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térieure, dit-il à l'Indien, je ne comprenois pas qu'il dût être confidéré autant que tu viens de me faire voir qu'il le mérite. Je t'ai obligation de m'avoir défabufé; & pour te marquer combien j'en fais d'eftime, je fuis prêts de l'acheter, s'il eft à vendre.

Sire, reprit l'Indien, je n'ai pas douté que Votre Majefté, qui paffe entre tous les Rois qui regnent aujourd'hui fur la terre, pour celui qui fçait juger le mieux de toutes chofes, & les eftimer felon leur juste valeur, rendroit à mon cheval la justice qu'elle lui rend, dès que je lui aurois fait connoître par où il étoit digne de fon attention. J'avois même prevû qu'elle ne fe contenteroit pas de l'admirer & de le louer, mais même qu'elle défireroit d'abord d'en être poffeffeur, comme elle vient de me le témoigner. De mon côté, Sire, quoique j'en connoiffe le prix, autant qu'on peut le connoître, & que fa poffeffion me donne un relief pour rendre mon nom immortel dans le monde, je n'y ai pas néanmoins une attache fi forte, que je ne veuille bien m'en priver pour fatisfaire la noble paffion de Votre Majefté. Mais en lui faifant cette déclaration, j'en ai une autre à lui faire touchant la condition fans laquelle je ne puis me réfoudre à le laiffer paffer en d'autres mains,qu'elle ne prendra peut-être pas en bonne part.

Votre Majefté aura donc pour agréable, continua l'Indien, que je lui marque que

je n'ai pas acheté ce cheval. Je ne Fai obtenu de l'inventeur & du fabricateur, qu'en lui donnant en mariage ma fille unique qu'il me demanda, & en même tems il exigea de moi que je ne le vendrois pas, & fi j'avois à lui donner un autre poffeffeur, ce feroit par un échange tel que je le jugerois à propos.

L'Indien vouloit pourfuivre, mais au mot d'échange le Roi de Perfe l'interrompit: Je fuis prêt, répartit-il, de t'accorder tel échange que tu me demanderas. Tu fçais que mon Royaume eft grand, qu'il eft rempli de grandes villes, puiffantes, riches & peuplées. Je laiffe à ton choix celle qu'il te plaira de choifir en pleine puiffance & fouveraineté pour le refte de tes jours.

Cet échange parut véritablement royal à toute la Cour de Perfe, mais il étoit fort au-deffous de ce que l'Indien s'étoit propofé. Il avoit porté fes vûes à quelque chofe de beaucoup plus relevé. Il répondit au Roi: Sire, je fuis infiniment obligé à Votre Majefté de l'offre qu'elle me fait, & je ue puis affez la remercier de fa générofité. Je la fupplie néanmoins de ne pas s'offenfer fije prends la hardieffe de lui témoigner que je ne puis mettre mon cheval en fa poffeffion, qu'en recevant de fa main la Princeffe fa fille pour époufe. Je fuis réfolu de n'en perdre la propriété qu'à ce prix.

Les Courtifans qui environnoient le Roj

de Perfe, ne purent s'empêcherent de faire un grand éclat de rire à la demande extravagante de l'Indien. Mais le Prince Firouz Schah, fils aîné du Roi, & héritier préfomptif du Royaume, ne l'entendit qu'avec indignation. Le Roi penfa tout autrement, & il crut qu'il pouvoit facrifier la Princeffe de Perfe à l'Indien pour fatisfaire fa curiofité. Il balança néanmoins, fçavoir s'il devoit prendre ce parti.

Le Prince Firouz Schah qui vit que le Roi fon pere héfitoit fur la réponse qu'il devoit faire à l'Indien, craignit qu'il ne lui accordât ce qu'il demandoit, chofe qu'il eut regardée comme également injurieufe à la dignité royale, à la Princeffe fa foeur & à fa propre perfonne. Il prit donc la parole, & en le prévenant : Sire, dit-il, que Votre Majesté me pardonne fi j'ofe lui demander s'il eft poffible qu'elle balance un moment fur le refus qu'elle doit faire à la demande infolente d'un homme de rien, & d'un bateleur infâme, & qu'elle lui donne lieu de fe flatter un moment qu'il va entrer dans l'alliance d'un des plus puiflans Monarques de la terre; je la fupplie de confidérer ce qu'elle fe doit non-feulement à foimême, mais même à fon fang, & à la haute nobleffe de fes ayeux.

Mon fils, reprit le Roi de Perfe, je prends votre remontrance en bonne part, & je vous fçai bon gré du zele que vous témoi

gnez pour vous conferver l'éclat de votre naiffance dans le même état que vous l'avez reçue; mais vous ne confiderez pas affez l'excellence de ce cheval, ni que l'Indien qui me propose cette voie pour l'acquérir, peut, fi je le rebute, aller faire la même propofition ailleurs, où l'on paffera pardeffus le point d'honneur, & que je ferois au défefpoir, fi un autre Monarque pouvoit fe vanter de m'avoir furpaffé en générofité, & de m'avoir privé de la gloire de pofféder le cheval que j'eftime la chose la plus finguliere & la plus digne d'admiration qu'il y ait au monde. Je ne veux pas dire néanmoins que je confente à lui accorder ce qu'il demande peut-être n'eft-il pas bien d'accord avec lui-même, fur l'exorbitance de fa prétention, & que la Princeffe ma fille à part, je ferai telle autre convention avec lui qu'il en fera content. Mais avant que je vienne à la derniere difcuffion du marché, je fuis bien-aise que vous examiniez le cheval, & que vous en faffiez l'etfai vous-même, afin que vous m'en difiez votre fentiment. Je ne doute pas qu'il ne veuille bien le permettre.

Comme il eft naturel de fe flatter dans ce que l'on fouhaite, l'Indien qui crut entrevoir dans le difcours qu'il venoit d'entendre, que le Roi de Perfe n'étoit pas abfolument éloigné de le recevoir dans fon alliance, en acceptant le cheval à ce prix, &

que le Prince au lieu de lui être contraire, comme il venoit de le faire paroître, pourroit lui devenir favorable, loin de s'oppofer au defir du Roi, en témoigna de la joie; & pour marque qu'il y confentoit avec plaifir, il prévint le Prince en s'approchant du cheval, prêt à l'aider à le monter, & l'avertir enfuite de ce qu'il falloit qu'il fît pour le bien gouverner.

Le Prince Firouz Schah, avec une adreffe merveilleufe, monta le cheval fans le fecours de l'Indien; & il n'eut pas plutôt le pied affuré dans l'un & l'autre étrier , que fans attendre aucun avis de l'Indien, il tourna la cheville qu'il lui avoit vû tourner peu de tems auparavant lorfqu'il l'avoit monté. Du moment qu'il l'eut retournée, le cheval l'enleva avec la même vîteffe qu'une fleche tirée par l'archer le plus fort & le plus adroit; & de la forte en peu de momens le Roi, toute la Cour, & toute la nom. breufe affemblée le perdirent de vûe.

Le cheval ni le Prince Firouz Schah ne paroiffoient plus dans l'air, & le Roi de Perfe faifoit des efforts inutilement pour l'appercevoir, quand l'Indien allarmé de cet qui venoit d'arriver, fe profterna devant le trône & obligea le Roi de jetter les yeux fur lui, & de faire attention au difcours qu'il lui tint en ces termes: Sire, dit-il, Votre Majesté elle-même a vû que le Prince ne m'a pas permis par fa promptitude de lui

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