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1749.

bâtiment qui alloit faire une traite de bœufs & de mil à Portudal. Cette efcale que les nègres appellent du Septembre. nom de Sali, n'est éloignée que de neuf lieues au fud de l'isle de Gorée. La barre qui y regne, nous obligea de mouiller le bâtiment à une demi-lieue de terre, pour ne pas l'exposer aux lames. Une pirogue m'y mena fans aucun accident. Je me trouvai dans une terre fabloneuse, mais d'une fertilité inconcevable & toute couverte de bois. Le grewia (1), une espece de Bois du pays. polygala à femence d'érable, le rebreup (2), & le demboutonn (3), faifoient des taillis au-deffus defquels les monbins, appellés fob dans le langage du pays, élevoient leurs têtes chargées de fruits. Les feuilles de cet arbre lui donnent affez l'air du frefne; mais il fe fait bientôt reconnoître par fes fruits qui font semblables par leur groffeur, leur forme & leur couleur, à nos prunes de fainte-catherine: ils étoient murs pour lors; & j'en mangeai quelques-uns, auxquels je trouvai un goût aigrelet, aromatique & fort agréable. Je vis auffi dans ces quartiers plufieurs fromagers épineux (5), connus par les nègres fous le nom de benten, & beaucoup d'autres grands arbres. Les nègres avoient coupé ce bois en plufieurs endroits pour y faire des champs de petit mil: il étoit alors près de fa maturité.

par

Tout ce beau pays étoit habité des oiseaux encore plus beaux. Le geai, dont j'ai parlé ailleurs (6), y étoit par troupes : l'éclat de fes couleurs azurées vû

(1. 2. 3.) Efpeces d'arbres inconnus en Europe.

(4) Monbin arbor foliis fraxini, fructu luteo racemofo. Plum. gen. pag. 44.

(5) Ceyba viticis folio, caudice aculeato. Plum. gen. pag. 42. (6) Page 15.

Beauté des

oiseaux.

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à côté de la vive couleur de feu des moineaux appelles Septembre. cardinaux, dont toutes les campagnes étoient alors couvertes, faifoit un coup d'oeil admirable. Ce fut dans cet endroit que je trouvai la feule efpece de limaçon (1) terreftre que j'aie obfervé dans le pays. Il étoit fort commun dans une prairie découverte, remplie de joncs, & d'ambrofie-maritime; j'en vis même plufieurs vivans au pied des arbres voisins, où ils étoient à l'ombre. C'est une chofe digne de remarque, & qui fans doute paroîtra furprenante, que dans une fi vafte étendue de pays bien boifé, on ne rencontre qu'une espece de limaçon terreftre, pendant qu'on en voit tant d'efpeces dans les pays tempérés.

Les françois n'ont point établi de comptoir à Portudal, & lorfqu'ils y vont en traite, ils defcendent chez l'Alker, ou le Gouverneur du village, qui poffede un grand nombre de cafes. Il m'en avoit deftiné une dans laquelle je logeois. Une nuit que je dormois d'un profond fommeil, je fus réveillé par un cri horrible qui mit tout le village en rumeur. Je m'inforMort d'une mai auffi-tôt de ce que c'étoit; & l'on me dit que l'on pleuroit la mort d'une jeune fille, qui avoit été mor due à quatre lieues de là par un ferpent, dont le venin l'avoit fait périr en moins de deux heures ; & que fon corps venoit d'être tranfporté à fa cafe. Le premier cri avoit été jetté, fuivant la coutume, par une des parentes de la défunte, devant la porte de fa cafe, qui étoit fort proche de la mienne. A ce signal toutes les femmes du village fortirent en pouffant de femblables

négreffe.

(1) Voyez l'Histoire naturelle des Coquillages Univalves, genre 5. le limaçon, planc. 1. fig. 1. Kambeul.

cris, & se rassemblerent autour du lieu d'où étoit parti1749. le premier cri. A les voir & à les entendre, on les eût Septembre. pris toutes pour des parentes de la défunte, tant elles paroiffoient pénétrées dé douleur, & affurément c'en eût été une démonstration des plus authentiques, fi elle fût partie du fond du cœur: mais elle n'en avoit que l'apparence; ce n'étoit qu'un pur effet de l'ufage établi dans le pays. Ce tintamarre épouvantable dura quelques heures, c'est-à-dire, jufqu'au point du jour, Alors les parens entrant dans la cafe de la défunte, lui prirent la main, & lui firent plufieurs questions qui furent fuivies de bien des offres de fervices voyant qu'elle ne leur répondoit point, ils fe retirerent en difant: hélas! elle eft morte. Ses amis en firent puis l'on porta le corps en terre, & l'on mit à fes côtés les. deux pots de terre, dont l'un étoit plein d'eau & l'autre plein de couscous : c'étoit fans doute pour lui fervir de nourriture, fuppofé qu'il lui prît encore envie de boire ou de manger. Les funérailles achevées, les cris, ·les hurlemens & les pleurs cefferent. Le deuil finit auffi: l'on ne pènsa plus qu'à faire feftin en l'honneur du mort, & l'on fit dès le foir du même jour un folgar, c'est-à-dire un bal, qui fut continué pendant trois nuits : voici comme il fe paffa.

autant,

Cérémonie des funérail

à cette occa

fion.

Toute la jeunesse du village s'étoit raffemblée dans Bal donně une grande place, au milieu de laquelle on avoit allumé un grand feu. Les fpectateurs formoient un quarré long, aux deux extrêmités duquel les danfeurs étoient rangés fur deux lignes oppofées, les hommes d'un côté & les femmes de l'autre. Deux tambours qui fe tenoient fur les côtés, pour régler la danse, n'eurent

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pas plutôt battu la marche, que les acteurs comSeptembre. mencerent une chanfon dont le refrain fut repeté par tous les fpectateurs. En même tems un danfeur se détachant de chaque ligne, s'avança en dansant vis-àvis de celui qu'il lui plut de l'autre ligne, à la distance de deux ou trois pieds, & fe recula en cadence jufqu'à ce que le fon du tambour les avertit de fe rapprocher & de se joindre en fe frappant les cuiffes les unes contre les autres, c'est-à-dire, Phomme contre une femme, & la femme contre un homme : ils fe retirerent enfuite, & recommencerent bientôt les mêmes fingeries, en diversifiant leurs danfes, autant de fois que le tambour donna le fignal, & enfin ils retournerent à leur place. Les autres danfeurs en firent autant chacun à leur tour, mais fans se repeter; puis les deux lignes s'approcherent ensemble jouant auffi leur rôle. Ces geftes font affez immodeftes, comme l'on voit; mais les autres mouvemens qu'on n'apperçoit guères, fi l'on n'y est pas fait, le font encore bien davantage. Les nègres ne font point un pas pour danser que chaque membre de leur corps, chaque articulation, la tête même ne marquent tous en même tems un mouvement différent, & toujours en obfervant la cadence, quelque précipitée qu'elle foit. C'est dans la jufteffe de ce nombre infini de mouvemens que confifte principalement l'art de la danfe des nègres : il faut être né avec une souplesse semblable à la leur, pour pouvoir les imiter. Cet exercice tout violent qu'il étoit, dura une bonne partie de la nuit, pendant laquelle on vuida plufieurs pots d'une bière très-forte qu'ils font avec de mil. Ils recommencerent les deux nuits fuivantes, & le troifiéme jour les divertiffemens cefferent. Un Européen

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auroit porté le deuil pendant quelques mois; l'Africain profite de ces accidens pour fe réjouir: tels font Septembre. les ufages bizarres des différentes nations; ce qui fait naître la joie chez les unes eft un fujet de trifteffe chez

les autres.

barre de Por

J'avois defcendu facilement à terre en arrivant à Paffage de la Portudal, parce que la mer étoit traitable; mais on tudal en pirofut fort embarraffé quand il fallut s'en retourner à gue. bord du bateau : elle étoit extrêmement groffe, & les lames qui brifoient fur la barre la rendoient auffi dangereufe que difficile. Nous nous y rifquâmes cependant dans une grande pirogue, l'Employé de traite, moi, & quelques paffagers qui fe difpofoient à jetter avec des moitiés de calebaffes l'eau qui entreroit dedans. La pirogue étoit ainfi chargée, lorfqu'une lame qui vint à terre, l'emporta à l'aide des bras de quatre nègres, tous habiles nageurs, qui en avoient la conduite : ils la poufferent de toutes leurs forces, & fauterent dedans à mefure que l'endroit où ils devoient ramer entroit dans l'eau. Nous nous trouvâmes bientôt dans les plus groffes lames, dont quelques-unes qui s'élevoient comme de longues collines, fe briferent contre la pirogue, & la remplirent d'eau en nous inondant. Nous travaillâmes tous à la vuider fans perdre courage, & nous avions affez d'affaires, pendant que les rameurs étoient attentifs à forcer de rames, pour éviter adroitement les lames lorfqu'elles approchoient. Tantôt la pirogue s'élevoit par une extrêmité fur le dos d'une lame, pendant que l'autre extrêmité s'y plongeoit : tantôt elle se trouvoit fupportée & comme fufpendue par ces mêmes extrêmités

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