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perdroient un temps infini à en faire. Mais apprenez-moy, je vous prie, s'il y a auffi des Veuves dans les autres païs? Bon, s'il y en a, répondit le Diable; il y en a par tout, & principalement en France; mais il faut avoir un mérite reconnu pour y en trouver. Et je vous diray à ce fujet qu'à Paris ces jours paffez un Chevalier d'induftrie s'entretenant là-deffus avec un de fes amis, lui difoit Parbleu, mon cher, il faut que je fois bien malheureux ! Il y a quinze jours entiers que je cherche une femme tributaire. Je parcours tous les matins les Eglifes. L'aprés-dînée, j'épluche toutes les beautez des Tuilleries. Je me montre à l'Opera. Je parois tout débraillé à la Comedie, où tantôt je me cou-, che fur les bancs du Theâtre & tantôt je me tiens debout derriere les Acteurs. Cependant tout cela ne me mene à rien. Je n'ay pas même encore trouvé une bonne fortune fexagenaire. Tandis que les plus jeunes &

les.

les plus aimables perfonnes de Paris font en proye au Chevalier de Tiremailles, qui n'a, fans vanité, nima taille, ni ma jeuneffe. Oh, ne t'y trompe pas, interrompit fon ami! le Chevalier de Tiremailles eft un fameux libertin. Il a ruiné deux femmes. Il a eu des affaires d'éclat. Il a la meilleure éputation du monde.

Qu'entens-je, s'écria l'Ecolier? quel bruit confus frappe les airs? Ce font des foux qui s'égofillent à crier & à chanter, répondit le Diable. Nous ne fommes pas bien loin du lieu où on les tient enfermez. Hé, de grace, faites-les. moy voir, repliqua Dom Cleofas, & me dites pourquoy ils font devenus foux. Je vais, repar tit le Demon, vous donner ce divertiffement. Il y a des foux triftes. Ily en a de guais. Vous en verrez de toutes les façons. Il n'eut pas achevé ces paroles, qu'il emporta l'Ecolier fur le toit de la Casa de los locos.

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CHAPITRE X.

Des Foux enfermez.

Darius toutes

Oм Cleofas parcourut d'un œil curieux toutes les loges, & aprés qu'il eut obfervé les foux, le Demon lui dit : Examinons toutes ces perfonnes l'une aprés l'autre. Suivons le rang des loges & commençons par les hommes. Je vais vous dire par quel malheur ils ont perdu l'efprit.

Dans la premiere loge eft un Nouvellifte devenu fou de chagrin pour avoir lû dans la Gazette qu'un parti de cinquante Portugais avoit battu trente Espagnols. Il a pour voifin un Licencié qui avoit tant d'envie d'attraper un Benefice, qu'il a fait l'hypocrite à la Cour pendant dix ans. Et le defespoir de fe voir toujours oublié dans les promotions, lui a brouillé la cervelle.

Celui qui fuit eft un pupile que fon tuteur a fait paffer pour fou, dans le deffein de s'emparer de fon bien, & le pauvre garçon l'eft devenu effectivement de regret de fe voir enfermé. Aprés celui là, c'eft un Maître d'Ecole qui a perdu l'efprit en cherchant le Paulo post futurum d'un verbe grec.

Le perfonnage que vous voyez enfuite eft le vieux Capitaine Zanubio, un Cavalier Napolitain qui s'eft venu établir à Madrid. La jaloufie l'a rendu fou. Apprenez fon hiftoire. Il avoit une jeune femme nommée Aurore. Il la gardoit à vûë. Sa maison étoit inacceffible aux hommes. Aurore ne fortoit jamais que pour aller à la Mefle, & elle étoit toujours accompagnée de fon vieux Thiton, qui la menoit quelquefois à une terre qu'il a auprés d'Alcantara. Cependant un Cavalier appellé Dom Garcie Pacheco l'ayant vûë par hazard à l'Eglife, avoit conçu pour elle un amour violent. C'étoit un jeune hom

me

me entreprenant & digne de l'attention d'une jolie femme mal mariée.La difficulté de s'introduire chez Zanubio ne lui en ôta pas l'efperance. Comme il n'avoit point encore de barbe & qu'il étoit affez beau garçon, il fe déguifa en fille, prit une bourse de cent piftolles & fe rendit à la terre de Zanubio où il avoit fcû de bonne part que ceCapitaine & fa femme devoient aller inceffamment.

Il s'adreffa à la Jardiniere, & lui dit d'un ton d'Heroïne de Chevalerie: Je viens me jetter entre vos bras. Je vous prie d'avoir pitié de moy. Je fuis une fille de Tolede. J'ay de la naiffance & du bien. Mes parens me veulent marier avec un homme que je hais. Je me fuis dérobée la nuit à leur tyrannie. J'ay befoin d'un azile. On ne viendra point me chercher ici. Permettez que j'y demeure jufqu'à ce que ma famille ait pris de plus doux fentimens pour moy. Voilà ma bourfe, ajouta-t'il, en la

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