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Dom Cleofas, nous a menez un peu loin. Il est déja grand jour. Je commence à découvrir du monde dans les ruës. J'ay peur que l'on ne nous apperçoive fur cette Eglife. Si la populace vient une fois à remarquer la figure de vôtre Seigneurie, nous allons entendre des huées qui ne finiront pas fi-tôt. L'on ne nous verra point, répondit le Diable: j'ay le même pouvoir que les Divinitez des Poëtes; & tout ainfi que Jupiter fur le Mont Ida fe couvrit un jour d'un nuage pour cacher aux yeux de l'Univers les careffes qu'il vouloit faire à Junon, je vais former autour de nous une épaiffe vapeur que la vûë des hommes ne pourra percer & qui ne vous empêchera point d'obferver tout ce qui fe paffe dans le monde. En effet, ils furent tout à coup environnez d'une fumée, qui bien que des plus opaques, ne déroba rien aux yeux de l'Ecolier. Je vous prépare un nouveau plaifir, ajouta le Demon: Vous voïez un grand nombre de perP 2 fonnes

fonnes endormies; je vais vous dire les fonges qu'ils font.

Attendez,s'il vous plaift,interrompit D. Cleofas. Expliquez-moy aupa ravant pourquoi ces Dames que je dé couvre dans une petite maison font déja debout? Quelle raifon les oblige à fe lever de fi bon matin? Elles ne fe levent pas, répondit le Diable; car elles ne fe font point couchées. Elles ont paffé la nuit à fe divertir. Ilya eu affemblée chez elles. On y a chanté des Cantates. L'admirable concert! un Ecolier d'Alcala en a fait la Mufique; & les paroles font d'un homme de qualité qui compofe des Vers pour fon plaifir & pour le fupplice des au→ tres. Une Cornemufe & une Epinette formoient la fymphonie ; & ce qui vous paroîtra plus fingulier encore, c'eft qu'une jeune fille faifoit la baffe & un Chantre le deffus. O la plaifante chofe, s'écria D. Cleofas en riant de toute fa force! Si j'avois été de l'affemblée, je n'aurois pû m'empêcher de me mocquer d'un concert fi ridi

cu

cule. Eft ce que les auditeurs le trouvoient beau? Non, vrayement, repartit Afmodée. Il y avoit parmi eux des railleurs qui lançoient de temps en temps des traits fort malins. Mais venons, pourfuivit-il, aux fonges. Commençons par ce bel Hôtel à main droite; la Maître du logis que Vous voyez couché dans ce riche appartement eft un Comte liberal & débauché. Il rêve qu'il eft à la Comedie, qu'il entend chanter une jeune Actrice, & qu'il fe rend à la voix de cette Syrenne. Dans l'appartement paralelle, repofe la Comteffe fa femme.C'eft une lifeufe de Romans. Une tête pleine d'idées de Chevaleries. Elle fait un fonge affez plaifant. Elle rêve qu'elle eft Imperatrice de Trebifonde, qu'on l'accufe d'adultere, & que tous les Chevaliers qui fe préfentent pour foutenir fon innocence font vaincus par fes accufateurs.

Dans l'Hôtel le plus proche du même côté, demeure un Marquis amoureux d'une fameufe Coquette. Il rêve P 3 qu'il

qu'il emprunte une fomme confiderable pour lui en faire préfent;& fonIntendant couché dans une petite chambre au deffus, fonge qu'il s'enrichit à mesure que fonMaître fe ruine. On ne fait pas toujours des fonges extravagans, comme vous voyez.

Je voudrois bien favoir, interrompit l'Ecolier,qui eft un homme que je vois endormi la moustache en papillottes. C'est unGentilhomme de Province,répondit Afmodée;unVicomte Arragonois,un efprit vain & fier.Son ame en ce moment nage dans la joye; car il rêve qu'il eft avec un Grand qui lui céde le pas. Sije ne me trompe, dit D. Cleofas, j'apperçois dans la même maison un jeune homme qui rit en dormant. Vous ne vous trom. pez pas, repartit le Diable; c'eft un Bachelier qui fait auffi un fonge fort agreable. Il rêve qu'un Vieillard de fes amis épouse une jeune & belle perfonne. Mais je remarque à deux pas de là trois hommes qui font des fonges bien mortifians.

Le

Le premier eft un Souffleur qui rêve que l'on donne un Curateur à un Marquis dont il commence à fouffler le patrimoine. Les deux autres font deux freres Medecins. L'un rêve que l'on publie une Ordonnance de Police qui défend de payer les Medecins quand ils n'auront pas gueri leurs malades. Et fon frere fonge qu'il eft ordonné que les Medecins meneront le deuil à l'enterrement de tous les malades qui mourront entre leurs mains. Je voudrois, interrompit l'Ecolier, que cette derniere Ordonnance fuft véritable, & qu'un Medecin fe trouvast aux funerailles de fon malade, comme un Lieutenant Criminel affifte au fupplice d'un coupable qu'il a condamné.La comparaifon eft bonne, reprit le Demon. En ce cas là, l'on pourroit dire que l'un va faire. executer fa fentence, & que l'autre a déja fait executer la fienne.

Oh, oh, interrompit encore Dom Cleofas! qui eft ce Cavalier qui se frotte les yeux en fe levant avec préP 4

ci

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