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1749.

Juin.

arbres fort

en eft diftante d'environ une lieue. Nous avions l'ifle Bifèche fur notre droite, & l'ifle au Bois fur la gauche. Toutes deux étoient bordées de mangliers qui donnoient à notre navigation tout l'agrément d'une promenade dans une belle & large avenue d'arbres. Les Mangliers, mangliers (1) ont quelque chofe de trop fingulier pour finguliers. les paffer fous filence. Ces arbres, dont les plus grands n'ont communément que cinquante pieds de hauteur, ne croiffent que dans l'eau, & fur le bord des rivieres où l'eau de la mer remonte deux fois par jour. Ils confervent toute l'année la fraîcheur de leurs feuilles, comme prefque tous les autres arbres de ce pays: mais ce qui les rend plus remarquables, ce font de longues racines qui fortent de leurs branches les plus baffes, & tombent de haut en bas pour s'approcher du fond de l'eau & pénétrer dans la terre. Elles reffemblent alors à autant d'arcades de cinq à dix pieds de hauteur, qui fervent à fupporter le corps de l'arbre, & à l'avancer même de jour en jour dans le lit du fleuve. Ces arcades font ft ferrées & fi entrelacées les unes dans les autres, qu'elles font commeune terraffe naturelle & à jour, élevée fur l'eau avec tant de folidité, qu'on pourroit y marcher, fi les branches trop fournies de feuilles n'y mettoient empêchement.

Nous fimes ainfi trois lieues dans les mangliers, après quoi, depuis le marigot de Kiala, jufqu'à celui de Torkhod, à quatre lieues & demi de l'ifle du Sénégal, nous ne vîmes fur les deux bords du fleuve que des joncs ou rofeaux de dix à quinze pieds de

(1) Mangles aquatica, foliis fubrotundis & punctatis. Plum. gen.

pag. 13.

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du village de

hauteur (1). Torkhod eft un village fitué à la gauche du Niger, fur une colline de fable rouge, au pied de laquelle paffe le marigot qui porte fon nom. C'est le feul village que nous ayons pû voir dans notre route depuis l'ille du Sénégal. Les mangliers nous avoient ôté la vûe des autres qui font répandus dans les terres baffes que le Niger inonde. La fituation avantageuse Perspective de Torkhod, la couleur rouge de fa colline, la beauté Torkhod. des arbres dont elle eft couverte, & la prairie fur laquelle il domine, préfentent une perspective fort riante. Des pêcheurs de l'endroit nous apporterent des machoirans (2), des anguilles & d'autres poiffons qu'ils avoient pêchés dans leur petite riviere. Nous en achetâmes plus de cinq douzaines, qui ne nous revinrent pas à trois deniers la piece; puis nous continuâmes notre route, rencontrant encore quelques mangliers fur la rive droite du fleuve, jufqu'à une lieue près d'un village appellé Maka, où ces arbres fe terminoient. Nous arrivâmes le même jour avant la nuit à l'ef- Arrivée à l'ef cale des Maringoins, lieu où devoit fe faire la traite. ringoins. Il en eft de cette escale, qui eft la premiere qu'on trouve en remontant le Niger, comme du tropique pour les navigateurs en mer; les françois qui y passent pour la premiere fois, s'obligent à faire une gracieufeté aux laptots (3): je leur fis donc délivrer la grati

(1) Gramen dactylon bicorne tomentofum maximum, fpicis numerofiffimis. Sloan. Jam. vol. 1. tab. 15.

Nhamdia brafilienfibus, bagre do Rio luzitanis. Marcgr, p. 149. (2) Myftus cirrhis fex longiffimis, pinnâ dorfi fecundâ triangulari. Gronov. Muf. Ichth. p. 35. n. 84.

(3) On appelle de ce nom les nègres qui font au fervice de la Compagnie.

cale des Ma

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Juin,

efpece de cou

fins.

fication ordinaire. L'efcale des Maringoins n'eft éloignée que de treize lieues françoifes au nord; nord-eft de l'ifle du Sénégal. C'eft une plaine de fort bonne terre, qui s'étend des deux côtés du fleuve jusqu'au village de Maka que nous venions de quitter, & qui dans cette longueur de plus de fept lieues, forme des vastes prairies, dans lesquelles les habitans élevent beaucoup Maringoins de beftiaux. On a donné le nom de marigot des Maringoins à une petite riviere qui vient de la mer se joindre au Niger un peu au-deffous de l'escale, parce qu'elle eft pleine de rofeaux extrêmement hauts & fort épais, qui fervent de retraite à une espece de coufins qu'on appelle maringoins. Il y a des tems où ces petits animaux fortent de ces endroits inacceffibles, en si grande abondance que l'air en eft obfcurci. On a bien de la peine à s'en garantir, parce que leur aiguillon pénétre au travers des étoffes les plus ferrées ; & leur piquûre devient infupportable par la prodigieufe quantité de ces petits infectes dont on eft affailli en même tems, & qui mettent en un moment le corps comme en feu. C'est une des plus grandes incommodités qu'on ait à fouffrir dans tous les lieux aquatiques.

Troupeaux

Les maures nous attendoient à deux cens pas du des maures. bord feptentrional du fleuve, où ils étoient campés. On ne voyoit dans toute la campagne que des troupeaux nombreux de boeufs, de moutons, de cabrits & de chameaux, qui paiffoient en toute liberté. Le lendemain je descendis à terre, pour voir de près les bœufs qui m'avoient paru différens de ceux d'Europe: ils étoient la plupart beaucoup plus gros, & plus

hauts fur jambes : ils fe faifoient remarquer par une
loupe de chair qui s'élevoit de plus d'un pied fur le
garrot entre les deux épaules. Ce morceau est un man-
ger délicieux. Les moutons, ou, pour parler plus
correctement, les beliers, car on n'est point dans l'u-
fage de les couper, font auffi d'une espece bien distin-
guée. Ils n'ont du belier de France que la tête & la
queue; du reste, pour la grandeur & le poil, ils tien-
nent davantage du bouc, qui lui-même n'a rien de
remarquable. Tous deux ont la chair extrêmement
délicate, mais fouvent trop parfumée. Il semble
la laine eût été incommode au mouton dans un pays
déja trop chaud; la nature l'a changée en un poil mé-
diocrement long & affez rare.

que

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En traverfant ces vastes troupeaux, je me trouvai Leurs tentes, infenfiblement approcher de l'adouar: c'est le nom qu'on donne à un amas de tentes où fe logent les maures. Ces tentes font toutes rondes en cône, & d'une groffe étoffe de poil de chevre & de chameau, assez ferrée pour être impénétrable à la pluie. Elles étoient placées les unes auprès des autres en forme de cercle, foutenues chacune par une perche qui s'élevoit au milieu, & arrêtées dans leur circonférence avec des longes de peau de bœuf, attachées à des piquets environ un pied au-dessus de terre. L'intérieur étoit tapiffé tout autour de plufieurs rangs de nattes, affermies d'un côté par la tente, & de l'autre par leurs meubles, qui fe bornent à quelques outres où font renfermées leurs hardes, leur lait, leur beurre, enfin leurs provifions de bouche, & à quelques moitiés de calebasses qui leur fervent de pots & de vases.

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Portrait des

maureffes.

maures,

yeux

Pendant que les hommes gardoient les beftiaux, les femmes, renfermées fous leurs tentes, s'occupoient à battre le beurre, à filer, à prendre foin de leurs enfans, & des autres ouvrages domeftiques. Elles ont le teint olivâtre, les traits du vifage réguliers, les grands & pleins de feu, les cheveux fort longs & nattés, pendans à quelques-unes, & relevés à d'autres. Elles me parurent auffi avoir la taille bien faite, quoique petite, & fur-tout beaucoup plus de réferve que Portrait des les negreffes. Les hommes ne font guères moins grands que les nègres; mais ils en different par leur couleur qui eft rouge ou rouge brun; par leurs cheveux qui font médiocrement longs, crêpus & plus épais; & fur-tout par les muscles qui marquent davantage fous leur peau : ils ont auffi le vifage plus maigre, plus décharné, & la peau du corps moins tendue. Leur Leur habil- habillement & celui de leurs femmes confifte en une longue chemife de toile noire, & une pagne dont les femmes fe couvrent la tête & les épaules, & que les hommes roulent tantôt autour de leurs corps comme une ceinture, tantôt autour de la tête pour imiter le turban. Cette pagne n'eft pas toujours de coton & de couleur noire; il y a beaucoup d'hommes qui la por tent de laine blanche, fouvent bordée de rouge. J'ai Leur frugalité. parlé ci-devant d'un repas que je fis avec des nègres; mais ceux des maures ne leur cédent en rien pour la frugalité. Le lait de chameau, de vache, de chevre & de brebis, avec le mil, fait leur nourriture ordinaire; & fouvent la gomme feule avec le lait leur tient lieu de tout autre mêts & de boiffon.

lement.

Il n'y avoit pas encore deux mois que j'étois au Sé

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