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Si mon fils n'eût dompté l'orgueil de ce rebelle.
A Samos, par tes foins, j'en reçus la nouvelle.
Je peindrois mal ici les tranfports de mon cœur,
Lorfque j'appris d'un traître, Idamante vain-

queur,

La gloire de mon fils me caufa plus de joie,
Que ne firent jamais les dépouilles de Troie.
Après dix ans d'abfence, empreffé de revoir
Cet appui de mon trône, & mon unique espoir
A regagner la Crete auffitôt je mapprête,
Ignorant le péril qui menaçoit ma tête.
Sans que je te rappelle un honteux fouvenir,
Ni que de nos affronts je t'aille entretenir;
Tu fçais de quels forfaits ma race s'eft noircie.
Comme Pafiphaé, Phédre au crime endurcie,
Ne fignale que trop & Minos, & Venus :
Tous nos malheurs enfin te font affez connus,
Né de ce fang fatal, à la Déeffe en proie,
J'avois encore fur moi la querelle de Troie.
Juge de la vengeance à ce titre odieux.
Ce fut peu: de fa haine elle arma tous les Dieux.
La Crete paroiffoit, tout flattoit mon envie,
Je distinguois déja le Port de Cydonie.
Mais le Ciel ne m'offroit ces objets raviffans,
Que pour rendre toujours mes defirs plus preffans.
Une effroyable nuit, fur les eaux répandue,
Déroba tout à coup ces objets à ma vûe.
La mort feule y parut.... Le vaste fein des mers
Nous entr'ouvrit cent fois la route des enfers;
Par des vents oppofés les vagues ramassées,

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De l'abime profond jufques au Ciel pouffées,
Dans les airs embrafés, agitoient mes vaiffeaux,
Auffi prêts d'y périr, qu'à fondre fous les eaux.
D'un déluge de feux l'onde comme allumée,
Sembloit rouler fur nous une mer enflaminée;
Et Neptune en courroux, à tant de malheureux
N'offroit pour tout falut que des rochers affreux.
Que te dirai-je enfin... Dans ce péril extrême,
Je tremblai, Sophronyme, & tremblai pour

moi-même....

Pour apaifer les Dieux, je priai.... je promis.....
Non, je ne promis rien, Dieux cruels ! j'en fré-

mis...

Neptune, l'inftruinent d'une indigne foibleffe,
S'empara de mon cœur, & dicta la promeffe.
S'il n'en eût infpiré le barbare deffein,

Non, je n'aurois jamais promis de fang humain.
Sauve des malheureux fi voifins du naufrage,
Dieu puiffant, m'écriai - je, & rends - nous au
rivage;

Le premier des fujets rencontré par fon Roi,
A Neptune immolé fatisfera pour moi....
Mon facrilege vœu rendit le calme à l'onde;
Mais rien ne put le rendre à ma douleur pro-
fonde,

Et l'effroi fuccédant à mes premiers transports,
Je me fentis glacer en revoyant ces bords.
Je les trouvai déferts, tout avoit fui l'orage.
Un feul homme alarmé parcouroit le rivage :
Il fembloit de fes pleurs mouiller quelques débris.

J'en approche en tremblant.... hélas! c'étoit

mon Fils....

A ce récit fatal tu devines le refte.

Je demeurai fans force à cet objet funefte:
Et mon malheureux Fils cut le tems de voler
Dans les bras du cruel qui devoit l'immoler.

SOPHRONYME.

Ai-je bien entendu? quelle horrible promeffe! Ah, pere infortuné!

IDOME'N E' E.

Rebelle à ma tendreffe.

Je fus prêt d'obéir; mais Idamante enfin
Mit mon ame au-deffus des Dieux & du deftin,
Je n'envisageai plus le vœu, ni la tempête,
Je baignai de mes pleurs une fi chere tête.
Le Ciel voulut en vain me rendre furieux :
La nature à fon tour fit taire tous les Dieux.
Sophronyme, qui veut peut braver leur puif-
fance ;

Mais ne peut pas qui veut éviter leur vengeance.
A peine de la Crete eus-je touché les bords,
Que je la vis remplir de mourans & de morts.
En vain j'adreffe au Ciel une plainte importune:
J'ai trouvé tous les Dieux du parti de Neptune.

SOPHRONY ME.

Qu'efpérez-vous des Dieux en leur manquant

de foi?

IDOME' NE'E.

Que du moins leur courroux n'accablera que moi;

Que le Ciel fatigué d'une injuste vengeance,
Plus équitable enfin punira qui l'offense;
Que je ne verrai point la colere des Dieux
S'immoler par mes mains un fang fi précieux.

SOPHRONY ME.

Seigneur, à ce deffein vous mettez un obstacle :
Pourquoi par Egefippe interroger l'Oracle?
Vos peuples, informés du fort de votre fils,
Voudront de leur falut que fon fang soit le prix.

IDOME'NE' E.

Que le Ciel, que la Crete à l'envi le demandent, N'attends point que mes mains à leur gré le répandent.

l'interroge les Dieux...... Ce n'est pas fans frayeur.

L'Oracle eft trop écrit dans le fonds de mon

cœur.

J'interroge les Dieux ; que veux-tu que je fasse?

Pouvois-je à mes fujets refufer cette grace?
Un peuple infortuné m'en preffe par les cris:
J'ai réfifté long-tems, à la fin j'y foufcris.
Tu vois trop à quel prix il faut le fatisfaire.
Ne puis-je être fon Roi qu'en ceffant d'être
pere?

Mais pourquoi m'alarmer ? les Dieux pourroient parler

Non, les Dieux fur ce point n'ont rien à révéler. Que le Ciel parle ou non fur ce cruel mystere, Ne puis-je pas forcer Egefippe à fe taire ?

SOPHRONY ME.

Il fe tairoit en vain ; par le Ciel irrité,
Son filence, Seigneur, fera-t-il imité ?

A fe taire long-tems pourrez-vous le contraindre?

Que je prévois de maux ! Que vous êtes à plaindre!

IDOME'NE'E.

Tu me plains: mais malgré ta fincere amitié, Tu n'auras pas toujours cette même pitié. Quand tu fçauras les maux dont le deftin m'accable

Et que l'amo a part à mon fort déplorable.... Je vois à ce nom feul ta vertu s'alarmer:

Et la mienne a long-tems craint de t'en infor

mer.

Tu

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