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mari & à moi eft fi grand, que je vous promets tout le poiffon que mon mari amenera du premier jet de fes filets, & je vous affure qu'il ne me dédira pas.

Le pêcheur ravi d'avoir trouvé contre fon espérance, le plomb qui lui manquoit, approuva la promeffe que fa femme nous avoit faite. Je vous fçai bon gré, dit-il, d'avoir fuivi en cela mon intention. Il acheva d'accommoder fes filets, & il alla à la pêche deux heures devant le jour, felon fa coutume. Il n'amena qu'un feul poiffon du premier jet de fes filets, mais long de plus 'une coudée, & gros à proportion. Il en fit enfuite plufieurs autres qui furent tous heureux; mais il s'en fallut de beaucoup que de tout le poiffon qu'il amena, il y en eût un feul qui approchât du premier.

Quand le pêcheur ent achevé fa pêche, & qu'il fut revenu chez lui, le premier foin qu'il eut fut de fonger à moi; & je fus extrêmement furpris, comme je travaillois, de le voir se préfenter devant moi chargé de ce poiffon. Voisin, me dit-il, ma femme vous a promis cette nuit le poiffon que j'amenerois du premier jet de mes filets en reconnoiffance du plaifir que vous nous avez fait, & j'ai approuvé fa promeffe. Dieu ne m'a envoyé pour vous que celui-ci, je vous prie de l'agréer; s'il m'en eût envoyé plein mes filets, ils euffent de même tous été pour vous. Acceptez-le, je vous prie, tel qu'il

eft, comme s'il étoit plus confidérable. Voifin, repris-je, le morceau de plomb que je vous ai envoyé est si peu de chose qu'il ne méritoit pas que vous le miffiez à un fi haut prix. Les voisins doivent fe fecourir les uns les autres dans leurs petits befoins; je n'ai fait pour vous que ce que je pouvois en attendre dans une occafion femblable. Ainfi je refuferois de recevoir votre préfent, fi je n'étois perfuadé que yous me le faites de bon coeur ; je croirois même vous offenfer fi j'en ufois de la forte. Je le reçois donc puifque vous le vous lez ainfi, & je vous en fais mon remercie

ment.

Nos civilités en demeurerent-là, & je portai le poiffon à ma femme. Prenez, lui dis-je, ce poiffon que le pêcheur notre voifin vient de m'apporter, en reconnoiffance du morceau de plomb qu'il nous envoya demander la nuit derniere. C'est, je crois, tout ce que nous pouvons efpérer de ce préfent que Saad me fit hier, en me promettant qu'il me porteroit bonheur. Ce fut alors que je lui parlai du retour des deux amis, & de ce qui s'étoit paffé entr'eux & moi.

Ma femme fut embarraffée de voir un poiffon fi grand & fi gros: Que voulezvous, dit-elle, que nous en faffions? Notre gril n'eft propre qu'à rôtir de petits poiffons; & nous n'avons pas de vafe affez

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grand pour le faire cuir au court-bouillon. C'eft votre affaire, lui dis-je, accommodez-le comme il vous plaira, rôti ou bouilli j'en ferai content; & en difant ces paroles je retournai à mon travail. ...

En accommodant le poiffon, ma femme tira avec les entrailles un gros diamant qu'elle prit pour du verre, quand elle l'eut nettoyé. Elle avoit bien entendu parler de diamant ; & fi elle en avoit vû ou manié elle n'en avoit pas affez de connoiffance pour en faire la diftinction. Elle le donna au plus petit de nos enfans pour en faire un jouet avec fes freres & fes fœurs qui vouloient le voir & le manier tour-à-tour, en fe le donnant les uns aux autres pour en admirer la beauté, l'éclat & le brillant.

Le foir quand la lampe fut allumée, nos enfans qui continuoient leur jeu, en fe cédant le diamant pour le confidérer l'un après l'autre, s'apperçurent qu'il rendoit de la lumiere à mesure que ma femme leur cachoit la clarté de la lampe, en fe donnant du mouvement pour achever de préparer le foupé; & cela engageoit les enfans à fe l'arracher pour en faire l'expérience. Mais les petits pleuroient quand les plus grands ne leur laiffoient pas autant de tems qu'ils vouloient, & ceux-ci étoient contraints de le leur rendre pour les appaifer.

Comme peu de chofe eft capable d'amufer les enfans, & caufer de la difpute entre

eux, & que cela leur arrive ordinairement, ni ma femme ni moi nous ne fîmes pas d'attention à ce qui faifoit le fujet du bruit & du tintamarre dont ils nous étourdiffoient. Ils cefferent enfin quand les plus grands fe furent mis à table pour souper avec nous, & que ma femme eut donné aux plus petits chacun leur part.

Après le foupé, les enfans fe raffemblerent, & ils recommencerent le même bruit qu'auparavant. Alors je voulus fçavoir quelle étoit la caufe de leur dispute : j'appellai l'aîné, & je lui demandai quel fujet ils avoient de faire ainfi grand bruit. Il me dit: mon pere, c'est un morceau de verre qui fait de la lumiere quand nous le regardons le dos tourné à la lampe. Je me le fis apporter, & j'en fis l'expérience.

Cela me parut extraordinaire, & me fit demander à ma femme ce que c'étoit que ce morceau de verre : je ne fçai, dit-elle, c'est un morceau de verre que j'ai tiré du ventre du poiffon en le préparant.

Je ne m'imaginai pas non plus qu'elle que ce fût autre chofe que du verre. Je pouffai néanmoins l'expérience plus loin; je dis à ma femme de cacher la lampe dans la che minée: elle le fit, & je vis que le prétendu morceau de verre faifoit une lumiere fi grande, que nous pouvions nous paffer de la lampe pour nous coucher. Je la fis éteindre, & je mis moi-même le morceau de

verre fur le bord de la cheminée pour nous éclairer. Voici, dis-je, un autre avantage que le morceau de plomb que l'ami de Saadi m'a donné nous procure, en nous épargnant d'acheter de l'huile.

Quand mes enfans virent que j'avois fait éteindre la lampe, & que le morceau de verre y fuppléoit; fur cette merveille ils poufferent des cris d'admiration fi haut & avec tant d'éclat, qu'ils retentirent bien loin dans le voisinage.

Nous augmentâmes le bruit ma femme & moi, à force de crier pour les faire taire, & nous ne pûmes le gagner entierement fur eux que quand ils furent couchés & qu'ils fe furent endormis, après s'être entretenus un tems confidérable à leur maniere de la lumiere merveilleufe du morceau de verre.

Nous nous couchâmes après eux, ma femme & moi; & le lendemain de grand matin, fans penser davantage au morceau de verre, j'allai travailler à mon ordinaire. Il ne doit pas être étrange que cela foit arrivé à un homme comme moi, qui étois accoutumé à voir du verre, & qui n'avois jamais vû de diamant ; & fi j'en avois vû, je n'avois pas fait d'attention à en connoître la valeur.

Je ferai remarquer à Votre Majesté en cet endroit, qu'entre ma maison & celle de mon voifin la plus prochaine, il n'y avoit

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