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Le Taffe. avec tant de jugement, tant d'élégance,tant de politeffe, & tant de pureté de ftyle, que la compaffion qu'on avoit de fon malheur fe tourna enfin en étonnement. En effet la phrénéfie qui rend les gens farouches & hébetés, fembloit ne faire autre chofe en lui que d'épurer fon efprit, que d'échauffer & de préparer fon imagination pour lui faire inventer les chofes plus promptement. Il en disposoit ses matiéres plus judicieusement & plus réguliérement, & le mal lui fourniffoit des penfées plus nobles, des expreffions plus fortes & des termes plus choifis. Ce qu'il y avoit de furprenant c'étoit de voir que le Taffe au fortir des accès de fa fureur & du trouble de fon efprit compofsoit fes vers avec la plus grande tranquilité du monde, de forte qu'il n'auroit pas été poffible aux perfonnes les plus fenfées, qui auroient eu la tête la plus libre & la plus repofée de faire la même chose dans leur plus grand loifir, dans leur fens le plus frais, avec toute leur application & toute la force de leur efprit. Et lors qu'on ne considéroit l'efprit du Taffe que dans fes productions, on ne pouvoit s'imaginer qu'il pût avoir été hors de lui-même, quelques égaremens que remarquât dans fes converfations & fes maniéres d'agir, & il n'a paru aucune chose dans fes écrits qu'on n'ait pû fort bien attribuer aux effets de cet enthoufiafme que les Poëtes croyent recevoir de la Divinité.

l'on

Mr d'Aubignac prétend que le Taffe n'attendoit pas les intervalles de tranquilité que fa phrénéfie lui accordoit de tems en tems pour travailler à fes Poëfies; mais il veut nous faire croire qu'il faloit qu'il fut même au milieu de fes tranfports pour faire fes vers; & qu'il ne réuffiffoit jamais mieux que lors que l'enthoufialme le tenoit actuellement en fiévre chaude (1). Mais quand cette circonftance feroit auffi peu véritable qu'elle eft difficile à croire, les compofitions du Taffe n'en feroient pas moins l'effet de la Fureur Poëtique, comme nous l'avons vû dans Lucrece.

Il n'est point néceffaire pour le fujet que je traitte d'éxaminer la cause de la folie de ce Poëte, il fuffit que tout le monde convienne de fon effet. Ceux qui voudront la rechercher pourront confulter les Additions de Tollius aux Dialogues de Pierius Valerianus fur le malheur des Gens de Lettres, la vie du Taffe & les Eloges de Tomafini, ceux de Craffo, le Théâtre de Ghilini, les Questions Epistol, de Fortunio Liceti, le Traitté de la Fureur Poëtique de Mr Petit, les Additions de Mr Teiffier aux Eloges de Mr de Thou, la Differtation de Mr Ménage fur l'Amynte du Taffe, où ils verront que les 1 Hedelin d'Aubignac de la Pratiq. du Théâtr. liv, 3. chap. 10, pag, 347.

uns l'attribuent à fon naturel mélancholique, les autres à fon emprifonnement, quelques-uns à une opération de Chirurgie qu'on lui fit au nés, plufieurs à la cenfure que les Académiciens de la Crufca firent de fon Poëme de la Jérusalem délivrée : quelques autres à des remédes que les Médecins l'obligérent de prendre malgré lui, prétendant le guérir de fon enthousiasme qu'ils prenoient pour une folie réelle (1): & d'autres enfin à la violence d'une paffion honteuse qu'il conçut pour la fœur du Duc de Ferrare (2).

*

over●

La Jérusalemme di Torquato Taffo, figurata da Bernardo Caftello in-fol. in Genova 1617. in Venetia in-4° 1583.- Il Godofredo, over. la Ferufalemme liberata di Torquato Taffo, in-fol. in Parigi nella stemperia Reale 1644. Il Re Torrifmondo, Tragedia in-4° in Ferrare 1587.l'Aminta favola in-4° Parigi 1656. Rime & Profe 3. vol. in-12 Ferrare 1589. Poefie varie in-4° in Roma 1666. *

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1 Varii Autores ex fupra memoratis, quibus addefis Fort. Licet. cap. 12. Quæfit. - per Epift. 3. cap. 12. & Petr. Petit, de Fur. Poët. pag. 77.

2 Il pouvoit dire extravagante ou peu fenfe à caufe de la difproportion des qualités mais hontenfe eft ici fort impropre.

PIERRE ANGELI DE BARGA,

(Angelius Bargaus), natif de Barge village au Duché de Toscane; Poëte Latin & Italien, mort l'an 1596. agé de 78. ans (1).

1349

O

Utre cinq livres de vers Latins que l'on a recueillis de cet Auteur, l'on trouve encore diverfes Poëfies au premier tome des Délices des Poëtes Latins d'Italie, comme un Epithalame, des Eloges, des Epigrammes; mais les Epîtres font d'un autre Angelius Bargæus nommé Antoine.

Mais les plus confidérables d'entre les Oeuvres Poëtiques de Pierre font la Syriade ou des Expéditions de Godefroi de Bouillon dans la Terre-Sainte en douze livres, fes Cynegetiques, & les Ixeutiques, ou quatre livres de la Chaffe, & un de la Fauconnerie.

On peut affurer que tous les connoiffeurs & les favans ont donné leur approbation à la plupart des Poëfies de cet Auteur, & qu'il n'y a prefque perfonne qui n'en ait parlé avec éloges. Le Giraldi (2) &

19 De 79. comme le marque fon Oraison funébre imprimée parmi les profes Florentines de Carlo Dati.

2 Lil. Gregor. Gyrald. Dialog, 2. dẹ Poëtis ævi fui &c.

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1

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Barga. Barthius (1), le louent comme un Poëte plein de feu & de courage, qui a de la noblesse & de la force. Paul Manuce prétend même (2) qu'il n'y avoit perfonne de fon tems qui le paflät pour le génie, au-: quel il avoit joint une grande doctrine avec une éloquence merveil leufe; de forte que felon lui Bargæus étoit tout à la fois excellent Poëte & grand Orateur.

Le Pere Poffevin le louë pour fa pureté, & dit (3) qu'il eft d'autant plus eftimable qu'il a fu joindre celle des fentimens à celle du ftyle, & de l'expreffion ayant eu un foin particulier de garder l'honnêteté par tout. Le même Auteur releve ailleurs le mérite des Cynegetiques de Bargæus (4), difant que c'est un Ouvrage inimitable, auquel il avoit travaillé avec tout le foin poffible, & qu'il le confidéroit comme le meilleur de tous ceux qu'il avoit faits. C'étoit auffi l'opinion de Denys Lambin (s).

La Syriade de Bargæus a été auffi fort confiderée, & quoi qu'il l'eût compofée dans fa vieilleffe, on ne laiffe pas d'y remarquer beaucoup de pureté dans l'expreffion, de la cadence dans les vers, & une abondance de chofes qu'il décrit avec beaucoup d'élégance & d'agrémens, felon Monfieur Teiffier qui rapporte le témoignage des Critiques précédens (6).

C'est pourquoi Mr de Thou dit (7), que c'est avec raison qu'on a fait cette diftinction des Cynegetiques & de la Syriade d'avec les autres excellens Ouvrages de ce Poëte.

P. Angelius Bargæus a fait auffi quelques Poëfies Italiennes ; mais je n'ai connoiffance que d'une Tragédie, qui eft l'Oedipe Tyran de Sophocle, qu'il a mis en cette langue (8).

"

* Petri Angelii Bargæi, Syriados lib 1 1. in fol. Parif. 1582. — Poëmata in-4° Lugd. apud Gryph. 1561.- Ejufd. de Aufpicio ad Fr. Medicem :

1 Gafp. Barthius Adverfarior. lib. so. cap.
1. col. 2325.

Paul. Manutius lib. 4. Epiftol. 18. item
lib. 8. Epiftol. 21.

3 Ant. Poflevin Biblioth. fele&t. lib. 16. fection. 3. cap. 1. pag. 310.

4 Idem in eod. opere lib. 17. cap. 25. &
Teiff in addit. ad Thuan.

Dionyf. Lambin in Epift. ad P. Ang.
Bargæum in Collect. Epiftol. Ciaror. Viro.
edition. Lugdunenf. ann. 1561. & ap. Ant.
Teiff. in add.

6 Antoine Teiffier tome fecond, des Addi-
trons aux Eloges de Mr de Thou pag. 223.
7 Jac. Aug. Thuan. Hiftor. fuor. tempor.
ad anu. 1596. quib. adde fis Martin. Han-

chium Rer. Rom. Scriptor parte fecunda pag. 168 & G. Math. Konigium in Biblio th. Vet. & Nov. voce Bargæus.

8 Il y a une Traduction en vers Italiens non rimés de l'Oedipe Tyran de Sophocle par Orfatto Giuftiniano noble Venitien, impriméel'an 1585. in-4. à Venife, & reprefentée folennellement cette mème année à Vi cence. Le Traducteur n'y a point parlé de celle du Bargeo, laquelle n'a peut-être jamais paru. Jean Albert, Fabrice du moins p. 622. du t. 1. de fa Bibliothéque Grecqn'a point rapporté d'autre verfion Italienne de l'Oedipe Tyran de Sophocle que celle du Giuftiniano. Mais depuis cette note écrite, j'ai appris du Crescimbeni que l'Gedippe du

Bargeo

ejufdem Elegia de Radagafi & Getarum cæde ad urbem Florentiam in-4° Florentie 1566.

Bargeo & fes autres poëfies Italiennes avoient été imprimées conjointement avec celles de Mario Colonna. Un Célébre Académicien de Florence nommé Bernardo Segni avoit vers le milieu du 16. fiécle traduit de mème en vers non rimés cette Tragédie

de Sophocle comme en fait foi pag. 34. le
livre intitulé Notizie letterarie ed iftoriche inter-
no agli Uomini illuftri del? Accademia Fiorentina
imprimé à Florence 1700. in-4. Cette tra-
duction du Segni eft demeurée manufcrite

LOUIS ALEAUME,

(Alealmus) Lieutenant Général d'Orleans, mort l'an 1596. Poëte Latin & François.

1350

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Ntrouve quelques Poëfies Latines de cet Auteur au commencement du premier tome des Delices des Poëtes de France (1). Mr de Sainte-Marthe dit qu'on y admire particuliérement ce grand talent qu'il avoit de faire paroître une abondance extraordinaire dans les matiéres les plus ftériles, & de donner des graces & des beautés aux fujets les plus fecs & peu agréables d'euxmêmes. (2)

1 Et féparément auffi en un petit in-8. avec une préface du fils de l'Auteur.

2 Scævol Sammarthan. Elogior. lib. 47 pag 125. edition, in 4.

CHRISTOFLE,

ou CHRISTOV.

DE CASTILLEJO,

Natif de Ciudad-Rodrigo, Moine de l'Ordre de Cîteaux;
Poëte Espagnol, mort vers l'an i 596..

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Es Oeuvres Poëtiques de cet Auteur en langue vulgaire parurent à Anvers in-12 l'an 1598. & à Alcala de Henarez l'an 1615. in-8°.

Il avoit beaucoup de génie pour la Poëfie; mais il n'avoit d'inclination que pour ces petits vers de fix fyllabes ou de cinq, quand l'accent eft fur la derniere, que nous appellons Villanelles de petits Rondelers, & qu'il jugeoit fi propres & fi particuliers à fa langue & à fa Nation, qu'il croyoit que les Espagnols devoient s'en tenir à

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cétte espéce de vers pour la gloire du pays, fans recourir aux maniéres des autres Nations, pour admettre & cultiver de nouvelles efpéces de vers. On doit moins s'étonner qu'il y ait si bien réüssi aprés s'être prefcrit ces bornes à lui-même, & avoir appliqué tous fes talens & fon industrie à ce genre d'écrire.

N.col. Anton. tom. 1. Biblioth. Hifpan. S criptor. pag. 185.

FLORENT CHRESTIEN,

Natif d'Orleans, fils de Guillaume, pere de Claude, Poëte Grec 3 Latin, & François, Précepteur du Roi Henri le Grand, & fon Bibliothécaire à Vendôme. Il s'eft appellé en Latin, Quintus (1) Septimius Florens Chriftianus. Quintus, parce qu'il étoit le cinquiéme des enfans de fes pere & mere, Septimius, parce qu'il étoit né au feptiéme mois de la groffeffe de fa mere. Il mourut l'an 1596. âgé de 56. ans. Mr de Thou le fait naître d'une famille noble de Bretagne.

1352

I

L'y a peu de Poëfies Grecques de Chrétien qui ayent été imprimées, on n'en trouvera pas beaucoup davantage de fes Latines qui ayent vû le jour. Mais on ne peut pas dire la même chofe de fes Françoises, quoi que ce foient celles qu'on lit le moins aujourd'hui.

On peut voir la lifte de ces trois efpéces de Poëfies dans le Catalogue de fes Ouvrages que nous avons en divers endroits. 1. Dans une Lettre de Claude Chrétien fon fils à Scaliger. 2. A la fin du Traité de Cafaubon, De Satyrica Græcorum Poëfi. 3. Dans les Additions de Mr Teiffier aux Eloges de Mr de Thou. 4. Et celle des Françoifes dans la Bibliothéque de la Croix du Maine. Mais nous parlerons ailleurs de quelques-unes de celles qu'il fit en la même langue contre Ronfard dans fa jeuneffe fous des noms empruntés.

Scaliger dit (2) que Chrétien éxcelloit dans toutes les trois efpéces de vers avec un avantage égal, & qu'il ne s'étoit encore trouvé perfonne dans la France qui l'eût furpaffé dans aucune de ces trois langues.

Mr de Thou témoigne (3) que fes vers Grecs & Latins étoient

2 Scioppius pour fe moquer l'appelle Quintus Septimius Florens Tertullianus Chriftianus. Prima Scaligeran. au mot Chriftianus.

3 Jac. Auguft. Thuan. Hiftor. fuor tempor. ad ann. 1596. & Addit. Ant.. Teiffier, &c.

beaux

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