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puis exprimer combien j'ai de joie de vous voir à peu près dans l'état que je fouhaitois, quand je vous fis préfent, fans vous en faire un reproche, des deux cent pieces d'or tant la premiere que la feconde fois ; & je fuis perfuadé que les quatre cent pieces ont fait en vous le changement merveilleux de votre fortune, que je vois avec plaifir. Une feule chose me fait de la peine qui eft que je ne comprends pas quelle raifon vous pouvez avoir eu de me déguifer la vérité deux fois, en alléguant des pertes arrivées par des contre-tems qui m'ont paru & qui me paroiffent encore incroya bles. Ne feroit-ce pas que quand nous vous vîmes la derniere fois, vous aviez encore fi peu avancé vos petites affaires, tant avec les deux cent premieres, qu'avec les deux cent dernieres pieces d'or, que vous eûtes honte d'en faire un aveu? Je veux le croire ainfi par avance, & je m'attends que vous allez me confirmer dans mon opinion.

Saad entendit ce difcours de Saadi avec grande impatience, pour ne pas dire indignation, & il le témoigna les yeux baiffés en branlant la tête. Il le laiffa parler néanmoins jufqu'à la fin, fans ouvrir la bouche. Quand il eut achevé: Saadi, reprit-il, pardonnez fi avant que Cogia vous réponde je le préviens, pour vous dire que j'admire votre prévention contre fa fincérité, & que vous perfiftiez à ne vouloir pas ajoûter foi aux

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affurances qu'il vous en a données ci-devant. Je vous ai déja dit, & je vous le répete, que je l'ai cru d'abord, fur le fimple récit des deux accidens qui lui font arrivés ; & quoi que vous en puiffiez dire, je fuis perfuadé qu'ils font véritables. Mais laiffons-le parler, nous allons être éclaircis par lui-même, qui de nous deux lui rend juftice.

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Après le difcours de ces deux amis, je pris la parole, & en la leur adreffant également: Seigneurs, leur dis-je, je me condamnerois à un filence perpétuel, fur l'éclairciffement que vous me demandez, je n'étois certain que la difpute que vous avez à mon occafion, n'eft pas capable de rompre le noeud d'amitié qui unit vos cœurs. Je vais donc m'expliquer, puifque vous l'exigez de moi. Mais auparavant, je vous protefte que c'est avec la même fincérité que je vous ai expofé ci-devant ce qui m'étoit arrivé. Alors je leur racontai la chofe de point en point, comme Votre Majesté l'a entendu, fans oublier la moindre circonftance.

Mes proteftations ne firent pas d'impreffion fur l'efprit de Saadi pour le guérir de fa prévention. Quand j'eus ceffé de parler: Cogia Haffan, reprit-il, l'avanture du poiffon & du diamant trouvé dans fon ventre à point nommé, me paroît auffi peu croyable, que l'enlevement de votre tur

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ban par un Milan, & que le vafe de fon échangé pour de la terre à décraffer. Quoi qu'il en puiffe être, je n'en fuis pas moins convaincu que vous n'êtes plus pauvre, mais riche comme mon intention étoit que vous le devinffiez par mon moyen, & je m'en réjouis très-fincerement.

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Comme il étoit tard, il fe leverent pour prendre congé, & Saad en même tems que Îui. Je me levai de même ; & en les arrêtant: Seigneurs, leur dis-je, trouvez bon que je vous demande une grace, & que je vous fupplie de ne me la pas refufer; c'est de fouffrir que j'aye l'honneur de vous don ner un fouper frugal, & enfuite à chacun un lit, pour vous mener demain par eau à une petite maifon de campagne que j'ai achetée, pour y aller prendre l'air de tems en tems, d'où je vous ramenerai par terre le même jour, chacun fur un cheyal de mon écurie.

Si Saad n'a pas d'affaire qui l'appelle ailleurs, j'y confens de bon coeur. Je n'en ai point, reprit Saad, dès qu'il s'agit de jouir de votre compagnie. Il faut donc, continua-t-il, envoyer chez vous & chez moi, avertir qu'on ne nous attende pas. Je leur fis venir un esclave, & pendant qu'ils le chargerent de cette commiffion, je pris le tems de donner ordre pour le fouper.

En attendant l'heure du fouper, je fis voir ma maifon & tout ce qui la compose a Tome VI

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mes bienfaicteurs, qui la trouverent bien entendue, par rapport à mon état. Je les appelle mes bienfaiteurs l'un & l'autre fans diftinction, parce que fans Saadi, Saad ne m'eût pas donné le morceau de plomb, & que fans Saad, Saadi ne fe fût pas adreffé à moi pour me donner les quatre cent pieces d'or, à quoi je rapporte la fource de mon bonheur. Je les ramenai dans la falle, où ils me firent plufieurs queftions fur le détail de mon négoce, & je leur répondis de manie re qu'ils parurent contens de ma conduite,

Ón vint enfin m'avertir que le foupé étoit fervi. Comme la table étoit mife dans une autre falle, je les y fis paffer. Ils fe récrierent fur l'illumination dont elle étoit éclai rée, fur la propreté du lieu, fur le bufet, & fur les mets qu'ils trouverent à leur goût, Je les regalai auffi d'un concert de voix & d'inftrumens pendant le repas, & quand on eut deffervi, d'une troupe de danfeurs & danfeufes, & d'autres divertiffemens; en tâchant de leur faire connoître, autant qu'il m'étoit poflible, combien j'étois pénétré de reconnoiffance à leur égard.

Le lendemain, comme j'avois fait con venir Saadi & Saad de partir de grand ma tin, afin de jouir de la fraîcheur, nous nous rendîmes fur le bord de la riviere, avant que le Soleil fût levé. Nous nous embar quâmes fur un bateau très-propre & gar ni de tapis, qu'on nous tenoit prêt; &♣

la faveur de fix bons rameurs, & du courant de l'eau, environ en une heure & demie de navigation nous abordâmes à ma maison de campagne.

En mettant pied à terre, les deux amis s'arrêterent moins pour en confidérer la beauté par le dehors, que pour en admirer la fituation avantageufe pour les belles vûes, ni trop bornées, ni trop étendues, qui la rendoient agréable de tous les côtés. Je les menai dans les appartemens, je leur en fis remarquer les accompagnemens, les dépendances & les commodités, qui la leur fit trouver toute riante & très-charmante. Nous entrâmes enfuite dans le jardin, où ce qui leur plut davantage, fut une forêt d'orangers & de citroniers de toute forte d'efpeces, chargés de fruits & de fleurs, dont l'air étoit embaumé, plantés par allées à diftance égale, & arrofés par une ri gole perpétuelle, d'arbre en arbre, d'une eau vive détournée de la riviere. L'ombra.

ge, la fraîcheur dans la plus grande ardeur du Soleil, te doux murmure de l'eau, le ramage harmonieux d'une infinité d'oi feaux, & plufieurs autres agrémens les frapperent, de maniere qu'ils s'arrêtoient prefque à chaque pas, tantôt pour me témoi gner l'obligation qu'ils m'avoient de les avoir amenés dans un lieu fi délicieux. tantôt pour me féliciter de l'acquisition que j'avois faite, & pour me faire d'autres com plimens obligeans, Dij

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