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1749. Mars. Marfouins.

Vont à la rencontre du vent,

mer.

Elle étoit belle, tranquille, & nous offroit tous les jours un fpectacle charmant. Des milliers de marfouins qui fe jouoient autour de notre vaiffeau, fembloient nous féliciter de notre heureuse navigation: ils s'élevoient comme en fautant au-deffus de l'eau, de façon qu'on les voyoit en entier; puis fe courbant en arc, ils fe plongeoient avec une agilité surprenante, & reparoiffoient enfuite, imitant assez par ces mouvemens les ondulations de la mer. C'étoit un plaifir de les voir tantôt avancer de front rangés fur une même ligne, tantôt fe croifer les uns les autres comme pour se disputer l'approche du bâtiment; enfin on ne se laffoit point d'admirer leurs différens jeux, tant ils

étoient variés & divertiffans.

On dit que ces poissons vont toujours à la rencontre du vent, & les marins augurent par leur marche, de celui qu'il doit faire. Si cela n'eft pas vrai dans toutes les rencontres, ce le fut du moins dans celle-ci. En effet nous ne jouîmes pas long-tems de cette agréable tranquillité. Elle fut bientôt interrompue par des vents contraires, qui foufflèrent du S-E. avec une telle violence, que la mer devint fort groffe en peu de tems. Les bateaux qui étoient à notre suite ne pouvant y tenir, furent difperfés, & nous les perdîmes de vue jufqu'au jour de notre arrivée au Sénégal. Cependant fous le Cap Fi- les vents acqueroient de nouvelles forces, & la mer s'enfloit de plus en plus. Nous fûmes obligés de mettre à la cape, & nous effuyâmes en cet état toute la tourmente d'une mer orageuse. Enfin après avoir lutté pendant vingt-un jours contre les mauvais tems, nous doublâmes heureusement le cap Finisterre, qui nous avoit donné tant de mal.

Mauvais tems

nisterre.

de

Avril,

6 Avril.

Vûe du Pid

Ténérif.

A peine avions-nous atteint la latitude de 36 1749. degrés, que nous commençâmes à trouver la mer plus belle. Un vent frais de N-N-E. nous faisoit faire tranquillement de belles journées. Nous goûtions après un tems orageux & fombre, la douceur d'un beau climat, lorfque nous eûmes connoiffance de terre le 6 d'avril. C'étoit le Pic de Ténérif qui fe présentoit à nous fous la forme d'une pyramide, ou, plus exactement, d'un cône furbaiffé, dont les côtés étoient hériffés de plufieurs pointes. Quoique, fuivant notre estime, nous en fuffions éloignés de plus de quatorze lieues dans le N-E., il nous paroiffoit élevé sous un angle de plus de 5 degrés. A cette diftance, il avoit plus l'air d'un nuage que d'une montagne, par fa couleur blanche; il n'y avoit que fa stabilité qui pût la faire reconnoître. On la voyoit tantôt au-dessus, tantôt au-deffous des nuages, felon que ceux-ci étoient plus ou moins éloignés de nous. Plus nous en approchions en la tenant toujours au fudoueft, plus elle fembloit se mettre au niveau des montagnes voisines; de forte qu'à quatre lieues de distance il ne fut plus poffible de la diftinguer d'avec elles. Dans cette position l'ifle Ténérif ne nous offroit à la vûe qu'un amas de montagnes, fi ferrées & fi rapprochées, qu'on n'en diftinguoit que les pointes.

à faire une re

La connoiffance que nous avions prife de l'ifle Té-One décide nérif, fuivant l'ufage pratiqué par les bâtimens qui lâche. voyagent fur la côte d'Afrique, fuffifoit pour nous guider dans la route que nous avions à faire jusques au Sénégal; & nous l'aurions poursuivie, fi les circonftances présentes l'euffent permis. Mais l'eau & les vi

1749.

Avril.

Mouillage au port de Saintecroix.

Pêche à difcrétion.

vres avoient été confommés pour la plus grande partie pendant le retardement occafionné par les contretems que nous avions effuyés fous le cap Finisterre, & le peu qui restoit ne suffisoit pas pour achever notre voyage; il falloit nécessairement faire une relâche pour prendre de nouvelles provisions. Se trouvant fi proche de terre, c'eût été une imprudence que d'en manquer l'occafion on fit donc voile dessus jufqu'à la nuit, pendant laquelle on mit en panne.

Le lendemain on reconnut le port de Sainte-croix, qui est à l'est de l'isle, & l'on y mouilla par quarantecinq braffes à trois encablures de terre. Ce port peu différent d'une rade foraine, parce qu'il est très-ouvert, feroit affez bon, fi l'ancrage y étoit assuré : mais fon fond qui eft de roches très-efcarpées, est sujet à laisser gliffer les ancres, & à couper les cables; d'ailleurs il eft fort fain. Toute la journée fut employée à affourcher le navire, & à le bien affurer fur ses ancres. On s'amufa auffi à la pêche du maquereau. Ce poiffon, prefque le feul qu'on trouvât alors en cet endroit, y étoit fi abondant qu'il fembloit que tous ceux de la mer voisine s'y étoient rendus. On n'avoit qu'à jetter la ligne, l'on étoit fûr d'en retirer un poisson, souvent même fans le fecours de l'amorce.

Les

gens du pays en font la pêche d'une maniere bien plus avantageuse. Dès que la nuit est venue, & par une mer tranquille, ils s'arment de flambeaux, & fe difperfent avec leurs canots dans toute la rade, à une lieue à la ronde. Arrivés dans les quartiers qui leur paroiffent les plus poiffonneux, ils s'arrêtent tenant leur flambeau au-deffus de l'eau, de maniere qu'il

les éclaire fans les éblouir; & dès qu'ils voient le poiffon fe jouant fur l'eau, raffemblé autour de la lumiere, ils donnent un coup de filet, qu'ils vuident auffi-tôt dans leur canot : ils vont ainfi toujours pêchans jufqu'à ce que leur provision foit faite.

Tant que la pêche duroit, on ne voyoit à chaque inftant que des canots chargés, qui venoient à bord du navire pour vendre leur poiffon; & on l'avoit à très-bon compte. Le maquereau des Canaries n'est pas de même espèce que celui qu'on voit fur les côtes de l'Europe; il eft moins large, & plus petit, quoique fort allongé : fa peau eft d'un bleu foncé fur le dos, argentée fous le ventre, & agréablement marbrée. Sa chair eft blanche & ferme, un peu féche à la vérité; mais, quoiqu'inférieure à celle du maquereau d'Europe, elle ne laisse pas d'être d'un bon goût.

1749. Avril.

ficile.

Le jour fuivant nous eûmes la liberté de defcendre Attérage difà terre. La mer étoit fort tranquille dans la rade; mais c'étoit toute autre chofe fur le rivage: elle s'y déployoit d'une maniere qui auroit intimidé les plus hardis. Comme il eft tout couvert de galets, qui forment un bord très-efcarpé, & que la mer entraîne & rapporte fucceffivement, l'attérage est fort difficile. On eft obligé de profiter de la lame qui porte à terre, & d'avoir attention que le canot ne tourne point, & qu'il ne foit pas rapporté à la mer: c'est à quoi veillent plufieurs matelots qui attendent fur le rivage. Dès qu'ils voient arriver la lame, ils fe mettent à la mer faififfent le canot, l'enlèvent avec le monde qui eft dedans, & le portent à terre avec autant de force que d'adreffe.

1749. Avril.

Ville de

pitale.

Lorsqu'on eft à terre, on trouve à cent pas du rivage la ville de Sainte-croix, fituée à l'eft de l'ifle, Sainte-croix. comme le port auquel elle a donné fon nom. Cette ville n'est ni fortifiée, ni fermée de murailles. Elle est bâtie fur une plaine assez élevée au-deffus de la mer, & qui fe termine en une langue de terre fort basse, blanche & fabloneuse, d'environ une lieue de longueur vers le fud. Sa longueur est de quatre cens toifes, fur une largeur moitié moindre. Ses maifons font au nombre de trois cens, bâties en pierre & à trois étages. Elle peut contenir environ trois mille habitans, tous Efpagnols, qui, par leurs mœurs & leur façon de vivre, différent peu de ceux d'Europe. Laguna ca- A trois lieues à l'oueft de cette ville, en fuivant les gorges des montagnes, qui élèvent infensiblement le terrein, on trouve celle de Laguna qui est la capitale de l'ifle. Elle est affise au pied du Pic, dont j'ai déja Montagnes parlé. Cette montagne, qui porte le nom de Pic de de Tenerit. Ténérif, eft par le 28° degré 12 min. de latitude feptentrionale, & par le 18e degré 52 min. de longitude, à l'occidentde Paris. Sa hauteur que nous avons trouvée de plus de deux mille toises, c'eft-à-dire, de près d'une lieue perpendiculaire, doit la faire regarder comme une des plus hautes montagnes de l'Univers. On dit que fon fommet eft couvert de neige pendant toute l'année, & qu'il jette quelquefois des matieres enflammées, fans faire beaucoup de bruit. Elle tient à peu près le milieu de l'ifle, & eft environnée d'un grand nombre de montagnes qui n'ont guères moins de demi-lieue de hauteur perpendiculaire. Au pied de ces montagnes on voit des ravines femblables à des

Ténérif.

précipices

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