Imágenes de páginas
PDF
EPUB
[blocks in formation]

UAND je me propofai; BRUTUS, de traiter en Latin les mêmes matières, que des Philofophes d'un rare favoir & d'un excellent efprit ont traitées en Grec; je n'ignorois pas que bien des gens trouveroient à redire à mon deffein, les uns d'une façon, les autres d'une autre. Car il y a des per fonnes, & même de beaucoup d'efprit,

A

qui ne peuvent fouffrir qu'on s'aplique à la Philofophie: & il y en a d'autres qui véritablement ne defapprouvent pas qu'on s'y adonne, pourvû qu'on y garde quelque mefure, mais qui voudroient qu'on y employâr un peu moins de foin & de temps. Il y en a auffi qui fachant le Grec, & méprifant leur Langue, diront qu'ils aiment mieux lire les mêmes chofes en Grèc: & enfin je ne doute point qu'il n'y en ait,qui fou haiteroient que je m'attachaffe à quel que autre genre d'écrire, prétendant que celui-ci, quelque mérite qu'il puiffe avoir, ne convient pas affez à la dignité des emplois que j'ai foute,

nus.

Je leur répondrai à tous en peu de mots, quoiqu'à l'égard de ceux qui blâment la Philofophie, je leur aie déjà affez répondu dans le livre, où je l'ai défendue hautement contre les accufations d'Hortenfius, & qui ayant eu votre approbation, & celle des perfonnes que j'ai cru capables d'en juger, m'a encouragé à continuer, de peut qu'il ne parût que je n'euffe fait qu'exciter la curiofité des hommes fans avoir de quoi la fatisfaire,

[ocr errors]

Quant à ceux qui trouvent bon

qu'on s'adonne à la Philofophie, mais fobrement, ils demandent une espèce de retenue très-difficile, & dont on n'eft plus le maître, du moment qu'on s'eft embarqué. Ainfi ceux même qui condamnent ouvertement la Philofophie, font prefque plus équitables que ceux qui veulent donner des limites à une matiére infinie, & qui veulent de la modération dans une étude, qui n'est jamais plus eftimable que quand on la pouffe le plus loin. Car, fi on peut parvenir à la véritable fageffe, il ne fuffit pas de l'avoir acquife, il faut en joüir. Que fi l'acquifition en eft longue & pénible, on ne doit pas ceffer de chercher le vrai bien, qu'on ne l'ait trouvé. Il feroit honteux de fe rebuter dans la pourfuite de ce qu'il y a de plus excellent au monde. Du refte, fi la Philofophie eft un fujet fur lequel je pren ne plaifir à écrire, pourquoi veut-on m'envier un plaifir honnête? Et fi c'eft une tâche que je me fuis faite, pourquoi vouloir m'empêcher d'en venir à bout? Car, lorfque Chrémès (1) dans Térence ne veut pas que fon voifin travaille lui-même à la terre, & qu'il por

( 1 ) Dans l'Heautèntim. acte 1. fc. 1.

te

te des pêles & des rateaux,il neveut que. lui épargner un travail dur & fatigant, & c'eft par efprit d'humanité qu'il le fait; mais ces gens-ci veulent me détourner d'un exercice, qui m'est délicieux.

Il n'eft pas peut-être fi aifé de bien répondre à ceux qui ne font nul cas de ce qu'on traduit en Latin, quoiqu'on ait fujet de s'étonner que des gens qui ne laiffent pas de prendre plaifir à des Tragédies Latines,tournées du Grec mot à mot, ne puiffent pas goûter des chofes graves & excellentes, traduites dans leur Langue. Car y a-t-il quelqu'un affez ennemi du nom Romain, pour refufer de lire ou la Médée d'Ennius ou l'Antiope (2) de Pacuvius & pour ofer dire qu'il fe plaît à lire les mêmes piéces dans Euripide, mais qu'il ne les peut fouffrir traduites en Latin? Il faudra donc, dira-t-il, que je life les (3) Synéphébes de Cécilius,

[ocr errors]

ou

( 2 ) C'étoit une Tragedie d'Euripide, que Pacuvius, neveu d'Ennius, avoit traduite Nous en avons des fragmens dans l'édition d'Euripide, faite à Cambrige par M. Barnès 1694.

[ocr errors]

(3) Synéphébes fignifie de jeunes gens élevez enfemble. C'étoit une Comedie de Menandre, traduite par Cecilius contemporain d'Ennius.

ou l'Andrienne de Térence, plutôt que l'une & l'autre dans Ménandre ? Et moi je lui répondrai qu'encore que l'Eletre foit admirable dans Sophocle, & qu'Attilius l'ait très-mal renduë, je ne laiffe pas pourtant de la lire dans Attilius, que Licinius appelle un écrivain de fer, & qui l'eft en effet ; mais qui cependant eft un écrivain qu'on peut lire. Au fond c'eft avoir ou trop de nonchalance, ou trop de délicateffe, que de ne vouloir pas jetter les yeux fur nos

Poëtes.

Pour moi, je ne faurois regarder comme favans ceux qui n'ont pas la moindre connoiffance de nos Auteurs. Quoi, lorfque nous lifons dans la Médée d'Ennius,

Plût au Ciel (4) que jamais dans les bois du Pélie,

nous n'y prenons pas moins de plaifir, que quand nous lifons la même chofe

dans

(4) Le Latin dit : Utinam ne in nemore, Ci ceron ne rapporte pas le vers entier, parce que de son temps c'étoit un mot fort connu. C'est le commencement d'un vers d'Ennius dans la Médée, qu'il avoit traduite d'Euripide. Voyez la Médée d'Euripide vers 3. Ce même fragment d'Ennius eft plus au long dans le fragment de Ciceron de Fato.

« AnteriorContinuar »