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& il me le préfenta, en me difant que c'étoit peut-être le linge dont il m'avoit entendu parler fouvent, en racontant mon hiftoire à mes amis.

Plein de joie, je dis à mes bienfaiteurs: Seigneurs, Dieu ne veut pas que vous vous fépariez d'avec moi, que vous ne foyez pleinement convaincus de la vérité, dont je n'ai ceffé de vous affurer; voici, continuai-je, en m'adreflant à Saadi, les autres cent quatre-vingt-dix pieces d'or que j'ai reçues de votre main, je le connois au linge que vous voyez. Je déliai le linge, & je comptai la fomme devant eux. Je me fis auffi apporter le vafe, je le reconnus, & je l'envoyai à ma femme pour lui demander fi elle le connoissoit, avec ordre de ne lui rien dire de ce qui venoit d'arriver. Elle le connut d'abord, & elle menvoya dire que c'étoit le même vase qu'elle avoit échangé plein de fon, pour de la terre à décraffer.

Saadi fe rendit de bonne foi; & revenu de son incrédulité, il dit à Saad : je vous cede, & je reconnois avec vous que l'argent n'eft pas toujours un moyen sûr pour en amasser d'autre, & devenir riche.

Quand Saadi eut achevé: Seigneur, lui dis-je, je n'oferois vous propofer de repren dre les trois cent quatre-vingt pieces qu'il a plû à Dieu de faire reparoître aujourd'hui pour vous détromper de l'opinion de ma

mauvaife foi. Je fuis perfuadé que vous ne m'en avez pas fait préfent dans l'intention que je vous les rendiffe. De mon côté, je ne prétends pas en profiter, auffi content que je le fuis de ce qu'il m'a envoyé d'ailleurs; mais j'efpere que vous approuverez que je les diftribue demain aux pauvres, afin que Dieu nous en donne la récompenfe à vous & à moi.

Les deux amis coucherent encore chez moi cette nuit-là; & le lendemain après m'avoir embraffé, ils retournerent chacun chez foi, très-contens de la réception que je leur avois faite, & d'avoir connu que je n'abufois pas du bonheur dont je leur étois redevable après Dieu. Je n'ai pas manqué d'aller les remercier chez eux, chacun en particulier. Et depuis ce tems-là je tiens à grand honneur la permiffion qu'ils m'ont donnée de cultiver leur amitié & de conti nuer de les voir.

Le Calife Haroun Alrafchid donnoit à Cogia Haffan une attention fi grande qu'il ne s'apperçut de la fin de fon hiftoire que par fon filence. Il lui dit : Cogia Haffan, il y avoit long-tems que je n'avois rien entendu qui m'ait fait un auffi grand plais fir, que je les voyes toutes merveilleufes par lesquelles il a plù à Dieu de te rendre heureux dans ce monde. C'eft à toi de continuer à lui rendre graces, par le bon ufage que tu fais de fes bienfaits. Je fuis bien-aife

que tu fçaches que le diamant qui a fait ta fortune, eft dans mon tréfor: & de mon côté je fuis ravi d'apprendre par quel moyen il y eft entré. Mais parce qu'il fe peut faire qu'il refte encore quelque doute dans l'efprit de Saadi fur la fingularité de ce diamant, que je regarde comme la chofe la plus précieuse & la plus digne d'être admirée de tout ce que je poffede; je veux que tu l'amenes avec Saad, afin que le garde de mon tréfor le lui montre; & pour peu qu'il foit encore incrédule, qu'il reconnoiffe que certain l'argent n'eft pas toujours un moyen à un pauvre homme pour acquérir de grandes richeffes en peu de tems, & fans beaucoup de peine. Je veux auffi que tu racontes ton hiftoire au garde de mon tréfor, afin qu'il la faffe mettre par écrit, & qu'elle y foit conservée avec le diamant.

En achevant ces paroles, comme le Ca life eut témoigné par une inclination de tête Cogia Haffan, à Sidi Nouman & à Baba Abdallah, qu'il étoit content d'eux, ils pri rent congé en fe profternant devant fon trône, après quoi ils fe retirerent.

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La Sultane Scheherazade voulut come mencer un autre Conte; mais le Sultan desIndes qui s'apperçut que l'aurore commençoit à paroître, remit à lui donner audien ce le jour fuivant,

HISTOIRE

D'Ali Baba & de quarante voleurs exterminés par un un esclave.

A Sultane Scheherazade éveillée par

conta au Sultan des Indes fon époux, l'hiftoire à laquelle il s'attendoit.

Puiffant Sultan, dit-elle, dans une ville de Perfe, aux confins des Etats de Votre Majefté, il y avoit deux freres, dont l'un fe nommoit Caffim, & l'autre Ali Baba Comme leur pere ne leur avoit laiffé que peu de biens, & qu'ils les avoient partagés également, il femble que leur fortune devoit être égale; le hafard néanmoins en difpofa autrement.

Caffim époufa une femme, qui peu de tems après leur mariage, devint héritiere. d'une boutique bien garnie, d'un magafin rempli de bonnes marchandifes, & de biens en fonds de terre, qui le mirent tout-à-coup; à fon aife, & le rendirent un des Marchands les plus riches de la ville.

Ali Baba, au contraire, qui avoit épousé une femme auffi pauvre que lui, étoit logé, fort pauvrement, & il n'avoit autre induftrie pour gagner fa vie, & de quoi s'entretenir lui & les enfans, que d'aller couper

du bois dans une forêt voifine, & de venir le vendre à la ville, chargé fur trois ânes qui faifoient toute fa poffeffion.

Ali Baba étoit un jour dans la forêt, & il achevoit d'avoir coupé à-peu-près affez de bois pour faire la charge de fes ânes, lorf qu'il apperçut une groffe pouffiere qui s'é levoit en l'air, & qui avançoit droit du cô té où il étoit. Il regarde attentivement, & il diftingue une troupe nombreuse de gens à cheval, qui venoient d'un bon train.

Quoiqu'on ne parlât pas de voleurs dans le pays, Ali Baba néanmoins eut la pensée que ces cavaliers pouvoient en être; fans confidérer ce que deviendroient fes ânes; il fongea à fauver fa perfonne. Il monta fur un gros arbre, dont les branches à peu de hauteur fe féparoient en rond, fi près les unes des autres, qu'elles n'étoient féparées que par un très-petit efpace. Il fe pofta au milieu avec d'autant plus d'affurance, qu'il pouvoit voir fans être vû. Et l'arbre s'élevoit au pied d'un rocher ifolé de tous les côtés, beaucoup plus haut que l'arbre, & efcarpé de maniere qu'on ne pouvoit monter au haut par aucun endroit.

Les cavaliers grands, puiffans, tous bien montés & bien armés, azriverent près du -rocher, où ils mirent pied à terre; & Ali Baba, qui en compta quarante, à leur mine & à leur équipement, ne douta pas qu'ils pe fuffent des voleurs. Il ne fe trompoit

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