Je brûle & je pleure fans ceffe, fans que mes pleurs puiffent éteindre mes feux, ni mes feux confumer mes larmes. C'eft ainfi que parle un Cavalier Efpagnol, quand il eft maltraité de fa Dame; & voicy comme un François s'exprimoit en pareil cas ces jours paffez. L'objet qui regne dans mon cœur Eft toujours infenfible à mon amour fi delle s Mes foins, mes foupirs, ma langueur Ne fçauroient attendrir cette beauté cruelle. O Ciel! eft-il un fort plus affreux que le mien? Ah, puifque je ne puis lui plaire, Jerenonce au jour qui m'éclaire. Venez, mes chers Amis, m'enterrer chez Payen. H 6 Payen Payen eft apparemment un Traiteur, dit Dom Clcofas. Vous l'avez deviné repondit le Diable. Venons préfentement aux femmes. Comment donc, s'écria l'Ecolier! je n'en vois que cinq ou fix; il y a moins de folles que je ne croyois. Toutes les folles ne font pas ici, dit le Demon. Dans un autre quartier de cette Ville, il y a un endroit qui en est tout plein. Je vous y porteray tout-à-l'heure, fi vous voulez. Non, non, repliqua Dom Cleophas, je me contenteray de voir celles-cy. Apprenez. moy la caufe de leurs folies. La premiere, reprit Afmodée, eft une vieille Marquife qui aimoit un jeune Officier qui fervoit en Flandres. Elle lui avoit donné une groffe fomme pour faire fa Campagne. Elle s'avifa de confulter une Devinereffe pour favoir ce qu'il faifoit. La Devinereffe le lui montra dans un verre. La Marquife le vit aux genoux d'une jeune Flamande, & elle en a perdu l'efprit. La La feconde eft la femme d'un Corregidor à qui la rage d'avoir été appellée Bourgeoise par une femme de la Cour a troublé la raison. La troiGéme eft une Procureufe qui preffoit fon mari de lui acheter une croix de diamants de dix mille ducats. Il n'en a voulu rien faire. Elle en eft devepuë folle. Aprés la Procureuse est une Coquette à qui la tête a tourné de dépit d'avoir manqué un grand Seigneur, dont elle avoit médité la ruine. Dans ces deux petites loges au deffous de ces Dames,il y a deux Ser vantes qui ont perdu l'efprit. L'une de douleur de n'être pas fur le Teftament d'un vieux garçon qu'elle a fervi; & l'autre de joye, en apprenant la mort d'un riche Tréforier dont elle eft unique heritiere. Aprés vous avoir montré les foux. qui font enfermez, poursuivit le Diabie, il faut que je vous en fafle vcir qui meriteroient de l'être.. CHAPITRE XI. Qui devroit être plus long que le precedent. Tournons-nous du côté de la Ville, & à mesure que je découvriray des fujets dignes d'être mis au nombre de ceux qui font icy, je vous en diray le caractere. J'en vois déja un que je ne veux pas laiffer échapper. C'est un nouveau marié. Il y a huit jours que fur le rapporr qu'on lui fit des coquetteries d'une Avanturiere qu'il aimoit, il alla chez elle tout en fureur, brifa une partie de fes meubles, jetta l'autre par les feneftres, & le lendemain il l'époufa. Un homme de la forte, dit Dom Cleofas, me rite affurément la premiere place cante en cette maifon. Il a un voifin, reprit le Demon, que je ne trouve pas plus fage que luy. C'est un garçon de quarante cinq ans qui a dequoi vivre, & qui veut fe fe mettre au fervice des Grands. J'apperçois la Veuve d'un Jurifconfulte. Elle a foixante ans paffez, la bonne Dame. Son mari vient de mourir. Elle s'eft retirée dans un Couvent afin que fa reputation foit, dit-elle, à l'abri de la médifance. Je découvre auffi deux pucelles, deux filles, dis-je, de cinquante ans qui font des voeux au Ciel pour qu'il leur enleve leur pere qui les tient enfermées comme des mineures. Elles efperent qu'aprés fa mort elles trouveront de jolis hommes qui les épouseront par inclination.Pourquoi non, dit l'Ecolier? Il y a des hommes d'un goût fi bizarre ! J'en demeure d'accord, repartit le Diable; elles peuvent trouver des époufeurs, mais elle ne doivent pas s'en flatter. C'eft en cela que confifte leur folic. Il n'y a point de païs où les femmes fe rendent juftice fur leur âge. Il y a un mois qu'à Paris une fille de quarante-huit ans & une femme de foixante-neufallerent chez un ComH 7 miffai |