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brûler, ou du moins de les laiffer périr avec luy, il les fait imprimer de fon vivant, de peur qu'aprés fa mort fes heritiers ne foient tentez de les mettre au jour, & que par respect pour fon caractere, ils n'en ôtent tout le fel & l'agrément.

Je découvre dans le voifinage de ce Licencié un des meilleurs Auteurs que vous ayez. C'eft un excellent efprit. Ses ouvrages font pleins de fel Attique. Ils font parfemez de pensées fines & brillantes. Il a des tours neufs; des expreffions hardies & toujours heureuses. Paffons à fon voifin. C'eft un homme... Eh n'allez pas fi vite, interrompit avec précipitation Dom Cleofas. Vous ne dites que du bien de cet Auteur, & vous me le montrez avec des foux. Ah, il eft vray, reprit le Diable, j'oubliois fon défaut. Quand il lit fes pieces, il s'arrête à tous les endroits qui luy paroiffent mériter des applaudiffemens, pour laiffer à fes Auditeurs le temps de lui en donner, & pour en favou

rer

rer lui-même toute la douceur.

Regardez dans cet Hôtel à main droite ces trois perfonnes qui prennent ensemble du chocolat. L'un eft un Comte qui fe picque d'aimer les belles Lettres: l'autre eft fon frere le Licencié ; & le troifiéme eft un bel efprit attaché à eux. Ils ne fe quittent prefque point. Ils vont tous trois par tout en vifite. Le Comte n'a foin que de fe loüer. Son frere le loue & fe loüe auffi luy- même. Mais le bel efprit eft chargé de trois foins, de les louer tous deux & de mêler fes louanges avec les leurs.

J'allois paffer une petite femme que je démêle dans une petite maifon. Elle eft fort entêtée de fon petit mérite. Elle fait une lifte de fes Amans, fur laquelle elle met generalement tous les hommes qui lui parlent. Je vois à deux pas de là un riche Bachelier qui a une folie fort finguliere. S'il vit frugalement, ce n'eft ni par mortification, ni par fobrieté. C'eft pour amaffer du bien. Qu'en

Qu'en veût-il faire? des aumônes? non. Il en achette des tableaux, de riches meubles, des bijoux. Ce n'eft pas pour en jouir pendant fa vie : mais uniquement pour en parer fon inventaire. Ce que vous me dites eft outré, interrompit Dom Cleofas. Y at'il un homme au monde de ce caractere-là? Oui, vous dis-je, reprit le Demon, il a cette manie. A-t'il acheté, par exemple, un beau bu, reau, il le fait empacqueter propre, ment & ferrer dans un garde-meuble, afin qu'il paroiffe tout neuf aux yeux des frippiers qui viendront le marchander aprés fa mort. Enfin, il fe fait un plaifir de penser que l'on admirera fon inventaire.

Il demeure chez ce Bachelier un Auteur qui réuffit dans un genre d'écrire fort férieux. Il n'eft propre qu'à ce qu'il fait. Cependant il fe croit propre à tout; & il ne veut point faire de Comedies, parce que fon Comique feroit, dit-il, trop fin pour affecter le Parterre. S'il difoit trop

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froid, je me garderois bien de mettre parmi les foux un homme fi raifonnable.

Je ne finirois point, Seigneur Ecolier, continua le Diable, fij'entreprenois de vous montrer tous les hommes qui mériteroient d'être enfermez. Ainfi, pour varier le plaifir que je veux vous donner, je vais vous porter ailleurs & vous faire observer d'autres objets. Mais avant que de quitter le lieu où nous fommes, il faut que je vous parle encore d'un certain Auteur que je viens d'appercevoir. C'est un homme qui poffede les Auteurs Grecs & Latins. Il emprunte d'eux toutes les pensées qu'il met dans fes Ouvrages. Cependant ilfe croit original, & il ne traitte de Plagiaires, que les Auteurs qui pillent Lope ou Calderon.

CHA

CHAPITRE XII.

Des Tombeaux.

A Smodée voulant faire voir de

nouvelles chofes à Dom Cleofas, l'emporta dans un autre quartier de la Ville. Ils fe poferent fur une haute Eglife remplie de Maufolées. Continuons d'ici nos observations, dit le Diable; mais avant que de poursuivre l'examen des vivans, troublons pour quelques momens le repos des morts de cette Eglife. Parcourons tous ces tombeaux. Dévoilons ce qu'ils recelent. Voyons ce qui les a fait élever.

Le premier de ces huit tombeaux que vous appercevez à main droite, renferme le corps d'un jeune Amant mort de chagrin de n'avoir pas remporté le prix d'une courfe de bague. Dans le fecond, eft un avare qui s'eft laiffé mourir de faim; & dans le troifiéme, fon heritier mort deux ans aprés

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