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Xanthias qui ne fonge qu'à fon fardeau qui l'accable, dit qu'il devroit bien y être lui, puisqu'il eft l'âne qui porte les mysteres, c'est-a-dire, ce qui eft néceffaire pour être initié. Ces railleries qui n'épargnent ni profane ni facré, font voir à découvert le génie de la comédie d'alors.

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Bacchus inftruit, prend congé d'Hercule & ordonne à Xanthias de reprendre fa malle qu'il vient à peine de mettre à terre par fa permission. Il confent toutefois qu'il la donne à porter à quelque mort: imagination grotefque. Il en paffe un qu'on tranfporte. Bacchus l'aborde, & lui propofe la chofe. Mais le mort répond gravement qu'il faut convenir du prix ; & il demande deux dragmes fans en rien rabattre. Car il juge qu'il aimeroit mieux revivre que de fe contenter de neuf oboles, ou de trois quarts *. Xanthias, indigné de voir un homme fi avare, tout mort qu'il eft, prend fon parti, & remet fon fardeau fur fes épaules.

Caron paroît, (grande bizarrerie, comme on voit) & il appelle les paffans d'un air tragi-comique. « Qui vient ici du fein de la mifere & du » trouble, dans le fein du repos & du bonheur? Qui vient dans l'heureux féjour de l'oubli, &c. Moi, dit Bacchus ». Caron, après quelques

* Allufion à quelque vieillard avare. Deux dragmes vingt fols ou douze oboles.

pointes, le reçoit dans fa barque: mais il ne veut point du valet, à moins qu'il ne se soit trouvé au dernier combat naval * : & comme Xanthias n'y a point été, il eft contraint de faire le tour du Styx, & d'attendre fon maître à un lieu marqué où font les cabarets. Car Bacchus n'avoit pas manqué de s'informer de fa route, & des auberges. Il est obligé, malgré qu'il en ait, de prendre la rame; & on lui promet, pour le dédommager, qu'il va entendre la plus belle musique du monde. Ces nouveaux cygnes, comme les appelle Caron font des grenouilles, & ces grenouilles font un chœur. C'étoient des acteurs déguisés en grenouilles avec des mafques affez reffemblans à quelques poëtes qu'Ariftophane veut rendre ridicules, fi pourtant ces acteurs fe montrent car un fcholiafte prétend que non. Toute leur scène confifte à chanter leur mufique GRENOUILLERE pour faire enrager Bacchus t

Ennuyé de les entendre, il arrive enfin à bord, paye Caron, & appelle Xanthias. Celui-ci accourt tout effoufflé: Où fommes-nous? Ils fe trouvent au milieu des ténébres, & dans un lieu d'horreur. Ils voyent des parjures & des parricides.

* Près d'Argimufe.

C'eft uniquement cette fcène de farce, qui, bien qu'affez courte a donné le nom à toute la piece. D'où je conclus qu'il falloit qu'il y eût beaucoup de jeu & de fpectacle pour faire rire le peuple aux dé pens de querques poëtes ou philofophes Athéniens.

Mais ils ne découvrent point d'abord les monftres dont Hercule avoit prétendu faire peur à Bacchus. Cependant le valet croit bientôt en appercevoir d'horribles; ce qui fournit un jeu de théâtre bouffon. Car le dieu qui avoit fait le fanfaron tremble de frayeur, & prie un de fes prêtres, qu'il rencontre par hazard, de le fauver, à condition de boire avec lui. Le fpectre difparoît, & Xanthias s'écrie. « Nous pouvons bien dire comme » l'acteur Hégeloque, après la tempête nous » voyons le chat, je veux dire le calme ». C'est un vers d'Euripide * où le mot grec est équivoque dans la prononciation. L'acteur avoit mal prononcé. Plufieurs autres poëtes comiques badinerent fur la même équivoque aux dépens d'Euripide. Cet exemple fuffira pour juger d'autres pareils badinages qui ne nous touchent plus, & que j'omets pour être court & ne pas ennuyer: car je fuis bien éloigné de donner un commentaire fur des minuties qui ennuiroient, tandis qu'on peut affez voir par le fil & le génie de cette comédie qu'elle eft faite exprès contre Euripide. L'on me permettra encore un mot fur le comique burlesque de cette fcène, c'est que Bacchus s'obstine à ne pas revenir de fa peur, que

*Vers 179. de la tragédie d'Orefte, où l'acteur, au lieu de prononcer γαλην αδρω VIDEO SERENITATEM, prononça γαλῶν ὁρῶ

VIDEO FELEM.

fon valet ne lui ait juré que le spectre a disparu. Bacchus même y ajoute un trait fanglant *, à fçavoir; que fon miniftre a eu plus de peur que lui: &, quand il fe plaint du dieu ennemi qui l'a mis en ce danger, on lui répond que c'est l'Æther, & d'autres noms pareils dont fe fervoient Socrate & Euripide pour exprimer la divinité. C'eft qu'Ariftophane a toujours en vue les philofophes, & les fectateurs de Socrate.

On entend le fon de la flûte ; & le vrai chœur paroît †. Il est compofé de gens initiés qui célébrent les orgies de Bacchus, chofe conforme au tems, puifque cette comédie fut jouée aux bacchanales lénéennes, fur la fin de l'automne & dans les champs. Ce chœur, qui fe partage en deux demi-chœurs, n'eft pas fans médifance, furtout quand il écarte les profanes. Mais il faudroit tout rendre ce qui n'est pas faisable. Il en veut aux impies, aux mauvais comédiens, aux féditieux

,

* Trait cruel contre les miniftres de Bacchus. C'est la fable qu'A RISTOHANE attaque, & dont il rit avec les Athéniens, tandis que lui & eux accufent d'impiété Socrate, comme n'adorant pas les dieux du pays. Voyez le morceau de PLUTARQUE dans la CONCLUSION GÉNÉRALE.

† Le chœur de grenouilles qui a donné le nom à la piece, ne joue que dans une scène, & ne reparoît plus ( s'il est vrai qu'il ait paru. ) Un autre chœur lui fuccéde pour tenir le dé dans toute la piece. Cela n'est pas nouveau dans ARISTOPHANE ni même chez les tragiques. Le premier chœur dans l'Edipe de SOPHOCLE n'eft pas celui qui regne dans toute la piece. Le nouveau, eft qu'un chœur paffager ait donné fon nom à la comédie des GRENOUILLES.

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aux avares, à l'étranger Archédemus * qui avoit du crédit dans l'état, & particulierement à trois débauchés dont le plus infâme eft Clisthènes. Cette cérémonie fatyrique eft l'interméde.

ACTE I I.
ΙΙ.

Bacchus frappe au palais de Pluton par le confeil de fon valet, qui lui fait un jeu de mots fur la figure & le courage d'Hercule †. Eaque ouvre; &, prenant en effet Bacchus pour Hercule,

* Archédemus étoit confidérable dans la république, & gouvernoit alors Décélie (à la 26 année de la guerre. XENOPH. l. 1.) ARISTOPHANE dit plaisamment : « Ne dirons-nous rien de cet Archédemus, » qui, depuis fept années n'a pas encore montré fes dents, je veux » dire, son titre de citoyen, & qui gouverne néanmoins dans l'état » ? C'eft un mot à double entente, qui perd fa grâce en françois. L'é. quivoque roule fur un enfant de fept années, fans dents, & un étranger jouiffant du droit de citoyen depuis fept ans fans titre. La date de cette piece eft encore confirmée par ce morceau (1).

(1) La note de Paumier fera mieux fentir ce que le P. Brumoy ne fait qu'indiquer. » Et ex hoc loco manifeftum eft, RANAS afcendiffe » in scenam anno 26 belli Peloponnefiaci:(Nam eo tempore Archedemus, » qui tunc Athenis eminebat, & qui curam Deceliæ habebat, infidias » faciens Erafinidi,&c.quæ narrat Xenophon lib. 1). Scholiaftes bene no»tavit jocum Aristophanis in eo potiffimum effe, quod Archedemus ut » extraneus traducitur. Sed φράτορας non adludit ad vocem ὀδόντας » ( quod ait scholiastes ) fed ad opaoτñpas. Qui opaorõpes funt of 3 γνώμονες τῶν ἡλικιῶν ἰδόντες, ut ait Suidas : fed a notatione » nominis non eft dubium quin fint dentes anteriores, qui ad loquendum » funt utiles, and Tov opálew, quod non notavit ille Lexicographus. » Illi autem dentes anno feptimo nafcuntur; ideò dicit: TTTYS ar 3 οὐκ ἔφυσε (φραστήρας debebat dicere; fed quafi errans pronuntiavic) Ppåτopas ; & in eo confiftit gratia allufionis ».

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† Σχήμα figure. λήμα courage.

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