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Mais puis qu'on veut le nourrir, néceffaire
Il eft qu'on ferve à fes façons de faire.

Amyot. ibid.

Il y a apparence que ce font là des fentences tirées de quelques tragédies perdues d'Eschyle & d'Euripide, fentences qu'Ariftophane applique à Alcibiade dans la conjoncture du mécontentement mutuel du peuple & de ce grand homme. Bacchus trouve l'une fage*, & l'autre nette †. Il veut encore tirer des deux poëtes quelqu'autre fentence fur le moyen de rétablir les affaires de la république.

*Zoows, fagement, caps, clairement : jeu de mots.

+ Elles expriment ce qu'on penfoit alors d'Alcibiade. Plutarque dit, dans l'endroit cité (chap. xxvII.) « Parmi ces beaux faicts & » diûts, & avec ceste fienne grandeur de courage & vivacité d'en» tendement, il y avoit de l'autre cofté beaucoup de faultes & d'imperfections: car il eftoit trop delicat en fon vivre ordinaire, dif» folu en amours de folles femmes, & defordonné en banquets » trop fuperflu & effeminé en habits parce qu'il alloit tousjours » veftu de grandes robes de pourpre qu'il trainnoit en fe promenant » à travers la place avec une defpenfe trop exceffive & trop fuperbe. » Suyvant lesquelles delices, quand il estoit en galere, il faifoit ou» vrir & fendre le plancher de la pouppe, à fin qu'il couchaft plus » mollement, parce que son lit eftoit estendu, non fur des ais durs, » mais fufpendu en l'air avec des fangles, & portoir à la guerre un » escu doré fur lequel il n'y avoit aucune enfeigne ne devise ordinaire » aux Athéniens, ains y avoit l'image de Cupido, tenant la foudre » en fa main. Ce que voyans les gens de bien & d'honneur de la » ville d'Athenes, oultre ce qu'ils haïffoient toutes ces façons de

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faire & s'en courrouceoient, encore redoubtoient-ils fon audace » effrénée, & fon infolence de contemner ainfi les loix & couftumes » de fon païs, comme eftant indices d'homme qui aspiroit à la ty>> rannie, & qui vouloit tout frenverfer fans deffus deffous: mais, » quant à l'affection du commun peuple envers luy, Aristophans donne bien à entendre quelle elle estoit »>.

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Euripide en dit quelques-unes de fort malignes fur deux particuliers, & fur les défiances où l'état doit être de ceux qu'il employe. Pour Efchyle, après s'être défendu de rien dire fur des maux qu'il croit fans remede, puisqu'Athènes ne fe fert plus que de citoyens fcélérats, il avance pourtant une maxime pour la fauver. la fauver. « A fçavoir qu'elle » doit regarder le pays ennemi comme fien, & » le fien comme ennemi; confiderer la mer comme » fa fureté, & la terre comme un afyle peu fûr ». En effet la principale force des Athéniens confiftoit dans les entreprises sur les ennemis & dans la marine. Ainfi leur parloit Périclès * pour les engager à entreprendre la guerre du Péloponnèse.

Bacchus preffé de choifir promptement un des deux poëtes, laiffe à Pluton le jugement de leur mérite : mais il déclare en même tems qu'il va élire celui qui lui plaît le plus, & c'est Eschile. En vain Euripide lui allégue fes fermens †, & lui reproche de l'infulter après fa mort J. Bacchus fe tire d'affaire en lui difant deux de fes vers tant critiqués. « C'est ma langue qui a juré, non pas mon » cœur; & qui fçait fi la vie n'eft pas la mort »? Pluton & le chœur applaudiffent au choix. Efchyle

* Thucyd. 1. 1.

Euripide eft fuppofé avoir follicité Bacchus.

¶ Ariftophane dit cela par allufion à la loi qui défendoit de railler un mort fur le théâtre. On voit que la loi n'étoit pas exactement obfervée.

avant

que

avant que de partir pour revenir au monde, veut que fa place aux enfers foit occupée par Sophocle, & furtout on ait grand foin d'en écarter Euripide. Sans entrer dans toutes les bizarreries de cette piece, dont je laiffe le jugement au lecteur, il est visible, par cet expofé fidele, que tout ce qui regarde les trois poëtes tragiques les illuftre plus qu'il ne les décrie. A la vérité, Aristophane paroît ici, comme ailleurs, extranement piqué contre Euripide. Il ne l'épargne ni du côté des mœurs, ni du côté de la naiffance. Quant au génie poëtique, quoiqu'il tâche de le mordre avec beaucoup de malignité, on fent qu'il cherche plus à fe divertir qu'à critiquer férieufement. Son Bacchus ne maltraite guere moins Efchile qu'il choifit, qu'Euripide qu'il veut humilier. Les traits les plus malins font entremêlés de marques d'ef time, & ne font que montrer combien Euripide étoit révéré des Athéniens. Mais, malgré leur eftime & leur vénération, de quoi ne rioient-ils pas? Généraux, magiftrats, gouvernement, dieux mêmes, tout paffe ici par le tamis fatyrique, & tout étoit bien reçu, pourvu que la comédie fût réjouiffante & affaifonnée de fel attique. La liberté d'Aristophane, à l'égard de l'état, eft beaucoup plus furprenante que ne le font les railleries fur les héros du théâtre grec : &, de même que l'état & fes chefs alloient toujours leur train fans s'emTome XIII

C

barraffer des lardons de Cratinus, d'Eupolis & d'Aristophane, il eft auffi évident que la gloire 'd'Euripide ne fouffrit pas beaucoup de l'acharnement de fon ennemi à le dénigrer fur les mœurs, & à le critiquer fur la poëfie. Le lecteur me permettra de lui rappeller encore une réflexion que j'ai déjà placée en quelques endroits; c'est que c'étoit ici particulierement le lieu de critiquer dans Euripide ce qu'on y critique de nos jours, furtout dans ALCESTE. Nous ne voyons toutefois pas qu'Aristophane y ait fongé, malgré fon attention à ne rien paffer de ce qui peut donner prife. Il faut donc conclure que ce qui nous déplaît ne faifoit pas la même impreffion fur les Grecs, & que par conféquent l'équité demande qu'on impute ces prétendues fautes non aux poëtes, mais aux mœurs, & aux idées fort différentes de celles d'aujourd'hui.

Une autre réflexion à l'égard d'Efchyle, c'est que Bacchus, tout badin qu'il est dans cette piece, a fort bien pris le caractere du pere de la tragédie, lorfqu'il compare la gradation de fes enthoufiafmes aux préfages, à la naiffance, au progrès & aux derniers éclats d'une tempête. En effet ce que dit Virgile * des feuls préfages qui l'annoncent,

* Continuò, ventis furgentibus, aut freta ponti
Incipiunt agitata tumefcere, & aridus altis
Montibus audiri fragor, aut refonantia longè
Littora mifceri, & nemorum increbefcere murmur.

Georg. 1. 1. V. 356.

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peint parfaitement les mouvemens qu'excitoit Ef chyle dès fes premieres fcènes , pour arriver par dégrés au comble de l'émotion. C'est dommage qu'on ne puiffe faire paffer dans la profe, ni dans la verfification françoise la cadence toujours fou tenue d'un beau paffage de Virgile, cadence qui est elle-même une peinture plus vive encore que l'expreffion. « Les vents s'élévent: les flots s'agi» tent, les vagues commencent à s'enfler; un » bruit horrible fe fait entendre du haut des » montagnes; les rivages retentiffent au loin du » mugiffement des flots qui s'entre-choquent, & » le vent, engouffré dans les forêts, augmente le » bruit & l'horreur. » Voilà Efchyle dès le commencement de fes piéces.

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1 M. l'abbé Delille rend ainfi les vers; on y retrouvé la cadence que le P. Brumoy regrete de ne pouvoir faire goûter aux lecteurs peu familiers avec la langue latine :

Soudain, l'onde en grondant, s'enfle dans fes prifons;
Un bruit impétueux roule du haut des monts ;
D'un mugiffement fourd la rive au loin réfonne,
Et des bois murmurans le feuillage frissonne.

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