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fans conclure le marché, au prix que je demandois. Il me dit qu'il n'avoit pas les cent mille pieces d'or chez lui, mais que le lendemain il me configneroit toute la fomme'avant qu'il fût la même heure, & il m'en apporta le même jour deux facs chacun de mille, pour que le marché fût conclu.

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Le lendemain, je ne fçai fi le Juif.emprunta de fes amis ou s'il fit fociété avec d'autres Jouailliers: quoi qu'il en foit, il me fit la fomme de cent mille pieces d'or, qu'il m'apporta dans le tems qu'il m'en avoit donné parole, & je lui mis le diamant entre les mains.

La vente du diamant ainfi terminée, & riche infiniment au-deffus de mes espérances, je remerciai Dieu de fa bonté & de fa libéralité, & je fuffe allé me jetter aux pieds de Saad, pour lui témoigner ma reconnoiffance, fi j'euffe fçu où il demeuroit. J'en euffe ufé de même à l'égard de Saadi, à qui j'avois la premiere obligation de mon bonheur, quoiqu'il n'eût pas réuffi dans la bonne intention qu'il avoit pour moi.

Je fongeai enfuite au bon ufage que je devois faire d'une fomme auffi confidérable. Ma femme, l'efprit déja rempli de la vanite ordinaire à fon fexe, me proposa d'abord des riches habillemens pour elle & pour les enfans, d'acheter une maifon & de la meubler richement. Ma femme, lui disje, ce n'eft point par ces fortes de dépen

fes que nous devons commencer. Remettez-vous-en à moi, ce que vous demandez viendra avec le tems. Quoique l'argent ne foit fait que pour le dépenfer, il faut néanmoins y procéder de maniere qu'il produife un fond dont on puiffe tirer fans qu'il tariffe: c'est à quoi je penfe, & dès demain je com mencerai à établir ce fond.

Le jour fuivant j'employai la journée à aller chez une bonne partie des gens de mon métier qui n'étoient pas plus à leur aise que je l'avois été jufqu'alors; & en leur donnant de l'argent d'avance, je les engageant à travailler pour moi à différentes fortes d'ouvrages de corderie, chacun felon fon habileté & fon pouvoir, avec promeffe de ne pas les faire attendre, & d'être exact à les bien payer de leur travail,à mesure qu'ils m'apporteroient de leurs ouvrages.. Le jour d'après j'achevai d'engager de mê me les autres Cordiers de ce rang, à tra vailler pour moi; & depuis ce tems-là tout ce qu'il y en a dans Bagdad, continuent ce travail, très-contens de mon exactitude: à leur tenir la parole que je leur ai donnée..

Comme ce grand nombre d'ouvriers de voient produire des ouvrages à proportion,, je louai des magafins en différens endroits; & dans chacun j'établis un Commis, tant: pour les recevoir, que pour la vente en gros & en détail: & bientôt par cette éco-i nomie je me fis un gain & un revenu confi dérable..

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Enfuite pour réunir en un feul endroit tant de magafins difperfés, j'achetai une grande maifon, qui occupoit un grand terrein, mais qui tomboit en ruine. Je la fis mettre à bas, & à la place je fis bâtir celle que Votre Majesté vit hier. Mais quelque apparence qu'elle ait, elle n'eft compofée que de magafins qui me font néceffaires, & de logemens qu'autant que j'en ai befoin pour moi & pour ma famille.

Il y avoit déja quelque tems que j'avois abandonné mon ancienne & petite maifon, pour venir m'établir dans cette nouvelle, quand Saadi & Saad, qui n'avoient plus pensé à moi jusqu'alors, s'en fouvinrent. Ils convinrent d'un jour de promenade; & en paffant par la rue où ils m'avoient vû, ils furent dans un grand étonnement de ne m'y pas voir occupé à mon petit train de corderie, comme ils m'y avoient vû. Ils demanderent ce que j'étois devenu, fi j'étois mort ou vivant. Leur étonnement augmenta, quand ils eurent appris que celui qu'ils demandoient étoit devenu un gros marchand, & qu'on ne l'appelloit plus fimplement Haffan, mais Cogia Haffan Alhabbal, c'eft-à-dire, le Mar-1 chand Haffan le Cordier, & qu'il s'étoit fait bâtir dans une rue qu'on leur nomma, une maison qui avoit l'apparence d'un Palais.

Les deux amis vinrent me chercher dans

cette rue ; & dans le chemin comme Saadi ne pouvoit s'imaginer que le morceau de plomb que Saad m'avoit donné, fût la caufe d'une fi haute fortune: j'ai une joie parfaite, dit-il à Saad, d'avoir fait la fortune de Hassan Alhabbal. Mais je ne puis approu ver qu'il m'ait fait deux menfonges pour me tirer quatre cent pieces d'or, au lieu de deux cent car d'attribuer fa fortune au morceau de plomb que vous lui donnâtes, c'est ce que je ne puis, & perfonne non plus que moi ne l'y attribueroit.

C'est votre pensée, reprit Saad; mais ce n'eft pas la mienne, & je ne vois pas pourquoi vous voulez faire à Cogia Haffan l'injuftice de le prendre pour un menteur. Vous me permettrez de croire qu'il nous a dit la vérité, qu'il n'a penfé à rien moins qu'à nous la déguifer, & que c'eft le morceau de plomb que je lui donnai, qui eft la cause unique de fon bonheur. C'eft de quoi Cogia Hassan va bien-tôt nous éclaircir vous & moi.

Ces deux amis arriverent dans la rue où eft ma maison, en tenant de femblables difcours. Ils demanderent où elle étoit on la leur montra ; & à en confidérer la façade, ils eurent de la peine à croire que ce fût elle. Ils frapperent à la porte, & mon portier ouvrit.

Saadi qui craignoit de commettre une incivilité, s'il prenoit la maison de quelque

Seigneur de marque pour celle qu'il cherchoit, dit au portier: on nous a enfeigné cette maison, pour celle de Cogia Haffan Alhabbal; dites nous fi nous ne nous trom pons pas. Non, Seigneur, vous ne vous trompez pas, répondit le portier, en ouvrant la porte plus grande, c'eft elle-même; il eft dans la falle, & vous trouverez parmi les efclaves quelqu'un qui vous

entrez,

annoncera.

Les deux amis me furent annoncés, & je les reconnus: dès que je les vis paroître, je me levai de ma place, je courus à eux, & voulus leur prendre le bord de la robe pour la baifer; ils m'en empêcherent, & il fallut \ que je fouffriffe malgré moi qu'ils m'embrasfaffent. Je les invitai à monter fur un grand fofa, en leur en montrant un plus petit à quatre perfonnes qui avançoit fur mon jardin. Je les priai de prendre place, & ils vouloient que je me miffe à la place d'honneur. Seigneurs, leur dis-je, je n'ai pas oublié que je fuis le pauvre Haffan Alhabbal; & quand je ferois tout autre que je ne fuis, & que je ne vous aurois pas les obligations que je vous ai, je fçai ce qui vous eft dû: je vous fupplie de ne me pas couvrir plus long tems de confufion. Jis prirent la place. qui leur étoit dûe, & je pris la mienne vis

à-vis d'eux.

Alors Saadi en prenant la parole, & en me l'adreffant : Cogia Haffan, dit-il, je ne

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