe qu'au hasard. La longue répétition de ce moyen a mis fucceffivement d'autres hommes en état de profiter des nouveaux hafards qui fe font présentés: ce moyen devenu complet, a été adapté dans la fuite à d'autres moyens, plus ou moins utiles, à proportion de l'étendue de la fociété. Enfin, après la révolution de plufieurs fiècles, le résultat d'un si grand nombre de hafards, fe trouve mis au rang des inventions, & l'on admire le grand effort de l'efprit humain. C'est en effet ce que doivent faire ceux qui placés, comme nous, au-defTome V.

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fous, voient, pour ainfi dire, de bas en haut. Je ne m'oppose donc point à cette admiration, puifqu'elle eft fondée fur une néceffité; mais je crois qu'elle doit être conditionnelle, & telle qu'elle fe préfente à l'Antiquaire, qui fe procure l'avantage de calculer la médiocrité des premières idées, & d'un lieu plus élevé, de juger du tems & des moyens que les hommes ont employés pour les étendre, & de toutes les privations qu'ils ont fouffertes avant de parvenir au plus léger progrès.

On peut donc avancer hardiment que la plus fimple bagatelle n'a point été trouvée telle qu'on l'a vûe dans les pays civilifés, & que n'ayant jamais été prévûe, on ne peut lui donner le nom d'Invention, ou du moins qu'elle ne mérite pas de le porter, fi l'on prend le mot felon fa jufte valeur. Je vais en donner quelques exemples.

La Roue eft la plus belle machine que les hommes aient faite, en ne la regardant même que comme fimple, & fans l'utilité dont elle eft pour toutes les machines auxquelles elle a été appliquée; cependant elle ne peut être dûe qu'à l'effet du hafard qui fe présente naturellement à des hommes fauvages, & privés de connoiffances. Tel eft celui d'un arbre abbattu, & tombé fur un arbre déja renverfé. Ce dernier ayant procuré une forte de facilité pour le mouvement de celui de deffus, cette première expérience a donné l'idée du rouleau: mais il a fallu bien des années d'usage & de répé

tition pour paffer d'un rouleau de longueur, à celui d'une médiocre épaisseur, & percé dans fon centre pour être placé avec un autre de hauteur égale, fur un aiffieu, & rendre par ce moyen ce rouleau mobile, & propre à transporter les fardeaux les plus pefans. Il faudroit peut-être compter beaucoup moins d'années pour arriver de cette petite roue pleine, tirée du rouleau de longueur,à celle que les Grecs employoient pour leurs chars ; & qui joignoient la légèreté à la solidité.

On trouvera fans doute que j'ai choisi l'exemple le plus à mon avantage. Je le crois, & je le regarde en effet comme le plus fenfible; mais celui que je vais rapporter, ne tient point du tout à l'Art, il ne dépend que de la connoiffance d'un élément, dont il fera toujours étonnant que les hommes aient ignoré fi long-tems les plus grands, ou plutôt les premiers avantages.

L'ufage du Feu, dont on s'eft rendu maître en quelque façon, a exigé fans doute l'expérience d'un grand nombre d'années, ainsi que l'exemple de plufieurs malheurs, avant que les hommes aient été en état de le modérer, de l'éteindre, de le faire naître à leur volonté, & de l'employer à leurs befoins; l'Hiftoire ancienne le fait même affez entendre: mais les Sauvages de l'Amérique Septentrionale nous ont fourni, dans le dernier

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