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Torquatus, à caufe du collier qu'il arracha à l'ennemi, le lui ait arraché par fentiment de volupté; ni que par par le même fentiment il ait combattu contre les Latins fur le Visere, dans fon troifiéme Confulat. Et quand il fit couper la tête à fon fils, ne fe priva-t-il pas d'un plaifir bien doux & bien fenfible; puifque par-là il préféra aux fentimens de la nature les plus vifs, ce qu'il croyoit devoir à la majefté de l'Empire? Quoi! lorfque Lucius Torquatus, celui qui fut Conful avec Ĉnéius Octavius, voulut fon fils, qu'il avoit émancipé pour être adop té par Décius Syllanus, plaidât luimême fa cause devant lui pour se dé fe fendre contre les Ambaffadeurs des Macédoniens, qui l'accufoient de concuffion, & qu'après avoir entendu les deux parties, il prononça, qu'il ne lui paroiffoit pas que fon fils fe fût comporté dans le commandement comme fes ancêtres, & qu'il lui défendit de fe

que

préfenter

tice militaire fi rigoureufe,&Tite- Live, dans le quatriéme livre, marque que Pofthumius Tuber étant Dictateur contre les Volfques, dont il triompha, fouilla fa victoire par la mort de son fils, auquel il fit couper la tête, parce qu'il avoit combattu contrefes défenfes.

préfenter davantage devant lui; croyezvous que ce fût alors un fentiment de volupté, qui le fit agir?

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Mais laiffant à part ce que tout bon citoyen eft obligé de faire pour fa patrie; & non-feulement les plaifirs dont il fe prive, mais les périls où il s'expofe, les fatigues, & même les maux de douleur qu'il endure, en préférant de fouffrir plutôt toutes chofes que de manquer à fon devoir ; je viens à ce qui eft moins confidérable mais qui ne prouve pas moins. Quel plaifir, vous, Torquatus, & vous, Triarius, trouvez-vous dans l'étude continuelle des Lettres, dans la recherche de l'Hiftoire, à feuilleter fans ceffe les Poëtes, & à retenir tant de vers? Et ne m'allez pas dire tous deux, que c'en eft un très-grand pour l'un & pour l'autre : ni vous, Torquatus, ne me dites que les belles actions que vos ancêtres ont faites, leur donnoient de la vo lupté.Ce n'eft pas ce qu'Epicure répond à une semblable objection; ce n'eft pas non plus ce que vous y devez répondre,' nivous, ni tout homme de bon fens, qui fera un peu inftruit de ces matiéres; & enfin ce n'eft pas-là ce qui fait qu'il y a tant d'Epicuriens.

pas

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Il eft vrai que ce qui attire d'abord la multitude, c'eft qu'elle s'imagine qu'Epicure prétend, que ce qui eft jufte & honnête, donne de lui-même du plaisir & de la volupté. Mais on ne prend pas garde, que tout fon fyftême feroit renverfé, fi cela étoit. Car s'il convenoit que les chofes loüables & honnêtes fuffent agréables par elles-mêmes, fans aucun raport au corps, il s'enfuivroit que la vertu & les connoiffances de l'efprit feroient défirables d'elles-mêmes, & c'est de quoi il ne demeure pas d'accord. Je ne puis donc pas aprouver Epicure dans tout ce que je viens de yous dire. D'ailleurs je voudrois, ou qu'il eût été plus profond dans les fciences, car il faut que vous avoüiez qu'il ne l'eft guéres dans ce qui fait que les hommes font appellez favans : ou qu'il n'eût pas effayé de détourner les autres de le devenir, quoiqu'il me femble que pour vous deux, il ne vous en a pas trop empêchez.

Après que j'eus parlé de la forte, plutôt pour les faire parler eux-mêmes, que dans aucun autre deffein; Triarius en fouriant: Il ne s'en faut guéres, dit-il, que vous n'ayez effacé Epicure du rang des Philofophes. Car

tout le mérite que vous lui laiffez, c'est que de quelque façon qu'il s'énonce, vous ne laiffez pas de l'entendre. Sur la Phyfique il a pris des autres tout ce qu'il a dit; encore ce qu'il en a dit n'eft-il pas trop à votre goût; & ce qu'il a voulu ajouter de fon crû, il l'a toujours ajouté mal à propos. Il n'a eu aucune connoiffance de la Dialectique. Et en mettant le fouverain bien dans la volupté, premiérement il s'eft fort trompé; en fecond lieu, il n'a rien dit de lui-même, parce qu'il l'a pris entiérement d'Ariftippe qui l'avoit mieux dit avant lui. Et enfin, vous lui avez prefque ôté toute forte de connoiffance, en ajoutant qu'il étoit fort ignorant.

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Il eft impoffible, repris-je, ô Triarius, que quand on eft d'un fentiment différent de celui de quelqu'un, on ne marque ce qu'on y condamne; car qui m'empêcheroit d'être Epicurien, fi j'aprouvois les opinions d'Epicure, qu'on peut aprendre en fe jouant? Il ne faut donc pas trouver mauvais, que ceux qui difputent ensemble, parlent l'un contre l'autre pour fe réfuter. C'eft l'aigreur, c'eft la colère, c'est une trop grande contention, & une trop gran

de opiniâtreté, qu'il faut bannir de la difpute, & qui en effet font indignes de la Philofophie.

Vous avez raison, dit Torquatus, il est impoffible de difputer, fans faire voir qu'on n'eft pas du fentiment de celuicontre qui on difpute. Ce qui n'eft pas permis, c'eft de difputer avec chaleur, & avec emportement. Mais, fi vous le trouvez bon, j'aurois quelque chofe à répondre à ce que vous avez dit.

Croyez-vous donc, lui repliquai-je, que j'euffe parlé, comme j'ai fait, fi je n'avois eu envie de vous entendre a Hé bien, reprit-il, voulez-vous que nous parcourions toute la doctrine d'Epicure, ou que nous ne parlions que de la feule volupté, dont il est maintenant question? A votre choix, lui répondis-je. Hé bien, dit-il, ce fera donc de cela feul, que je parlerai; nous remettrons à une autre fois ce qui regarde la Phyfique; & je me fais fort devous prouver la déclinaison des atomes, & la grandeur du foleil, telle qu'Epicure la fupofe, & de vous faire voir: qu'il a repris & réformé très-fagement: beaucoup de chofes dans Démocrite. Quant à préfent, je ne parlerai que de la volupté, & je ne dirai rien de nou

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