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veau là-deffus ; mais je ne laiffe pas d'efpérer que vous ferez de mon fentiment. Je vous affure, lui répondisje, que je ne ferai point opiniâtre, & que je me rendrai volontiers, fi vous pouvez me perfuader. Je le ferai, ajoûta-t'il, pourvû que vous demeuriez dans la même difpofition que vous témoignez; mais j'aimerois mieux parler de fuite, que d'interroger, ou d'être interrogé. Comme il vous plaira, lui dis-je; & après cela il commença à parler de cette forte.

Je commencerai d'abord par garder la méthode d'Epicure, duquel il eft ici queftion; & j'établirai ce que c'eft que le fujet de notre difpute, non pas que je ne croïe que vous le fachiez très. bien, mais afin de procéder avec ordre.

Nous cherchons donc quel eft le plus grand des biens : & du confentement de tous les Philofophes, ce doit être celui, auquel tous les autres biens doivent fe raporter, & qui ne fe raporte à aucun autre. Ce bien-là, felon Epicure, est la volupté, qu'il prétend être le fouverain bien, prétendant auffi que la douleur eft le plus grand des maux : & voici comment il s'y prend pour le prou

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Tout animal, dès qu'il eft né, aime la volupté, & la recherche comme un très-grand bien: il haït la douleur, & l'évite autant qu'il peut comme un très-grand mal & tout cela, il le fait lorfque la nature n'a point été encore corrompue en lui, & qu'il peut juger le plus fainement. On n'a donc pas befoin de raifonnement, ni de preuves. pour démontrer que la volupté eft à rechercher, & que la douleur eft à craindre. Cela fe fent, comme on fent que le feu eft chaud, que la neige eft blanche, & que le miel eft doux ; & il est inutile d'apuyer par des raifonnemens ce qui fe fait fentir suffisamment de foimême. Car il y a différence, dit Epicure,entre ce qu'on ne peut prouver qu'à force de raifons, & ce qui ne demande qu'un fimple avertiffement. Les chofes abftrufes, & comme envelopées, ont befoin d'étude pour être bien démêlées, & bien éclaircies : les autres, il suffit de les indiquer. Comme donc, en ôtant. tous les fens à l'homme, il ne lui ref teroit plus rien, pour pouvoir juger de quoi que ce fût; il eft par conféquent impoffible qu'il juge, que par les fens, de ce qui eft conforme à la nature, ou de ce qui lui eft contraire. Et cela étant,

peut-il avoir quelque perception, peutil faire quelque forte de jugement, qui le puiffe porter à rechercher autre chofe que la volupté, & à fuir autre chofe que la douleur ?

Il y a des gens parmi nous, qui pouffent cela encore plus loin, & qui difent que ce n'eft pas feulement par les fens, qu'on juge de ce qui eft bon, & de ce qui eft mauvais; mais qu'on peut connoître auffi par l'efprit, & par la raifon, que la volupté eft d'elle-même à rechercher, & que la douleur eft auffi d'elle-même à craindre: & qu'ainfi la recherche de l'une, & la fuite de l'autre viennent de l'impreffion, que tous les efprits ont reçûë de la nature. D'autres, de l'avis defquels je fuis, voyant, que tant de grands Philofophes foû-: tiennent, qu'il ne faut mettre ni la volupté au rang des biens, ni la douleur au rang des maux, difent, qu'il ne faut pas tant fe repofer für la bonté de notre caufe, qu'on n'examine avec foin tout ce qui fe peut dire fur la volupté, & fur la douleur. Mais pour vous faire toutà-fait connoître d'où vient l'erreur de ceux qui blâment la volupté, & qui louënt en quelque forte la douleur, je vais vous explique: toutes chofes, &

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vous faire voir tout ce qui a été dit làdeffus par l'inventeur de la vérité, & pour ainfi dire, par l'architecte de la vie heureuse.

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Perfonne, dit-il, ne craint & ne fuit la volupté, parce que c'eft la volupté, mais parce qu'elle attire de grandes douleurs à ceux qui ne favent pas en faire un ufage modéré & raifonnable; & perfonne n'aime & ne recherche la douleur comme douleur, mais mais parce qu'il arrive quelquefois que par le travail & par la peine on parvient à joüir d'une grande volupté. Car, pour defcendre jufques aux petites chofes : qui de vous ne fait point quelque exercice pé-nible, pour en retirer quelque forte d'utilité? Et qui pourroit justement blâmer,ou celui qui rechercheroit une volupté, qui ne pourroit être fuivie de rien de fâcheux; ou celui qui éviteroit une douleur, dont il ne pourroit efpérer aucun plaifir?

Tout au contraire, nous blämons avec raison, & nous croyons dignes de mépris & de haine ceux qui fe laiffant corrompre par les attraits d'une volupté préfente, ne prévoient pas à combien de maux & de chagrins une paffion aveugle les peut expofer. J'en dis autant

'de ceux qui par molleffe d'efprit, c'eftà-dire, par la crainte de la peine & de la douleur, manquent aux devoirs de la vie. Et de tout ce que je dis ici, il est très-facile d'en rendre raifon. Car, lorf que nous fommes tout-à-fait libres, & que rien ne nous empêche de faire ce qui peut nous donner le plus de plaifir, on peut fe livrer entierement à la volupté, & chaffer toute forte de douleur; mais dans les temps deftinez aux devoirs de la fociété ou à la néceffité des affaires, fouvent il faut faire banqueroute à la volupté, & ne fe point refufer à la peine. La regle que tient en cela un homme fage, c'eft de renoncer à de légères voluptez pour en avoir de plus grandes, & de favoir fupporter des douleurs légères, pour en éviter de plus fâcheufes.

Qui m'empêchera, du fentiment dont je fuis là-deffus, de rapporter à cela tour ce que vous avez dit de mes ancêtres ? Et ne croyez pas qu'en les loüant comme vous avez fait, avec tant de mar ques d'amitié pour moi, vous m'ayez corrompu, ni que vous m'ayez rendu moins délibéré à vous réfuter, Car de quelle maniére interprétez-vous ce qu'ils ont fait ? Quoi vous pouvez

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