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vroient être au fond de la Tartarie comme à Paris, des pieces de Musique admirables. Cependant rien de plus contraire à l'expérience. Si nous déteftons la Mufique des Barbares, les Barbares n'ont guéres de goût pour la nôtre; & en admettant toutes les merveilles qu'on raconte de la Musique des Anciens, il est à présumer que nos plus beaux Concerts auroient été fort infipides pour eux. Mais fans exercer la crédulité du Lecteur, en fortant de notre âge & de notre voisinage; les Italiens ne font pas grand cas de la Musique Françoife, & il n'y a pas long-tems que les François avoient un mépris fouverain pour la Musique Italienne. Quoi donc, la Mufique feroit-elle une de ces chofes foumifes aux caprices des peuples, à la diverfité des lieux & à la révolution des tems?

On s'accorde cependant en un

point; c'eft que, tout étant égal d'ailleurs, l'octave, la quinte, la quarte, les tierces & les fixres employées dans l'harmonie, affectent l'oreille plus agréablement que les feptiémes, les fecondes, le triton & les autres intervalles que nous appellons diffonans. Cela pofé, je raisonne ainfi.

un

Si ce confentement unanime avoit fondement réel dans la nature; fi en effet tous les fons n'étoient pas également propres à former des confonances agréables, pourroit - on regarder la fucceffion des fons & des confonances, comme arbitraire? Quoi, les fons plairoient à l'oreille en fe fuccedant indistinctement, tandis qu'il y auroit un choix délicat à faire pour arriver au même but, en les uniffant. Cela n'eft pas vraisemblable.

I I.

Dans toutes les conjonctures où

nos fens font intereffés, il faut avoir égard à l'objet, à l'état du fens, à l'image ou à l'impreffion tranfmife à l'esprit, à la condition de l'efprit dans le moment qu'il la reçoit & au jugement qu'il en porte.

L'état de l'objet eft quelquefois indépendant de moi, mais je connoîtrai toujours fi cet état eft bon ou mauvais, par l'ufage auquel l'objet eft deftiné. L'organe peut être pur ou vitié. L'image ou l'impreffion fuit la condition de l'organe. L'esprit eft fujet à des révolutions; & de-là naît une foule de jugemens divers.

Qui prendrai-je pour guide? A qui m'en rapporterai - je? Eft-ce à vous? Eft-ce à moi? C'est à celui qui bien inftruit de la deftination de l'objet, ne rifque pas de fe tromper fur fa condition; qui a l'organe pur; qui jouit d'un efprit fain, & en qui les images des objets ne font point défigurées par les fens.

Je ne m'arrêterai point à l'application de ces principes à la science des fons; elle eft trop facile à faire. J'obferverai feulement en général qu'un objet eft plus ou moins compliqué, felon qu'il offre à l'efprit plus ou moins de rapports à faifir & à combiner en même-tems, & felon que ces rapports font plus ou moins éloignés.

Nous démontrerons dans la fuite que le plaifir mufical confifte dans la perception des rapports des fons. D'où il s'enfuit évidemment, qu'il fera d'autant plus difficile de juger d'une piece de Mufique, qu'elle fera plus chargée de ces rapports & que ces rapports feront plus éloignés.

Quand on fçaura comment l'oreille eftime les intervalles des fons, on ne balancera point à prononcer qu'elle appercevra plus facilement le rapport de deux fons qui font l'un à l'autre comme i à2, que s'ils étoient entr'eux

comme 18 à 19. Cela pofé, les rapports d'une fuite de tons requereroient plus de talent, d'exercice & d'attention pour être apperçus & conféquemment écoutés avec plaisir, qu'il n'en faudroit pour chacun de ces rapports pris en particulier. Autre chofe eft, eftimer les rapports des fons qui fe fuccedent dans une piece; autre chofe, combiner ces rapports entr'eux, les comparer, les diftinguer tous offerts en même tems dans une harmonie, & conférer les parties fucceffives de

cette harmonie les unes avec les au

tres. Tel peut embraffer dans fa tête toutes les parties d'un édifice immenfe; tel autre faifit à peine le rapport d'une colonne avec fon piedeftal.

Si donc la mélodie & l'harmonie multiplient dans un ouvrage les rapports, deforte qu'il n'y ait qu'une oreille des mieux exercées qui puiffe les faifir tous, elle ne fera goûtée que

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