Imágenes de páginas
PDF
EPUB

qu'une cloison de charpente & de maçonnerie fort légere, pour toute féparation. Cette maison appartenoit à un Juif fort riche, jouaillier de profeffion, & la chambre où lui & fa femme couchoient joignoit à la cloifon. Ils étoient déja couchés & endormis quand mes enfans avoient fait le plus grand bruit cela les avoit éveillés, & ils avoient été long-tems à fe rendormir.

la

Le lendemain la femme du Juif, tant de part de fon mari qu'en fon propre nom, vint porter fes plaintes à la mienne de l'interruption de leur fommeil dès le premier fomme. Ma bonne Rachel, c'est ainfi que s'appelloit la femme du Juif, lui dit ma femme, je fuis bien fâchée de ce qui eft arrivé, & je vous en fais mes excufes. Vous fçavez ce que c'est que les enfans; un rien les fait rire, de même que peu de chofe les fait pleurer. Entrez, & je vous montrerai le fujet qui fait celui de vos plaintes.

La Juive entra, & ma femme prit le dia mant, puifqu'enfin c'en étoit un, & un d'u ne grande fingularité. Il étoit encore fur la cheminée. & en le lui préfentant: voyez, dit-elle, c'est ce morceau de verre qui eft caufe de tout le bruit que vous avez entendu hier au foir. Pendant que la Juive, qui avoit connoiffance de toutes fortes de pierreries, examinoit ce diamant avec admiration; elle lui raconta comment elle l'avoit trouvé dans le ventre du poiffon,

& de tout ce qui en étoit arrivé.

Quand ma femme eut achevé, la Juive qui fçavoit comment elle s'appelloit: Aifhach, dit-elle, en lui remettant le diamant entre les mains, je crois comme vous que ce n'eft que du verre; mais comme il est plus beau que le verre ordinaire, & que j'ai un morceau de verre à peu-près femblable dont je me pare quelquefois, & qu'il y feroit un accompagnement, je l'acheterois fi vous vouliez me le vendre.

Mais enfans qui entendirent parler de vendre leur jouet, interrompirent la converfation en se récriant contre, en priant leur mere de le leur garder; ce qu'elle fut contrainte de leur promettre pour les appaifer.

La Juive obligée de se retirer fortit; & avant de quitter ma femme qui l'avoit accompagnée jufqu'à la porte, elle la pria, en parlant bas, fi elle avoit deffein de vendre le morceau de verre, de ne le faire voir à perfonne qu'auparavant elle ne lui en eût donné avis.

[ocr errors]

Le Juif étoit allé à fa boutique de grand matin, dans le quartier des Jouailliers. La Juive alla l'y trouver, & elle lui annonça la découverte qu'elle venoit de faire; elle lui rendit compte de la groffeur, du poids àpeu-près, de la beauté, de la belle eau & de l'éclat du diamant, & furtout de fa fingularité, qui étoit de rendre de la lumiere

la nuit, fur le rapport de ma femme, d'autant plus croyable qu'il étoit naïf.

Le Juif renvoya fa femme avec ordre d'en traiter avec la mienne, de lui en offrir d'abord peu de chofe, autant qu'elle le jugeroit à propos, & d'augmenter à proportion de la difficulté qu'elle trouveroits; & enfin de conclure le marché à quelque prix que ce fût...

La Juive, felon l'ordre de fon mari, parla à ma femme en particulier, fans attendre: qu'elle fe fût déterminée à vendre le diamant, & elle lui demanda fi elle en vouloit vingt pieces d'or : pour un morceau de verre, comme elle le penfoit, ma femme trouva la fomme confidérable. Elle ne voulut répondre néanmoins ni oui, ni non; elle dit feulement à la Juive, qu'elle ne pouvoit l'écouter qu'elle ne m'eût parlé aupa

ravant.

、,་,

Dans ces entré-faites je venois de quitter mon travail, & je voulois rentrer chez moi pour dîner, comme elles fe parloient à la porte. Ma femme m'arrête, & me demande fi je confentois à vendre le morceau de verre qu'elle avoit trouvé dans le ventre du poisson, pour vingt pieces d'or que la Juive notre voifine en offroit.

Je ne répondis pas fur le champ : je fis rés flexion à l'affurance avec laquelle Saad m'avoit promis en me donnant le morceau de plomb, qu'il feroit ma fortune; & la Juive

crut que c'étoit en méprifant la fomme qu'elle avoit offerte, que je ne répondois rien. Voifin, me dit-elle, je vous en donnerai cinquante, en êtes-vous content?

Comme je vis que de vingt pieces d'or la Juive augmentoit fi promptement jufqu'à cinquante, je tins ferme, & je lui dis qu'elle étoit bien éloignée du prix auquel je prétendois le vendre. Voifin, reprit-elle, prenez-en cent pieces d'or ; c'eft beaucoup, je ne fçai même fi mon mari m'avouera. A cette nouvelle augmentation je lui dis que je voulois en avoir cent mille pieces d'or ; que je voyois bien que le diamant valoit davantage; mais que pour lui faire plaifir, à elle & à fon mari, comme voisins, je me bornois à cette fomme que je voulois en avoir abfolument, & que s'ils le refusoient à ce prix-là, que d'autres Jouailliers m'en donneroient davantage.

La Juive me confirma elle-même dans-ma réfolution, par l'empreffement qu'elle tés moigna de conclure le marché, en m'en offrant à plusieurs reprises jufqu'à cinquan te mille pieces d'or que je refufois. Je ne puis, dit-elle, en offrir d'avantage fans le confentement de mon mari; il reviendra ce foir la grace que je vous demande, c'est d'avoir la patience qu'il vous ait parlé, & qu'il ait vû le diamant, ce que je lui pro

mis.

Le foir quand le Juif fut revenu chez lui,

il apprit de fa femme qu'elle n'avoit rien avancé avec la mienne ni avec moi; l'offre qu'elle m'avoit faite de cinquante mille pieces d'or, & la grace qu'elle m'avoit de

mandée.

Le Juif observa le tems que je quittai mon ouvrage & que je voulus rentrer chez moi. Voifin Haffan, dit-il, en m'abordant, je vous prie de me montrer le diamant que votre femme a montré à la mienne : je le fis entrer & je lui montrai.

Comme il faifoit fort fombre, & que la lampe n'étoit pas encore allumée, il connut d'abord par la lumiere que le diamant rendoit, & par fon grand éclat au milieu de ma main qui en étoit éclairée, que fa femme lui avoit fait un rapport fidele. Il le prit ; & après l'avoir examiné long-tems & en ne ceffant de l'admirer: Eh bien voifin, dit-il, ma femme, à ce qu'elle m'a dit, vous en a offert cinquante mille pieces d'or afin que vous foyez content je vous en offre vingt mille davantage.

Voifin, repris-je, votre femme a pû vous dire que je l'ai mis à cent mille; ou vous me les donnerez, ou le diamant me demeurera, il n'y a pas de milieu. Il marchanda long-tems dans l'efpérance que je lui donnerois à quelque chofe de moins; mais il ne pût rien obtenir, & la crainte qu'il eut que je ne le fiffe voir à d'autres Jouailliers, comme je l'euffe fait, fit qu'il ne me quitta Tome VI. C

« AnteriorContinuar »