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Je les menai jufqu'au bout de cette forêt, qui eft fort longue & fort large, où je leur fis remarquer un bois de grands arbres, qui termine mon jardin. Je les menai jufqu'à un cabinet ouvert de tous les côtés, mais ombragé par un bouquet de palmiers qui n'empêchoient pas qu'on n'y eût la vûe libre; & je les invitai d'y entrer, & de s'y repofer fur un fofa garni de tapis & de couffins.

Deux de mes fils que nous avions trou vés dans la maison, & que j'y avois envoyés depuis quelque tems avec leur précepteur, pour y prendre l'air, nous avoient quittés pour entrer dans le bois; & comme ils cherchoient des nids d'oifeaux, ils en apper, curent un entre les branches d'un grand ar bre. Ils tenterent d'abord d'y monter; mais comme ils n'avoient ni la force, ni l'adreffe pour l'entreprendre, ils le montrerent à un efclaye que je leur avois donné, qui ne les abandonnoit pas, & ils lui dirent de leur dé

nicher les oiseaux.

L'efclave monta fur l'arbre; & quand il fut arrivé jufqu'au nid, il fut fort étonné de voir qu'il étoit pratiqué dans un turban, Il en'eve le nid tel qu'il étoit, defcend de l'arbre, & fait remarquer le turban à mes enfans; mais comme il ne douta pas que ce ne fût une chofe que je ferois bien-aife de voir, il le leur témoigna, & il le donna à l'aîné pour me l'apporter.

Je les vis venir de loin avec la joie ordinaire aux enfans qui ont trouvé un nid; & en me le préfentant: mon pere, me dit l'aî né, voyez-vous ce nid dans un turban ? Saadi & Saad ne furent pas moins fur pris que moi de la nouveauté ; mais je le fus bien plus qu'eux, en reconnoiffant que le turban étoit celui que le Milan m'avoit enlevé. Dans mon étonnement, après l'avoir bien examiné & tourné de tous les cô tés, je demandai aux deux amis: Seigneurs, avez-vous la mémoire affez bonne pour vous fouvenir que c'eft-là le turban que je portois le jour que vous me fites l'honneur m'aborder la premiere fois ?

de

Je ne penfe pas, répondit Saad, que Saadi y ait fait attention non plus que moi; mais ni lui ni moi nous ne pourrons en douter, fi les cent quatre-vingt-dix pieces d'or s'y trouvent.

Seigneur, repris-je, ne doutez pas que ce ne foit le même turban: outre que je le reconnois fort bien, je m'apperçois auffi à la pefanteur que ce n'en eft pas un autre, & vous vous en appercevrez vous-même fi vous prenez la peine de le manier. Je le lui préfentai, après en avoir ôté les oiseaux que je donnai à mes enfans; il le prit entre fes mains, & le préfenta à Saadi, pour juger du poids qu'il pourroit avoir.

Je veux croire que c'eft votre turban, me dit Saadi ; j'en ferai néanmoins mieux

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convaincu, quand je verrai les cent quatre vingt-dix pieces d'or en efpeces.

Au moins, Seigneurs, ajoûtai-je, quand j'eus repris le turban, obfervez-bien, je vous en fupplie, avant que j'y touche, que ce n'eft pas d'aujourd'hui qu'il s'eft trouvé fur l'arbre ; & que l'état où vous le voyez & le nid qui y eft fi proprement accommodé, fans que main d'homme y ait touché, font des marques certaines qu'il s'y trouvoit depuis le jour que le Milan me l'a emporté, & qu'il l'a laifié tomber ou pofé fur cet arbre, dont les branches ont empêché qu'il. ne foir tombé infan'à terre. Et ne trouvez

pas mauvais que je vous faffe faire cette remarque ; j'ai un trop grand intérêt de vous ôter tout foupçon de fraude de ma part.

Saad me feconda dans mon deffein: Saadi, reprit-il, cela vous regarde & non pas moi, qui fuis bien perfuadé que Cogia Haffan ne nous en impose pas.

Pendant que Saad parloit, j'ôtai la toile qui environnoit en plufieurs tours le bonnet qui faifoit partie du turban, & j'en tirai la bourfe que Saadi reconnut pour la même qu'il m'avoit donnée. Je la vuidai fur le tapis devant eux, & je leur dis : Seigneurs, voilà les pieces d'or, comptez-les vous-mêmês, & voyez file compte n'y eft pas. Saadi les arrangea par dixaine, jusqu'au nombre de cent quatre-vingt-dix; & alors Saadi

qui ne pouvoit nier une vérité fi manifefte, prit la parole, & en me l'adreffant : Cogia Haffan, dit-il, je conviens que ces cent quatre vingt-dix pieces d'or n'ont pû fervir à vous enrichir. Mais les cent quatrevingt-dix autres que vous avez cachées dans un vafe de fon, comme vous voulez me le faire accroire, ont pû y contribuer.

Seigneur, repris-je, je vous ai dit la vé. rité auffi bien à l'égard de cette derniere fomme, qu'à l'égard de la premiere. Vous ne voudriez que je me retractaffe pour vous dire un menfonge.

Cogia Haffan, me dit Saad, laiffez Saadi dans fon opinion: je consens de bon cœur qu'il croye que vous lui êtes redevable de la moitié de votre bonne fortune, par le moyen de la derniere fomme, pourvû qu'il tombe d'accord que j'y ai contribué de l'autre moitié, par le moyen du morceau de plomb que je vous ai donné, & qu'il ne ré-, voque pas en doute le précieux diamant trouvé dans le ventre du poiffon.

Saad, reprit Saadi, je veux ce que vous voulez, pourvû que vous me laiffiez la liberté de croire qu'on n'amaffe de l'argent. qu'avec de l'argent.

Quoi, répartit Saadi, fi le hasard vouloit que je trouvaffe un diamant de cinquan te mille pieces d'or, & qu'on m'en donnât la fomme, aurois-je acquis cette fomme avec de l'argent ?

La conteftation en demeura-là; nous nous levâmes, & en rentrant dans la maifon, comme le dîné étoit fervi, nous nous mîmes à table. Après le dîné je laiffai à mes hôtes la liberté de paffer la grande chaleur du jour à fe tranquillifer, pendant que j'allai donner mes ordres à mon Concierge & à mon Jardinier. Je les rejoignis, & nous nous entretînmes de chofes indifférentes jufqu'à ce que la plus grande chaleur fût paffée, que nous retournâmes au jardin où nous reftâmes à la fraîcheur prefque jufqu'au coucher du Soleil. Alors les deux amis & moi nous montâmes à cheval, & fuivis d'un esclave nous arrivâmes à Bagdad environ à deux heures de nuit, avec un beau clair de Lune.

Je ne fçai par quelle négligence de mes gens il étoit arrivé qu'il manquoit d'orge chez moi pour les chevaux. Les magafins étoient fermés, & ils étoient trop éloignés pour en aller faire provifion fi tard.

En cherchant dans le voifinage, un de mes efclaves trouva un vafe de fon dans une boutique ; il acheta le fon, & l'apporta avec le vafe, à la charge de rapporter & de rendre le vafe le lendemain. L'efclave vuida le fon dans l'auge; & en l'étendant afin que les chevaux en euffent chacun leur part, il fentit fous fa main un linge lié, qui étoit pefant. Il m'apporta le linge fans y toucher, & dans l'état qu'il l'avoit trouvé,

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