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te; & en prêtant l'oreille, il n'entendit d'au tre bruit que des gens qui dormoient profon dement, & qui ronfloient en différentes manieres. Il avança un peu dans la falle; & à la lumiere d'une lanterne, il vit il vit que ceux qui dormoient étoient des eunuques noirs, chacun avec le fabre nud près de foi, & cela lui fit connoître que c'étoit la garde de l'appartement d'une Reine ou d'une Prin ceffe, & il fe trouva que c'étoit celui d'une Princeffe.

La chambre où couchoit la Princeffe

fuivoit après cette falle, & la porte qui étoit ouverte le faifoit connoître à la grande lumiere dont elle étoit éclairée, qui fe laif foit voir au travers d'une portiere d'uné é toffe de foye fort légere.

Le Prince Firouz Schah s'avance jusqu'à la portiere, le pied en l'air, fans éveiller les cunuques. Il l'ouvrit, & quand il fut entré, fans s'arrêter à confidérer la magnifi cence de la chambre, qui étoit toute royale, circonftance qui lui importoit peu dans l'état où il étoit, il ne fit attention qu'à ce qui lui importoit davantage. Il vit plufieurs lits, un feul fur le fofa, & les autres au bas. Des femmes de la Princeffe étoient couchées dans ceux-ci pour lui tenir compagnie, & l'affifter dans fes befoins, & la Princeffe dans le premier.

A cette diftinction, le Prince Firouz Schah ne fe trompa pas dans le choix qu'il avoit

à faire pour s'adreffer à la Princeffe ellemême. Il s'approcha de fon lit fans l'éveiller, ni pas une de fes femmes. Quand il fut affez près, il vit une beauté fi extraordinaire & fi furprenante, qu'il en fut charmé & enflammé d'amour dès la premiere vûe. Ciel ! s'écria-t-il en lui même, ma destinée m'a-t-elle amené en ce lieu, pour me faire perdre ma liberté que j'ai confervée entiere jufqu'à préfent? Ne dois-je pas m'attendre à un esclavage certain, dès qu'elle aura ouvertles vert les yeux, fi ces yeuxcomme je dois m'y atrendre, achevent de donner le luftre & la perfection à un affemblage d'attraits & de charmes fi merveilleux Il faut bien m'y refoudre, puifque je ne puis reculer fans me rendre homicide de moi-même, & que la néceffité l'ordonne ainfi.

En achevant ces réflexions, par rapport à l'état où il fe trouvoit & à la beauté de la Princeffe, le Prince Firouz Schah fe mit fur les deux genoux, & en prenant l'extrémité de la manche pendante de la chemise de la Princeffe, d'où fortoit un bras blanc comme de la neige & fait au tour, il l'a tira fort légerement.

La Princeffe ouvrit les yeux; & dans la furprise où elle fut de voir devant elle un homme bien fait, bien mis, & de bonne mine, elle demeura interdite, fans donner néanmoins aucun figne de frayeur ou d'é pouvante,

Le Prince profita de ce moment favora ble; il baiffa la tête prefque jufques fur le tapis de pied, en la relevant: Refpectable Princeffe, dit-il, par une avanture la plus extraordinaire & la plus merveilleuse qu'on puiffe imaginer, vous voyez à vos. pieds un Prince fuppliant, fils du Roi de Perfe, qui fe trouvoit hier au matin près du Roi fon pere, au milieu des réjouiffances d'une fête folemnelle, & qui se trouve à l'heure qu'il eft dans un pays inconnu, où il eft en danger de périr, fi vous n'avez la bonté & la générofité de l'affifter de votre fecours & de votre protection. Je l'implore cette protection, adorable Princeffe, avec la confiance que vous ne me la refu ferez pas. J'ofe me le perfuader avec d'autant plus de fondement, qu'il n'eft pas poffible que l'inhumanité fe rencontre avec tant de beauté, tant de charmes & tant de majefté.

"

La Princeffe, à quile Prince Firouz Schah s'étoit adreffé fi heureusement, étoit la Princeffe de Bengale, fille aînée du Roi du Royaume de ce nom, qui lui avoit fait bâtir ce Palais, peu éloigné de la capitale, où elle venoit fouvent prendre le divertiffe ment de la campagne. Après qu'elle l'eut écouté avec toute la bonté qu'il pouvoit defirer, elle lui répondit avec la même bonté Prince, dit-elle, raffurez-vous vous n'êtes pas dans un pays barbare; l'hof

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pitalité, l'humanité & la politeffe, ne regnent pas moins dans le Royaume de Ben gale, que dans le Royaume de Perfe. Ce: n'eft pas moi qui vous accorde la protection que vous me demandez; vous l'avez trouvée toute acquife non-feulement dans mon Palais, mais même dans tout le Royaume, vous pouvez m'en croire & vous fier à ma parole. Le Prince de Perfe vouloit remercier la Princeffe de Bengale de fon honnêteté, de la grace qu'elle venoit de lui accorder fi obligeamment, & il avoit déja baiffé la tête fort bas pour lui en faire fon compliment, mais elle ne lui donna pas le tems de parler: quelque forte envie, ajoûta-t-elle, que j'aye d'apprendre de vous par quelle merveille vous avez mis fi peu de tems à venir de la capitale de Perfe, & par quelle enchantement vous avez pû pénétrer jufqu'à vous préfenter devant moi fi fecretement, que Vous avez trompé la vigilance de ma garde. Comme néanmoins il n'eft pas poffible que vous n'ayez befoin de nourriture, & qu'en vous regardant en qualité d'un hôte qui eft le bien venu, j'aime mieux remettre ma curiofité à demain matin, & donner or dre à mes femmes de vous loger dans une de mes chambres, de vous y bien régaler, & de vous y laiffer repofer & délaffer, jufqu'à ce que vous foyez en état de fatisfaire ma curiofité, & moi de vous entendre..

Les femmes de la Princeffe qui s'étoiens

éveillées dès les premieres paroles que le Prince Firouz Schah avoit adreffées à la Princeffe leur maîtreffe, avec un étonnement d'autant plus grand de le voir au chevet du lit de la Princeffe, qu'elles ne concevoient comment il avoit pû y arriver fans les éveiller ni elles ni les eunuques. Ces femmes, dis-je, n'eurent pas plutôt compris l'intention de la Princeffe, qu'elles s'habillerent en diligence, & qu'elles furent prêtes d'exécuter fes ordres dans le moment qu'elle les leur eut donnés. Elles prirent chacune une des bougies en grand nombre, qui éclairoient la chambre de la Princeffe; & quand le Prince eut pris congé en fe retirant très-refpectueufement, elles marcherent devant lui & le conduifirent dans une très-belle chambre, où les unes lui préparent un lit, pendant que les autres allerent à la cuifine & à l'office.

Quoiqu'à une heure indue, ces dernieres femmes néanmoins de la Princeffe de Bengale ne firent pas attendre long-tems le Prince Firouz Schah. Elles apporterent plufieurs fortes de mets en grande affluence. Il choifit ce qu'il lui plût; & quand il eut mangé fuffifamment, felon le befoin qu'il en avoit, elles deffervirent, & le laifferent en liberté de fe coucher, après lui avoir mon. tré plufieurs armoires où il trouveroit toutes les chofes qui pouvoient lui être néceffaires.

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