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1751.

Ils font tous excellens nageurs : on en a journelleSeptembre. ment des marques; mais il n'eft rien qui le prouve dafont d'excel- Vantage que la hardiesse avec laquelle ils s'expofent nageurs. aux lames de la barre. J'étois le 25 du même mois fur

lens

Les nègres

Poiffon trem

bleur.

le bord de la mer, occupé à observer la hauteur des marées de l'équinoxe, lorfqu'un navire françois arriva vis-à-vis le fort du Sénégal. Son canot s'approcha jufqu'aux premieres lames, où la barre commence à fe faire fentir: là il attendit que l'on vînt prendre langue & chercher les nouvelles qu'il apportoit. Le nègre qui avoit coutume de faire ce métier, fe mit à l'eau pour les aller prendre au travers des lames qui brifoient alors plus qu'à l'ordinaire, parce que les marées étoient plus fortes. A voir l'état effrayant des lames qui s'élevoient de plus de dix pieds de hauteur, & retomboient comme autant de nappes d'eau, avec un bruit & une pefanteur énorme, on n'auroit jamais cru qu'il eût pu les vaincre : cependant il les paffa toutes en fe faifant porter fur le dos des unes, plongeant fous les autres dans lesquelles il paroiffoit enféveli, & regagna fort heureusement la terre avec les paquets dont on l'avoit chargé. Ce n'eft pas toujours la mer qu'on a le plus à craindre dans ce paffage : il court fur cette barre des requiens fi forts & fi terribles, qu'ils emportent quelquefois le plongeur. Ce fut fans doute un accident pareil qui fit disparoître dans ce même mois un nègre, dont on n'entendit jamais parler depuis.

Le lendemain on pêcha dans les eaux douces du fleuve un poiffon qui a peu de rapport avec ceux qu'on connoît jusqu'à préfent. Son corps eft rond, fans écailles & gliffant comme celui de l'anguille, mais beau

coup plus épais par rapport à fa longueur. Il a aussi quelques barbillons à la bouche. Les nègres le nomment ouaniear, & les françois trembleur, à cause de la propriété qu'il a de causer, non un engourdissement comme la torpille, mais un tremblement très-douloureux dans les membres de ceux qui le touchent. Son effet qui ne m'a pas paru différer fenfiblement de la commotion électrique de l'expérience de Leyde, que j'avois déja éprouvée plufieurs fois, se communique de même par le fimple attouchement, avec un bâton ou une verge de fer de cinq ou fix pieds de long, de maniere qu'on laiffe tomber dans le moment tout ce qu'on tenoit à la main. J'ai fait plufieurs fois cette expérience, & celle de manger de la chair de ce poisfon, qui quoique d'un assez bon goût, n'étoit pas d'un ufage également fain pour tout le monde.

1751.

Septembre.

L'ifle du Sénégal n'est, comme je l'ai dit plusieurs fois, qu'une espece de banc de fable à découvert, qui ne produit que peu d'herbes insuffisantes & peu propres à fournir à la nourriture des troupeaux de la Compagnie. C'est ce qui a obligé de choisir un lieu où ces troupeaux pussent trouver & les pâturages & la fûreté contre les pillages des maures & des nègres. On a rencontré une partie de ces avantages fur une ifle affez grande, qu'on appelle l'ifle de Griel, & qui eft à deux lieues dans le nord de celle du Sénégal. La facilité qu'on a de s'y transporter par une petite riviere de même nom, & tout le bien que j'avois entendu dire de cet endroit, m'engagerent à y faire un voyage de quelques jours. Je partis pour m'y rendre le 2 d'octo- 2 Octobre. bre, par ce même canal qui eft parallèle au bras prin- life de Griel,

Voyage à

Octobre.

Pélicans.

1751 cipal du Niger, & qui n'eft féparé de la mer dans toute fa longueur que par une langue de fable de cent toifes au plus de largeur. Il étoit tout couvert de pélicans ou grands-gofiers, qui fe promenoient gravement comme des cignes fur fes eaux. Ce font fans contredit, après l'autruche, les plus grands oiseaux du pays. J'en tuai un dont les aîles mefurées d'une extrêmité à l'autre avoient plus de dix pieds d'ouverture. La lone gueur de fon bec étoit de plus d'un pied & demi, & le fac qui y eft attaché en dessous contenoit près de vingtdeux pintes d'eau. L'ufage de ce fac n'eft uniquement que pour la pêche : c'eft comme une espece d'épervier que la nature a donné à cet oifeau, pour lui faciliter les moyens de pourvoir à ses grands besoins. Elle ne pouvoit le placer dans un animal qui fçût mieux s'en fervir, & on peut dire qu'il entend la pêche dans la Leur maniere perfection. Ces oifeaux nagent ordinairement par comde pêcher, pagnie fur les hauts fonds, & forment un grand cercle

Point de vue

,

qu'ils refferrent en se rapprochant peu à peu pour ra¬ mener le poiffon, que le mouvement de leurs pieds contient dans ce petit efpace: quand ils le voient affez raffemblé, ils plongent dans l'eau leur bec ouvert, &

referment avec une vîteffe comparable à celle d'un pêcheur qui jette & retire auffi-tôt fon épervier. Pour verfer l'eau dont leur fac eft rempli, ils ne font que pancher leur bec de côté en l'entrouvrant légerement, elle s'échappe auffi-tôt & laiffe à fec les poiffons, qu'ils vont manger paifiblement à terre.

Quand on eft à un quart de lieue de l'ifle de Griel, du bois de on croit voir une belle avenue d'arbres qui fe préfente fur le côté : leur fymmétrie feroit même penfer qu'ils

Griel.

ont

par

1751.

ont été plantés à dessein pour former à cet endroit un point de vue charmant : ce ne font cependant que des Octobre. pains-de-singe semés les mains de la nature, & ils se font reconnoître facilement par leur forme & leur groffeur. Excepté ces arbres qui font en grande quantité fur cette pointe, & un bouquet de mangliers, on n'en voit guères d'autres fur cette ifle. La prairie fe trouve de ce même côté, fur un sable rouge un peu élevé, où font femés çà & là quelques arbriffeaux, & fur-tout des titimales, dont la blancheur fort agréablement par le vif coloris des fleurs de la fuperbe (1) qui les couronne. Le reste du terrein est une plaine baffe & unie, dont la plus grande partie eft cachée fous les eaux pendant la faison pluvieuse : elle se découvre en hiver en les raffemblant dans un petit ruiffeau qui femble en former une petite ifle dans la grande ifle de Griel. Cette partie balance les bonnes qualités de l'autre, car elle ne produit que deux fortes de plantes (2) dont il ne paroît pas que les beftiaux foient fort friands.

Dounn.

Après avoir paffé le ruisseau qui sépare la petite ifle Village de de la grande ifle de Griel, on trouve vers le nord le village de Dounn fur un fable rougeâtre un peu plus élevé, & d'une fertilité étonnante. En avançant plus loin, toujours vers le nord, on arrive au village de Nguiàgo, d'où on apperçoit fur la droite à une lieue De Nguiàgo, de distance celui de Torkrod, qui en est séparé par un marais de toute cette étendue. Comme ce marais est

(1) Nouvelle espece de methonica.

(2) La criste marine ou falicor; & la creffa de Linnæus. Spec. Plant, pag. 223.

S

que

1751. rempli d'eau & de joncs, on y trouve beaucoup d'oiOctobre. feaux aquatiques, tels les courlis, les bécaffes, les digieux d'oi- farcelles & les canettes. Ces dernieres fur-tout, qui feaux aquati- font une petite espece de canard peu différente de la

Nombre pro

ques.

Lits des nè

farcelle d'Europe, s'y rendent quelquefois en si grande
quantité qu'elles couvrent de grands efpaces de ter-
rein: on ne les voit alors que par milliers ; & on les
tue, pour ainfi dire, de même. Il n'est pas rare d'en
voir coucher une trentaine d'un coup de fufil, & fou-
vent même le double. Il eft vrai que c'est aux nègres
que font réfervés ces beaux coups. Outre qu'ils font
bons tireurs, qu'ils ne fe fervent que de ces gros &
grands fufils appellés boucaniers, & qu'ils ne couchent
ces oiseaux qu'au raz de terre & dans de vaftes plaines,
ils ont encore un autre avantage fur les Européens :
ils
peuvent approcher le gibier à la faveur de la cou-
leur de leur corps, qui étant noir depuis la tête juf-
qu'aux pieds, fe confond avec la verdure de la cam-
pagne; au lieu que la blancheur du vifage d'un Euro-

péen, le moindre bout de manchette ou de col blanc
font apperçus de fort loin par le gibier; le plus petit
mouvement l'épouvante & le fait partir avant même
qu'on foit à fa portée.

Les nègres de ce quartier font obligés de coucher grès de Griel. dehors fur des lits affez hauts, pour être à l'abri des mouftiques & des maringoins qui y font très-communs, fur-tout dans ce mois. Ces lits ont communément cinq à fix pieds en quarré : ils consistent en une double claie fort épaiffe, portée fur quatre poteaux élevés de huit à neuf pieds au-deffus de terre. On monte à cette efpece de plateforme par des échelons liés à deux des poteaux

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