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COMÉDIE D'ARISTOPHANE,

Jouée l'an 26. de la guerre du Péloponnèse, la troisieme année de la 93. Olympiade, fous l'Archonte Callias après Antigènes. La preuve est tirée d'un Scholiafte, & d'Aristophane même.

Voici la feconde piece d'Ariftophane contre Euripide. Dans les FÊTES DE CÉRÈS, il est joué comme un homme fouple & fin. Dans les GRENOUILLES on le joue principalement comme poëte. Sans entrer ici dans des difcuffions purement conjecturales, & incapables de fatisfaire un lecteur fenfé, il eft certain que le poëte comique haïffoit le tragique, foit que celui-ci fût ami de Socrate, foit qu'il eût eu quelque démêlé avec Aristophane,' foit que le proverbe ancien eût lieu alors comme

1 C'est la feule comédie d'Ariftophane qu'on fçache avoir été joués dans cette Olympiade; & c'eft la derniere de ce poëte, dans le genre de la vieille comédie. Elle lui fit remporter le prix fur Phrynicus & Platon', comme le témoigne l'ancien auteur du fujet de cette piece : & elle fut redemandée, honneur fignalé pour lors, obferve très bien M. le Beau Cadet, ( mémoires de littérature de l'Académie des Infcriptions & Belles Lettres); car, comme il y avoit grand nombre de poëte jaloux de fe faire connoître, la rivalité qui régaoit parmi eux les engageoit à donner toujours du nouveau pour mériter la préférence & le peuple, paffioné pour la nouveauté, ne confentoit pas volontiers à voir deux fois la mêine piece, à moins qu'elle ne fût d'un mérites fingulier.

Tome XIII.

A

toujours, à fçavoir qu'un bel efprit ne fçauroit en fouffrir un autre. Cette haine éclate affez dans toutes les comédies que nous avons parcourues. Il ne s'agit que d'examiner fi les railleries font auffi juftes qu'elles font piquantes.

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Bacchus enharnaché en Hercule* la maffue à la main, la peau de lion fur le dos, par-deffus un habit de pourpre avec le cothurne tragique, se montre fur la fcène, fuivi de fon valet Xanthias qui eft amené exprès pour faire rire le peuple. Car il eft monté fur un âne, & il porte fur fa tête un paquet de hardes ou le lit de fon maître. Il lui demande permiffion de dire quelque chofe de comique pour apprêter à rire aux fpectateurs, ou d'agréable pour les réjouir. «Tout ce qu'il te » plaira, dit Bacchus, pourvû que tu ne te plai»gnes pas de ton fardeau ». Cette premiere fcène où il y a beaucoup de bouffonneries poliçonnes, & de traits allégoriques contre les poëtes qui faifoient ainfi porter des paquets en plein théâtre pour en tirer quelque fujet de plaifanterie, eft une de ces fcènes dont le plaisant a disparu pour nous. Il en est de même de tout ce que Bacchus dit à fon valet pour lui prouver que l'âne porte

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* Cet habillement fi peu convenable à Bacchus, eft produit exprès pour rendre ridicule quelque poëte tragique ( peut-être EURIPIDE ) qui avoit ainfi habillé Bacchus,

tout. Il y a feulement un mot remarquable, qui reviendra encore dans la fuite, fur la bataille navale que les Athéniens, fous la conduite de Conon, avoient gagnée la même année * auprès d'Arginuse fur les Lacédémoniens. Les esclaves y avoient fait merveille. On les avoit mis en liberté pour récompenfe, & ils étoient cenfés citoyens fur le même pied que ceux de Platée. Sur quoi Xanthias dit que, s'il eût eu le bonheur de fe trouver à cette bataille, il ne feroit pas auffi malheureux qu'il l'eft. C'est cette facilité des Athéniens à donner le droit de bourgeoisie à des efclaves, qui déplaît à Ariftophane.

Bacchus frappe à une porte. Hercule ouvre & fe met à rire de voir Bacchus qui lui reffemble. Après quelques paroles bouffonnes & indécentes, le dieu du vin déclare fon projet, qui eft d'aller aux enfers pour en tirer Euripide, parce qu'on fe plaint qu'il n'y a plus de bons poëtes tragiques à Athènes †. « Quoi, répond Hercule, Jophon » ne vit-il plus? C'eft le feul paffable, dit Bac» chus». Jophon étoit un des fils de Sophocle;

* Arginuse, ville d'Eolide à l'oppofite de l'ifle de Lesbos. Ce combat fut donné fous l'Archonte Callias, fucceffeur d'Antigènes. ( XENOPH. 1. 1. Helen.) Donc il affure la date de cette comédie telle qu'on l'a affignée. Il importe peu, pour le combat, de fçavoir s'il fe donna près d'Arginuse, ville d'Eolide, ou bien près des trois isles Arginuses de STRABON.

+ Bacchus y eft intéreffé, parce que les tragédies fe représentoient dans fes fêtes.

il avoit hérité de fes écrits, & il en faifoit auffi de bons. Aristophane le raille ici par une louange équivoque, en faisant dire au dieu, qu'il ignore fi les pieces du fils ne font point celles du pere; & il apporte cette raison pour ne pas tirer Sophocle des enfers préférablement à Euripide. Il veut auparavant avoir le cœur net fur ce que le fils fçait faire. « D'ailleurs, ajoute-t il, Euripide, » fin comme il eft, ne manquera pas de vouloir » me suivre, au lieu que Sophocle est sans doute » auffi simple chez les morts, qu'il l'étoit fur la

» terre ».

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Hercule continue à demander des nouvelles de poëtes tragiques : « Ce qu'est devenu Agathon? » Hélas, il eft mort. Et Xénoclès & Pythange» lus»? Comme ceux-ci étoient poëtes médioXanthias toujours chargé de fon fardeau, dit plaisamment : « l'on pense à eux, & l'on ne fonge pas à moi qui n'en puis plus ». C'est son mot éternel. Bacchus, en humeur de railler, donne fur les doigts à tous les poëtes vivans, qu'il dit n'être plus que des jafeurs, des hyrondelles, des corrupteurs du bon goût, des gens qui n'ont pas la force de produire des fentences vigoureuses telles que celle-ci : « Ma langue a juré, mon » cœur ne l'a pas fait ». Ariftophane en veut, comme on le reconnoît, à Euripide. Mais il le

*

Vers de l'Hippolyte d'EURIPIDE, souvent repris.

perd bientôt de vue pour offrir un spectacle bien fingulier & bien étrange. Bacchus veut aller aux enfers. Il en demande le chemin. On lui en enfeigne plufieurs, le fer, le poison, le précipice; le tout d'une maniere burlesque. Enfin Hercule lui montre le vrai chemin qu'il a tenu avec Théfée. C'est par le Styx; & il l'avertit qu'il faut payer Caron. Sur quoi Bacchus fait, en passant, une réflexion fur la puissance univerfelle :

*De ce rien précieux

Plus puiffant que l'amour qui peut tout fur les dieux; Ce qui a fait dire au Caron de l'ALCESTE† françoise:

fur la terre,

Et ce n'eft pas affez de payer Il faut encor payer au delà du trépas. Alcide fait à Bacchus une peinture de tout ce qu'il verra, des monftres qui fe préfenteront, du féjour des coupables, & des champs Elyfiens, fource de malice contre deux poëtes qui ne doivent pas s'attendre à fe trouver là. Car, après avoir parlé des parjures, des fcélérats, des fils qui frappent leurs peres, & des autres habitans du Tartare, on y met encore ceux qui tranfcriroient un feul mot des poëfies de Morfimus

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& l'on voudroit y mettre ceux qui apprendroient la pyrrhique de Cinéfias. L'on place aux champs Elysées ceux qui font initiés aux myfteres de Cérès: &

LA FONTAINE

Alcefte, Opéra de QUINAUT.

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