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négal, & j'avois déja eu occafion de voir & de connoître par moi-même, autant qu'il m'étoit nécessaire pour le tems préfent, de toutes les nations qui l'habitent, les deux les plus éloignées par leurs mœurs & la maniere de vivre, celle des maures & celle des nègres. J'avois remarqué dans les uns & dans les autres un fond d'humanité & un caractere fociable qui me donnoit de grandes efperances pour la fûreté que je devois trouver parmi eux, & pour la réuffite des connoiffances que je voulois prendre de leur pays.

1749.

Juin.

gros mil.

Le jour fuivant je parcourus, herborisant & chaffant, les brillantes campagnes qui font fur la rive opposée du fleuve. Elles étoient alors toutes couvertes Champs de de la groffe efpece de mil appellée guiarnatt (1), qui approchoit fort de fa maturité, & dont les nègres avoient enveloppé les épis avec leurs propres feuilles, pour les mettre à l'abri des attaques des moineaux qui y font ordinairement de grands ravages. Ce n'étoit pas une petite befogne que de marcher dans la plaine au travers de ces mils, dont les cannes fort groffes & affez ferrées, avoient huit bons pieds de hauteur. La chaleur étoit étouffante, parce que le vent ne se faifoit pas fentir dans ces grandes herbes, & que le foleil peu éloigné du zénith dardoit fes rayons prefque à plomb. Mes nègres pour se distraire de la longueur de la route, & pour se défaltérer, arrachoient de tems en tems des cannes entieres de ce mil, & en fucçoient la moëlle après l'avoir dépouillée de fon écorce. Ils m'en préfenterent quelques morceaux ainsi préparés,

(1) Milium arundinaceum, fubrotundo femine forgo nominatum. C.

B. Pin. 26.

1749.

Juin.

Village ap

nègres.

que je goûtai, & que je trouvai fi doux & d'une eau fi fucrée que je fuivis bientôt leur exemple. Je ne doute nullement que ces cannes de mil, traitées comme les cannes à fucre, ne fournissent également une liqueur propre à faire du fucre.

Enfin, après avoir cheminé pendant une demi-heure pellé Depleur. fans voir autre chofe que des herbes autour de moi, je me trouvai au pied d'une petite dune fur laquelle étoit bâti un village que les nègres appellent Depleur. Je l'avois examiné étant fur le bord du fleuve, d'où il Jardins des paroiffoit fous un point de vue charmant. Le pied de la colline qui étoit toute de fable pur & rougeâtre, ne montroit par-tout que des jardins. On y voyoit alors des giromons, cette efpece de potirons particuliers aux pays chauds, qui ne cédent point à ceux des pays froids pour la groffeur, & dont le goût fucré a quelque chofe de plus fin & de plus delicat. Les deux efpeces d'ofeille de Guinée (1), la verte & la rouge, arbriffeaux de quatre à cinq pieds de hauteur, & qui ne reffemblent à la nôtre que par le goût, y croiffoient à merveille. Le tabac & des haricots de toute efpece couvroient le refte du terrein,

De ces jardins je passai dans le village fans vouloir m'y arrêter, parce qu'il ne me paroiffoit pas différent Frayeur des des autres. Comme il est peu fréquenté par les frand'un blanc. çois, à caufe de fon éloignement du fleuve, tous les

enfans à la vûe

petits enfans qui n'avoient pas encore vû de blancs, effrayés en me voyant, fuyoient chacun de leur côté, cherchant un afyle entre les jambes de leurs meres, & jettoient des cris qui m'étonnerent peu, parce que

(1) Ketmia Indica, goffypii folio, acetofæ fapore. Plum. Cat. p. 2.

j'en

1749. Juin.

Scène finguliere arrivée à

j'en découvris bientôt la cause. Cependant je m'éloignois peu à peu pour éviter le tintamarre épouvantable que ma présence avoit occafionné, lorsqu'une femme qui m'avoit apperçu cueillant quelques fruits dans les jardins, crut me faire plaifir en m'en apportant d'une espece qui eft fort estimée dans le pays. En même tems elle me conduifit au milieu du village à l'arbre d'où elle venoit de les cueillir. Il étoit fort gros, quoique peu élevé : fes branches fouples & pendantes, & fes longues épines, me le firent reconnoître pour l'agialid de Profper Alpin (1): chez les nègres il est connu fous le nom de foumpe. M'étant arrêté pour le considérer, je fus bientôt environné d'une troupe l'Auteur, d'enfans des deux fexes attirés par la curiofité. Les uns, foit par respect, soit par crainte, se tenoient à l'écart; les autres fe familiarifoient affez pour approcher de moi, me demandant des verroteries : ce font, comme je l'ai dit ailleurs, les marchandises & les ornemens du pays. La plûpart n'avoient jamais vû de blanc de fi près; les uns touchoient mes habits & mon linge; d'autres prenoient mon chapeau, & mes cheveux que je portois en bourse, ne pouvant s'imaginer qu'ils euffent pû croître de la longueur dont ils me les voyoient fur les oreilles ; d'autres enfin tâtoient ma bourse, me demandant du tabac dont ils la croyoient remplie, à cause de la reffemblance qu'elle avoit avec une espece de petit fac de cuir quarré, dans lequel ils font accoutumés de porter leur tabac fur l'estomac : mais quelle fut leur furprise, lorfqu'ils me virent ôter ma bourse, & mes cheveux me tomber jusqu'à la (1) Agihalid. P. Alp. Ægyp. vol. 2. p. 29.

F

1749.

Juin.

Plantes des

environs de

aux

ceinture. La liberté que je leur laissai d'examiner l'un & l'autre les défabufa bientôt, & fur le prétendu ufage de cette bourse, & fur mes cheveux, dont la longueur ne leur parut plus douteufe dès qu'ils les virent réellement attachés à ma tête.

La fcène finguliere que je venois d'effuyer, fans m'y être attendu, me fit faire plufieurs réflexions au fortir de là. Il me revint dans l'idée que la couleur blanche fi oppofée à la noirceur des Africains, étoit la premiere chofe qui avoit frappé les enfans: ces pauvres petites créatures étoient alors dans le même cas que nos enfans, lorsqu'ils voient pour la premiere fois un nègre. Je me rappellai encore que la feconde particularité qui avoit étonné les autres, étoit la longueur & l'épaiffeur de mes cheveux, par rapport aux leurs qui femblent une laine très-fine & frifée; & en dernier lieu la pesanteur & la gêne de mon habillement, qui cependant ne confiftoit qu'en une fimple veste de toile de coton fort légere. L'on ceffera d'être furpris de ce que les uns me demandoient des marchandifes, & les autres du tabac, lorfqu'on fçaura que les nègres, de tout âge, de tout fexe & de toute condition, fe font accoutumés à demander aux blancs jufqu'aux plus petites bagatelles, lorfqu'ils ne peuvent pas les efcamoter. On a bien raison de dire que ce font les quêteurs & les voleurs les plus adroits qu'il y ait

au monde.

Au lieu de fuivre le chemin que j'avois pris au tral'efcale vers des champs ennuyeux de mil pour me rendre à Maringoins. Depleur, je retournai par la prairie qui est au-dessus. Je n'y vis pour tous arbres que quelques gommiers,

une quantité prodigieufe de tamaris semblables à celui de Narbonne, le fesban (1) arbrisseau, & une grande efpece de fenfitive épineufe, que les nègres appellent guérackiao, c'est-à-dire, bon-jour, parce que, difent-ils, lorsqu'on la touche ou qu'on lui parle de près, elle incline auffi-tôt fes feuilles pour fouhaiter un bon jour, & témoigner qu'elle est sensible à la politeffe qu'on lui fait. Parmi les herbes dont la prairie est couverte, on remarque le juffiæa (2), la perficaire (3), une alfine (4), plufieurs efpeces de mollugo, beaucoup de gramens, le coldenia (5), & une petite fenfitive rampante & fans épines, qui eft infiniment plus délicate & plus fenfible que toutes les efpeces que je connois.

Je ne négligeai pas de vifiter auffi, les jours fuivans, les villages & les campagnes voifines, où je trouvai abondamment une espece d'arbrisseau inconnu jufqu'ici aux Botanistes, & que les maures nomment guerzim. Je découvris encore un grand nombre d'autres plantes nouvelles qu'il feroit inutile de nommer ici, & dont je donnerai les descriptions & les figures dans un ouvrage particulier.

1749. Juin.

Il y a dans ces quartiers beaucoup de fangliers, mais il ne me fut pas poffible d'en joindre un feul. Je tuai Oifeaux applufieurs de ces oifeaux que les françois appellent yeux.

(1) Sesban. P. Alp. Egypt. vol. 2. p. 12.

(2) Juffiæa erecta, floribus tetrapetalis octandris feffilibus. Linn. Fl. Zeyl. 170.

(3) Perficaria maderafpatana, longiore folio hirfuto. Pluk, Phytogr. tab. 210. fig. 7.

(4) Alfine lotoides ficula. Bocc. rar. pl, 21.

(5) Coldenia. Linn. Fl. Zeyl. 69.

pellés gros

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