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ACTE V.

Comme fi tout ce qui a précédé n'eût été qu'un prélude ou qu'un jeu, la dispute se renoue & s'échauffe avec plus de vivacité. Euripide venant au détail, attaque les prologues d'Efchyle. Celui-ci récite d'abord le commencement d'une des quatre piéces qu'il donna, fuivant l'ufage, fous le titre de TETRALOGIE d'Orefte. C'eft le commencement des COEPHORES MERCURE SOUTERRAIN, &c. En trois vers, Euripide prétend reconnoître des fautes fans nombre. Ces fautes, vraies ou prétendues, fe réduisent à une équivoque & à une répétition; chicannes grammaticales qu'il eft prefque impoffible de bien faire fentir en françois, ainfi que les autres fautes qu'ils fe reprochent mutuellement. Cela même eft fi peu férieux, & dit d'une maniere fi bouffonne, qu'il fuffit d'indiquer ici tout le fyftême de cet acte, au lieu de l'éplucher. Par exemple, au quatrieme vers des COEPHORES, Orefte s'explique ainfi : « Je viens » me plaindre au tombeau de mon pere, afin qu'il m'écoute & m'entende ». Euripide saifit encore cette nouvelle répétition de deux mots grecs bien moins différens que ne font ceux d'entendre & d'écouter : fur quoi Bacchus dit d'un air plus badin, que vraiment comique. « Hé ne

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Voyez les COLPHORES, feconde part.

voyez-vous pas qu'Orefte parloit à des morts, » & par conféquent à des fourds, à qui il faur répéter les choses au moins trois fois ».

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Euripide récite à fon tour beaucoup de com→ mencemens de ces prologues. Efchyle lui fait une mauvaise chicanne fur celui d'ŒDIPE *. « Œdipe, » dit Euripide, fut d'abord très heureux, & de

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puis il devint le plus infortuné des hommes ». Eschile veut qu'un prince, dont l'oracle avoit prédit tant d'horreurs, n'ait pu être appellé heureux, & que, bien loin de devenir infortuné, il ne cessa jamais de l'être. On voit, par ces minuties, ce qu'on doit penfer du badinage d'Aristophane au sujet de ces deux grands poëtes. Bacchus badine à fon ordinaire, en difant quŒdipe auroit été heureux, c'est-à-dire moins malheureux s'il eût combattu avec l'infortuné Erafinis †. Ce dernier étoit un des chefs Athéniens à qui l'on fit le procès, auffi-bien qu'à un Trafylle, un Périclès, un Aristocrate, & un Diomédon, l'année de la bataille navale des Arginuses, c'est-à-dire la 26. de la guerre : ce qui confirme de plus en plus la

date de cette comédie.

Enfin Efchyle, pour couper court, s'engage à renverfer tous les prologues d'Euripide par un proverbe dont l'application achevera toujours le

* Tragédie perdue d'Euripide.

† Ou bien, fi on l'eut comparé avec Erafinis.

vers commence : badinerie prefque inexprimable. Car ce quil propose d'ajufter aux iambes commencés d'Euripide, eft un des trois mots de même quantité, qui fignifient en diminutif*, Des peaux délicates, De petites feuilles, Des ouvrages fins & travaillés à la lumiere de la lampe avec beaucoup de foin & d'art. C'est en effet une trop grande attention à finir, à limer, à repolir, & par conféquent à affoiblir les vers qu'on reproche ici à Euripide. Eschile tient parole. A chaque morceau que récite fon adverfaire, il trouve moyen de placer fon proverbe ληκύθιον ἀπώλεσεν ; comme s'il vouloit dire, Il a perdu fon tems †, & ce mot se trouve tellement niché dans chaque hémiftiche, que non-feulement il achève le vers, mais qu'il lui donne un fens ridicule.

Des prologues on paffe aux chœurs ou intermédes. C'étoit une partie confidérable dans le tragique ancien, comme nous l'avons observé. Mais cette partie, fi noble & fi élevée alors, est devenue beaucoup moins intéreffante pour nous malgré fon pindarifme, fi j'ofe m'exprimer ainfi. Euripide récite un chœur d'Efchyle, & celui-ci un chœur d'Euripide, toujours interrompus par les bouffonneries de Bacchus qui plaisante fur l'un & l'autre. En un mot les chœurs font traités auffi peu férieusement que les prologues.

* Κωδιάριον, ληκύθιον, θυλάκιον.

† « Oleum perdidit ». Proverbe latin né du grec

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Efchyle veut paffer à la balance, c'est-à-dire, y pefer les vers; & Bacchus dit qu'il va vendre la poëfie à la livre. Il prend donc des balances, & il ordonne que chacun à fon tour y mette un vers ou une sentence. Euripide y met le premier vers de fa MEDÉE : « Plût aux dieux que le navire Argo n'eût jamais volé fur les eaux » ! Eschyle y en met un de fon PHILOCTÉTE *. « O fleuve Sperchius, & vous, bruyans amas d'eaux »! La balance penche auffi-tôt du côté d'Eschyle, parce que, dit Bacchus, ce poëte y a mis un fleuve, & que l'autre n'y a mis qu'un mot léger, tel que celui de, Voler. Tout le refte eft de la même maniere & du même tour ; je veux dire qu'Efchyle l'emporte toujours, parce qu'il met dans la balance, tantôt le trépas, terme de poids, contre l'éloquence, expreffion légere, tantôt chars fur chars, & morts fur morts, contre un pesant javelot. Enfin Efchyle défie Euripide de fe mettre dans la balance, lui, fes livres, fa femme, fes enfans avec fon grand acteur Céphisophon, & il ne veut que deux de fes grands mots pour les contrebalancer tous t

* Piece perdue.

Il ne faut pas omettre que Bacchus cite dans cette scène un vers du TÉLÉPHE où Euripide faifant jouer aux dés, les héros grecs, dit qu’Achille avoit amené un quatre & deux unités. Ce vers & tout l'épisode des joueurs furent fupprimés dans la piece à caufe des plaifanteries qu'on en avoit faites. EUSTATH. après un ancien.

Bacchus n'ofe pourtant prononcer. Il ne veut s'attirer la haine d'aucun des deux poëtes, & de plus il avoue que l'un eft plein d'âme & de feu, & l'autre rempli d'agrémens. Pluton furvient, & preffe Bacchus de fe déterminer. Le dieu du vin déclare en effet qu'il lui faut un poëte pour fauver Athènes par des fpectacles; mot très malin contre les Athéniens qu'on regarde ici comme des enfans qu'il faut amufer, & qui ne fe repaiffent que de fpectacles, au lieu de fonger au falut de la république menacée d'une ruine entiere.

Il demande donc aux deux poëtes lequel donnera de plus utiles confeils à l'état qui est sur le penchant de fa ruine. Il les interroge pour les éprouver fur ce qu'ils penfent d'Alcibiade. Ce héros étoit absent d'Athènes pour un méconten→ tement. Bacchus dit de lui que le peuple le hait, & ne peut s'en paffer*.

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Il le défire avoir devant fes yeux
Et fi luy eft néanmoins odieux.

Amyot trad. de Plutarque dans Alcib. « Je hais, dit Euripide du même, un citoyen lent à fervir fa patrie, & prompt à lui nuire, » bon pour lui feul, & incommode à l'état ». Quant à Eschyle, voici fa pensée fur le même sujet :

Le mieulx feroit pour la chose publique

Ne nourrir point de lion tyrannique :

* C'est la pensée de MARTIAL, «Nec poffum tecum vivere, nec fine te ».

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