LIVRE CENT DIX-HUITIEME.

L

AN. 1495.

I.

Le pape refufe

France à Rome.

II.

Dix-huit cardi

E roi de France après avoir fait fon entrée dans Rome avec toute la pompe & la magnificence qui convenoit à un grand prince, comptoit de voir le pape & d'avoir quelques entretiens avec lui de voir le roi de fur l'état des affaires ; mais Alexandre s'étoit enfermé dans le château Saint-Ange avec deux cardinaux feulement. Comme il fentoit qu'il avoit ufé de toutes fortes de moïens pour traverfer les deffeins des Fran- . çois, qu'il avoit offenfé Charles VIII. dans toutes les occafions qui s'étoient présentées, & qu'il avoit emploïé la fourberie & la trahison, il étoit réfolu de ne point s'expofer à une conference, dans la crainte qu'on ne fe faisît de lui, qu'on ne lui fit fon procès & que l'on ne le déposât. Le roi aïant paru fort mécontent de cette conduite, dix-huit cardinaux qui avoient abandonné le pape, ou par foibleffe, ou pour ne pas partager avec lui fa mauvaise fortune, folliciterent Charles de se faifir de sa perfonne & de faire travailler à fon procès. Le cardinal de faint Pierre-aux-liens plus animé que les autres contre le fouverain pontife, lui remontra fortement que la conjoncture étoit favorable pour donner à l'église un autre chef; que Dieu avoit conduit comme par la main fa majefté dans Rome, & qu'il y avoit lieu de croire que ç'avoit été uniquement dans cette vûë. Qu'Alexandre étoit en execration à toute la chrétienté pour fa vie fcandaleufe,qu'il n'étoit devenu pape qu'à force d'argent, & qu'il ne travailloit qu'à fe rembourfer des frais qu'il avoit faits pour obtenir cette dignité; qu'il

naux follicitent le procès au pape. roi à faire faire le

Guicchard. hift.

Ital. L. 1. 47.6.12. p. 550

Mem. de Comines

avoit fi peu de religion qu'il s'etoit uni avec le Turc; AN. 1495. & que bien loin de témoigner du regret de les fautes

III.

Le roi fait fom

mer le pape de lui

livrer le château Saint-Ange.

Mem. de Comines

1.7. c. 12.

1495. n. I.

I.

paffées, il entretenoit fcandaleufement dans fa maifon fes propres bâtards, qu'il en avoit même élevé un à la dignité de cardinal; que depuis qu'il étoit pape fes déreglemens avoient tellement choqué les chrétiens, & exposé la religion au mépris des infidéles, que le roi de France en qualité de fils aîné de l'églife étoit obligé d'y pourvoir à l'exemple de fes prédeceffeurs, qui avoient tant de fois délivré Rome de l'oppreffion de fes ennemis & des mauvais pasteurs. Que l'on prioit fa majesté de faire affembler au plûtôt le confiftoire pour remedier à tous les maux dont l'églife étoit opprimée. Qu'enfin elle ne devoit point laiffer fur le faint fiége le plus grand ennemi que les François euffent dans l'Italie, & que le feul moïen d'affurer les conquêtes étoit de le faire déposer.

Mais Briçonnet à qui le pape avoit promis un chapeau de cardinal, fçut fi bien menager l'efprit de Charles VIII. qui trouvoit d'ailleurs ces confeils trop violens, qu'il diffipa les deffeins des cardinaux & Spond. ad ann. difpofa ce prince à traiter Alexandre VI. beaucoup Guichardin. 1. 1. plus favorablement. On le fit néanmoins fommer de livrer au roi de France le château Saint-Ange; & für fon refus, fa majefté commanda jufqu'à deux fois qu'on affiegeât cette fortereffe en forme & qu'on appointât le canon pour la battre, mais chaque fois, elle fit arrêter les canoniers, parce qu'elle n'en vouloit pas venir à ces extrêmitez, & qu'elle étoit fort éloignée de faire violence au pape; outre que ceux de fon confeil qu'Alexandre VI. avoit gagnez, étoient les plus forts & en plus grand nombre ; il fallut donc en venir à un accommodement, après qu'on eut dé

puté

puté au faint pere les feigneurs de Foix, de Breffe, deLigny, de Gié, & Jean de Reli confeffeur du roi, nommé à l'évêché d'Angers. Enfin après plufieurs déliberations, le traité fut conclu. En voici les principaux articles.

Que fa fainteté vivroit dans une entiere union avec le roi pour la tranquillité de l'Italic. Qu'elle lui donneroit pour places de fûreté les villes de Terracine, de Civitavecchia, de Viterbe & de Spolette; Charles VIII. occupoit déja Viterbe, & Spolette ne fut point livrée, quoique le pape l'eût promise. Qu'Alexandre VI. ne pourroit mettre que des gouverneurs agréables au roi dans les places qui lui reftoient. Que le cardinal Borgia fon fils fuivroit la cour fous prétexte de faire honneur au roi ; mais en effet, pour fervir d'ôtage. Que les cardinaux du parti du roi rentreroient dans les bonnes graces de fa fainté, fans qu'on pût les inquiéter, non plus que feigneurs du territoire du faint fiége, qui s'étoient déclarez pour la France. Que le roi à son retour du roïaume de Naples rendroit au pape toutes les places dans l'efpace de quatorze jours, excepté Civitavecchia & Oftie, & que cette derniere feroit remise au cardinal de faint Pierre-aux-liens, qui feroit rétabli dans fa légation d'Avignon. Qu'enfin sa majesté rendroit au pape l'obéiffance filiale..

les

Le pape met Zi

Un autre article que le roi avoit fort à cœur, étoit V. que Zizim frere de Bajazet II. à qui il avoit difputé zim entre les l'empire, & qui fe trouvoit actuellement entre les mains du roi. mains du pape, feroit remis en celles de fa majefté, Bofio hift. de l'orpour s'en fervir comme elle le jugeroit à propos dans Jerufalem, les deffeins qu'elle avoit fur Conftantinople. Alexandre VI. qui ne pouvoit le refufer, le rendit par

Tome XXIV.

Gg

dre de S. Jean de

V I.

Zizim meurt, &

un acte folemnel & dans une ceremonie publique. AN. 1495. Ce prince partit de Rome avec le roi, qui quitta cette ville pour prendre la route de Naples. Mais fur le on foupçonne le chemin il fe fentit frappé d'un mal inconnu qui l'emporta en fort peu de temps. Cette mort surprit tout Raynald, ad hunc le monde ; on en chercha la caufe, quoiqu'il n'y eût Guichardin. 1. 1. rien de plus naturel que de penfer que l'inquiétude Leunclav, l. 16. avoit avancé les jours. Il y en eut qui dirent que les

pape de l'avoir fait

empoifonner.

ann. 1495. n. 12.

VIL

Le pape vient au

Je roi à S. Pierre.

Onuphr. & Ciac. addit. ad Monfreler.

Venitiens corrompus, par l'argent des Turcs & allarmez de l'expedition des François, lui avoient fait donner du poifon fecretement. L'opinion la plus commune étoit que le pape l'avoit livré tout empoisonné à Charles VIII. afin que la France n'en tirât aucun avantage, & que fa fainteté avoit pour cet effet reçu de Bajazet une grande fomme d'argent. Quelques-uns ont cru qu'il mourut chrétien, & qu'il avoit reçu le baptême à Rome sous le pontificat d'Innocent VIII. Mais ceux qui font entrez dans un plus grand détail de la vie & des malheurs de ce prince, comme Bofius, ne difent rien de fa converfion. Il laiffa un fils nommé Amurath, qui après la prise de Rhodes fut mis en prifon & étranglé par l'ordre de Soliman.

Après que le traité entre la fainteté & Charles VIII. Vatican, & reçoit cut été figné, le pape quitta le château Saint-Ange, & vint au Vatican où il reçut le roi de France dans l'églife de S. Pierre, felon les ceremonies ordinaires, un Vendredi feiziéme de Janvier. La premiere entrevûë fe fit dans les Jardins, où le roi ne fut pas plûtôt entré, que le pape accompagné de plufieurs cardinaux vint au-devant de lui, & l'embraffa en fe dé couvrant, fans que ce prince baisât ni le pied, ni la main du faint pere. Tous deux fe couvrirent en même-temps, & après les premiers complimens, le roi

AN. 1495.

VIII. Guillaume Bri

cardinal.

con loco fuprà. Raynald. hoc. ann.

11. 3.

Spond. ad hunc

pria fa fainteté de donner le chapeau de cardinal à Guillaume Briçonnet évêque de faint Malo, comme elle l'avoit promis; ce qu'elle accorda auffi-tôt. Guichardin & Comines donnent à Briçonnet pour connet eft fait collegue Philippe de Luxembourg évêque du Mans; Guicchardin. 1. 1. mais Onuphre & Ciaconius difent que la promo- Comines l. 7. c. 12. tion ne fut que d'un seul; fçavoir, l'évêque de faint CiaMalo, & que l'autre ne reçut le chapeau qu'un an après, & même Sponde met deux ans ; peut-être que ann. 1495. n. 1. le pape le promit alors à l'évêque du Mans. La ceremonie fe fit dans la chambre de sa sainteté, qui se mit fur fon thrône, & à côté d'elle le roi fur un fiége un peu plus avancé. Le maître des ceremonies fit entrer Briçonnet qui baifa les pieds & la bouche du pape duquel il reçut le chapeau. On dit que quand le nouveau cardinal voulut l'en remercier, le fouverain pontife lui repartit, que c'étoit au roi à qui il devoit faire les remerciemens ; & que là-deffus Briçonnet alla auffi-tôt se jetter aux pieds de fa majesté trèschrétienne.

IX.

Albinus de bello

Cependant Charles VIII. voulant montrer au pape qu'il étoit prêt de lui rendre fon obedience filia- obedience filiale le, on convint du dix-neuviéme de Janvier. Le jour au pape, & afsiste venu le maître des ceremonies fut envoïé au roi, Raynald, hoc ann. pour lui dire ce qu'il avoit à faire dans cette entre- " 4 vûë. Quand il eut appris le ceremonial qu'il devoit Gallico, l. 6. obferver, il entendit la meffe & alla dîner. Le pape tint pendant ce temps-là un confiftoire où il vint fort paré, & à la fin il envoïa deux cardinaux avec plufieurs évêques pour avertir le roi. Ce prince partit avec eux pour fe rendre au confiftoire, il marchoit au milieu d'eux, fuivi des princes & des grands de fa cour. A l'arrivée du roi, le pape prit une mitre