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réuffir dans cette affaire, eft premierement de monter jufqu'à la cage, fans s'effrayer du tintamarre des voix qu'on entend fans voir perfonne; & en fecond lieu, de ne pas regarder derriere foi. Pour ce qui eft de cette derniere condition, j'efpere que je ferai affez maîtreffe de moi-même pour la bien obferver. Quant à la premiere, j'avoue que ces voix, telles que vous me les repréfentez, font capables d'épouvanter les plus affurés. Mais comme dans toutes les entreprises de grande conféquence & périlleuses, il n'eft pas défendu d'ufer d'adreffe, je vous demande fi l'on pourroit s'en fervir dans celle-ci, qui m'est d'une fi grande importance. Et de quelle adreffe voudriez vous ufer, demanda le Derviche? Il me femble, répondit la Princeffe, qu'en me bouchant les oreilles de coton, fi fortes & fi effroyables que les voix puiffent être, elles en feroient frappées avec beaucoup moins d'impreffion; comme auffi elles feroient moins d'effet fur mon imagination, mon efprit demeureroit dans la liberté de ne fe pas troubler jufqu'à perdre l'ufage de la raison.

Madame, reprit le Derviche, de tous ceux qui jufqu'à préfent se font adreffés à moi pour s'informer du chemin que vous me demandez, je ne fçai fi quelqu'un s'eft fervi de l'adreffe que vous me proposez. Ce que je fçai, c'eft que pas un ne me l'a

propofée, & que tous y font péris. Si vous perfiftez dans votre deffein, vous pouvez en faire l'épreuve, à la bonne heure fi elle vous réuffit; mais je ne vous conseillerois pas de vous y expofer.

Bon pere, repartit la Princeffe, rien n'empêche que je ne perfifte dans mon deffein, le coeur me dit que l'adreffe me réuffira, & je fuis réfolue de m'en fervir. Ainfi, il ne me refte plus que d'apprendre de vous quel cheminje doisprendre; c'eft la grace que je vous conjure de ne me pas refufer. Le Derviche l'exhorta, pour la derniere fois, à se bien confulter, & comme il vit qu'elle étoit inébranlable dans fa réfolution, il tira une boule, & en la lui préfentant: Prenez cette boule, dit-il, remontez à cheval, & quand vous l'aurez jettée devant vous, fuivez-la par tous les détours que vous lui verrez faire en roulant jufqu'à la montagne, où eft ce que vous cherchez, & où elle s'arrêtera ; quand elle fera arrêtée, arrêtez-vous auffi, mettez pied à terre & montez. Allez, vous fçavez le refte, n'oubliez pas d'en profiter.

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La Princeffe Parizade, après avoir remercié le Derviche, & pris congé de lui remonta à cheval; elle jetta la boule & elle la fuivit par le chemin qu'elle prit en roulant; la boule continua fon roulement, & enfin elle s'arrêta au pied de la montagne.

La Princeffe mit pied à terre, elle fe boucha les oreilles de coton ; & après qu'

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elle eut bien confidéré le chemin qu'elle avoit à tenir pour arriver au haut de la montagne, elle commença à monter d'un pas égal avec intrépidité. Elle entendit les voix, & elle s'apperçut d'abord que le coton lui étoit d'un grand fecours. Plus elle avançoit, plus les voix devenoient fortes & fe multiplioient; mais non pas à lui faire une impreffion capable de la troubler. Elle entendit plufieurs fortes d'injures & de railleries piquantes, par rapport à son sexe qu'elle méprifa, & dont elle ne fit que rire. Je ne m'offenfe ni de vos injures, ni de vos railleries, difoit-elle en elle-même, dites encore pire, je m'en mocque, & vous ne m'empêcherez pas de continuer mon chemin, Elle monta enfin fi haut, qu'elle com mença d'appercevoir la cage & l'oifeau, lequel de complot avec les voix, tâchoit de l'intimider, en lui criant d'une voix tonante, nonobftant la petiteffe de fon corps: folle, retire-toi, n'approche pas.

La Princeffe animée davantage par cet objet, doubla le pas; quand elle fe vit fi près de la fin de fa carriere, elle gagna le haut de la montagne, où le terrein étoit égal, elle courut droit à la cage, & elle mit la main deffus, en difant à l'oiseau : Oifeau, je te tiens malgré toi, & tu ne m'échapperas pas.

Pendant que Parizade ôtoit le coton qui lui bouchoit les oreilles : Brave Dame, lui

dit l'oiseau, ne me voulez pas de mal de ce que je me fuis joint à ceux qui faifoient leurs efforts pour la confervation de ma liberté. Quoiqu'enfermé dans une cage, je ne laiffois pas d'être content de mon fort; mais destiné à devenir efclave, j'aime mieux vous avoir pour Maîtreffe, vous qui m'avez acquis fi courageufement & fi dignement, que toute autre perfonne du monde; & dès-à-préfent je vous jure une fidélité inviolable, avec une foumiffion entiere à tous vos commandemens. 'Je fçai qui vous êtes, & je vous apprendrai que vous ne vous connoiffez pas vous-même pour ce que vous êtes; mais un jour viendra que je vous rendrai un fervice, dont j'efpere que vous m'aurez obligation. Pour commencer à vous donner des marques de ma fincérité, faites-moi connoître ce que vous souhaitez, je fuis prêt de vous obéir.

La Princeffe pleine d'une joye d'autant plus inexprimable que la conquête qu'elle venoit de faire lui coûtoit la mort de deux freres chéris tendrement, & à elle-même tant de fatigue & un danger dont elle connoiffoit la grandeur, après en être fortie, mieux qu'avant qu'elle s'y engageât, nonobftant ce que le Derviche lui en avoit repréfenté, dit à l'oifeau, après qu'il eut éeffé de parler : Oifeau, c'étoit bien mon intention de te marquer que je fouhaite plufieurs chofes qui me font de la Gg iiij

derniere importance; je fuis ravie que tu m'ayes prévenue par le témoignage de ta bonne volonté. Premierement, j'ai appris qu'il y a ici une eau jaune, dont la propriété eft merveilleufe; je te demande de m'enfeigner où elle eft, avant toute chose. L'oifeau tui enfeigna l'endroit qui n'étoit pas beaucoup éloigné; elle y alla, & elle emplit un petit flacon d'argent qu'elle avoit apporté avec elle. Elle revint à l'oiseau, & elle lui dit : Oifeau ce n'eft pas affez, je cherche auffi l'arbre qui chante, dis-moi où il eft. L'oiseau lui dit : tournez-vous, & vous verrez derriere vous un bois où vous trouverez cet arbre. Le bois n'étoit pas éloigné, la Princeffe alla jufques-là, & entre plufieurs arbres, le concert harmonieux qu'elle entendit lui fit connoître celui qu'el le cherchoit ; mais il étoit fort gros & fort haut. Elle revint & elle dit à l'oifeau: Oifeau, j'ai trouvé l'arbre qui chante, mais je ne puis ni le déraciner ni l'emporter. Il n'eft pas néceffaire de le déraciner, reprit l'oifeau, il fuffit que vous en preniez la moindre branche, & que vous l'emportiez pour la planter dans votre jardin, elle pren dra racine dès qu'elle fera dans terre,

peu

& en

de tems vous la verrez devenir un auffi bel arbre que celui que vous venez de voir.

Quand la Princeffe Parizade eut en main les trois chofes dont la dévote Musulmane lui avoit fait concevoir un defir fi ardent,el

e dit encore à l'oifeau: Oifeau, tout ce que

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